Organisée en 1959, la campagne de solidarité hollandaise en faveur des réfugiés algériens au Maroc et en Tunisie, menée sous le slogan «Sauvez un enfant», a eu un impact considérable sur l'opinion publique et marque un tournant décisif dans la prise de conscience, quoique relative, autour de la guerre de Libération algérienne contre le colonialisme. C'est cet aspect que l'historien néerlandais, Nieck Pas, de l'université d'Amsterdam, a présenté au CRASC à Oran avec comme axe principal, le rôle des médias, notamment la Télévision, mais aussi les organisations non gouvernementales, aussi peu représentatives soient-elles, dont le dynamisme a contribué à faire bouger les choses. Dans son intervention, l'historien a néanmoins dressé un panorama général de la situation qui prévalait entre 1954 et 1962 et l'évolution au sein de la société hollandaise de la représentation du conflit entre l'Algérie et la France coloniale. D'un côté, un gouvernement soutenant la France, car lui-même impliqué dans le processus colonial (Nouvelle-Guinée), et de l'autre, les actions d'une société civile (hors des grands courants politiques) qui, à l'instar de l'OCV –la commission indépendante de contact pour le travail de la paix, à partir de 1957 – va graduellement faire prendre connaissance de la réalité de la guerre coloniale et son impact désastreux sur la population algérienne. Pour centrer son étude sur un thème qu'il juge non exploré, Nieck Pas évoque également, mais sans s'y attarder, l'implication des trotskystes (peu représentatifs) hollandais qui, emboîtant le pas à leurs camarades français de la IV internationale, ont, dès le début, soutenu politiquement et militairement (fabrication d'armes au Maroc) le FLN. Le procès à Amsterdam de Raptis-Santen (impression de fausse monnaie au profit du FLN et falsification de cartes d'identité) est emblématique. La parenthèse fermée, «c'est, dit-il, la Télévision qui va donner un visage à la guerre d'Algérie, mais le véritable impact sera la campagne : ‘Sauvez un enfant' et la diffusion en direct, le 13 décembre 1959, dans la salle de concerts d'Amsterdam, d'une soirée gala en collaboration avec la Radio, pour organiser les collectes de dons en faveur des réfugiés algériens au Maroc». Le gala réunit de nombreux artistes et comédiens néerlandais, en présence de la ministre de la Culture, Marga Klompé. Autour de cet événement, une action de charité pour une cause internationale, la Télévision va diffuser les images insoutenables liées aux conditions de vie pour frapper les esprits. L'historien voit déjà là «une imposante démonstration du pouvoir de la Télévision» et estime que la somme collectée dépasse de loin (pour un petit pays situé loin de la sphère d'influence des pays où le FLN est représenté) toutes les attentes. En comparaison, la Grande-Bretagne n'en a récolté que 400 000 contre 5000 pour la Croix-Rouge norvégienne et 9000 pour l'Iran. Pour placer l'événement dans son contexte, Nieck Pas rappelle que l'année 1959 a été déclarée année des réfugiés par l'ONU. A cette date, la cause algérienne était déjà internationalisée grâce à l'intervention des cadres du FLN, mais aussi aux écrits d'historiens américains ou allemands, qui ont largement contribué à faire sortir le conflit de France où les sympathies pour le mouvement indépendantiste ne manquent pas, mais surtout de la mainmise du pouvoir colonial et ses actions propagandistes. Un autre contexte concerne la spécificité de la Hollande qui ne disposait pas de Télévision d'Etat, du genre ORTF en France, ou de la BBC anglaise rendant possible l'organisation d'un tel téléthon avant l'heure. La chaîne VPRO, présidée par le pasteur Nieuwenhuis, appartenait à la branche protestante du champ politique néerlandais de l'époque, incluant les catholiques, les libéraux et les socialistes. En plus de la gauche, selon l'historien, cette branche était sensible aux droits de l'homme et à l'émergence du Tiers-Monde naissant. Ce média n'était, globalement, pas développé durant les années 1950 où on reprenait encore les photographies publiées dans les journaux. Un constat qui lui fait dire que la guerre d'Algérie n'était pas télévisée comme le sera la guerre du Vietnam. N'empêche, 600 sujets ont été réalisés entre 1956, date du premier journal télévisé, et 1962. «De quelques sujets en 1956 on est passés à plus d'une centaine en 1960 et à 250 en 1962», indique-t-il en précisant que cet intérêt a été relâché après l'indépendance (seulement 32 en 1964). Des portraits de Ferhat Abbas et Ben Bella ont été diffusés ainsi que d'autres reportages faisant intervenir M'hammed Yazid et un échantillon de quelque 200 à 300 ressortissants hollandais vivant en Algérie. Les circuits militants (incluant le Parti socialiste pacifiste, PSP, qui, durant la période d'après la Guerre mondiale en Hollande, a eu plus de succès que les traditionnels Partis communiste et social-démocrate), installent des comités d'information sur l'Algérie (comité information Algérie), organisent des expositions et projettent des films comme Algérie en flammes qui n'auraient jamais la chance de passer dans une salle publique. Quoique très timide au départ, l'intérêt des médias pour la cause algérienne remonte au tout début de la guerre, en 1954. Parmi les journalistes qui ont séjourné en Algérie pour s'informer en première main, Nieck Pas évoque les écrits de Jakob Huizinga, fils du célèbre historien Johan, qui a «réalisé des reportages pointus et disséqué la situation avec une précision chirurgicale». Pour mieux relativiser le traitement réservé à la guerre par la presse écrite, l'historien recense un seul journaliste ayant couvert le conflit côté ALN en 1957. La situation va changer après 1959, mais déjà, à partir de 1958, des ouvrages comme La question, d'Henry Alleg, commençaient à être traduits. Toute proportion gardée, cet intérêt pour la guerre d'indépendance algérienne est du seul ressort des acteurs hollandais, c'est-à-dire sans l'intervention du FLN qui, ailleurs, a ouvert des bureaux de représentation (Allemagne, Belgique et même aux Etats-Unis, avec l'Algerian Office). «Le FLN n'a jamais ouvert de bureau en Hollande», relève l'historien qui estime par ailleurs que la Seconde Guerre mondiale et les affres du nazisme ont été un référent comparatif important pour comprendre le conflit franco-algérien du côté des Pays-Bas. Autre chose, comme pour s'ériger contre une idée reçue, le même universitaire pense que les jeunes qui ont lancé le mouvement contestataire des années 1960 en Hollande ont été politisés grâce à la Révolution algérienne.
L'ouvrage consacré à la guerre d'Algérie vue des Pays-Bas par Nieck Pas fera l'objet d'une publication par les éditions Barzakh pour l'Algérie. Selon l'auteur, des négociations ont déjà été entamées et la parution est attendue pour septembre. Nieck Pas a séjourné en Algérie pour un tout autre travail sur le cyclisme en Algérie. Sous le générique Cycling Identity, le travail portera plus exactement sur le Tour d'Algérie cycliste de 1929 à nos jours.
