Il n'est un secret pour personne que les Algériens parlent un langage assez alambiqué, une sorte de créole où se mêlent à la fois l'arabe, le berbère, le français et même l'espagnol et le turc. Ce dialecte, spécifique à l'Algérie, et qui diffère selon les régions du pays, a été le thème, samedi dernier, d'une conférence à l'Institut Cervantès, intitulée : «Le langage comme patrimoine». L'air de rien, beaucoup de mots qu'on emploie dans notre langage courant proviennent de mots d'origine française, espagnole ou turque. Pour les mots hérités de la langue turque, on peut compter, à titre d'exemple, «moutcho» (garçon de bain), kabcha (la louche), papas (prêtre chrétien). Quant aux mots d'origine espagnole, on en compte à la pelle. Des sobriquets comme «bouffou» (le gros), calbo, tchato, matcho, nigrou, roukhou ; mais aussi des noms communs : likhiya (Javel), meriou, tchangla, joder. Certains reconnaissent cet état de fait comme étant une richesse, tandis que d'autres, un carence identitaire. C'est donc afin de débattre de ce sujet que samedi dernier, deux intervenants, en l'occurrence Lamine Benallou et Kamel El Korso, linguistes émérites, ont animé une rencontre à l'Institut Cervantès, parlant tour à tour en arabe, en français et même, de temps à autre, en espagnol. Le thème de la conférence a gravité autour de l'influence de ces différentes langues sur le dialecte algérien, notamment celui parlé à l'Ouest, qu'on appelle autrement «darija». Tout d'abord, Lamine Benalou a insisté sur un fait, du reste connu des linguistes mais ignoré de la plupart des locuteurs, qu'il «n'y a pas de différence entre une langue et un dialecte». Il a appuyé ses dires en faisant référence à Louis-Jean Calvet, qui dit en substance qu'une langue n'est ni plus ni moins qu'un dialecte qui a réussi politiquement. Autrement dit : ce ne sont pas les qualités intrinsèques d'un idiome qui en font un dialecte ou une langue. Il refusera également de parler de dialecte arabe : «Le dialecte arabe, je ne sais pas ce que c'est ! Pour moi, il y a un dialecte maghrébin !». Lors de la conférence, il sera aussi question de la pudibonderie, proprement algérienne, et qui pousse les locuteurs à employer des mots étrangers pour désigner des choses qui leur sont tabous. Exemple illustratif : si «une gorgée d'eau» se traduit en arabe algérien par «jorma ma», une gorgée de vin se traduit, elle, par «trago de rouge», autrement dit, plutôt que de recourir à un mot d'origine arabe pour désigner le vin, l'inconscient collectif pousse les locuteurs à employer un mot étranger. Après la conférence, un débat a été ouvert avec le public.