Face à l'uniformisation que subit la musique mondiale en raison du processus de mondialisation, la question de la préservation du patrimoine musical algérien et maghrébin devient cruciale. El Watan Week-end est donc parti à la rencontre de Kamilia Berkani, spécialiste de la question. - Face à la mondialisation, comment les musiques maghrébines résistent-elles ? Sont-elles ou seront-elles absorbées par l'industrie du divertissement?
Je pense que la mondialisation et par ricochet la globalisation sont très dangereuses pour les hommes. Elles peuvent apporter une uniformisation des styles musicaux si l'on ne créé pas des barrières pour se protéger. Cela peut être sous forme de pédagogie que l'on installe afin de mieux se connaître pour se différencier, car nos cultures ne sont pas uniformes et la richesse se trouve justement dans tout ce que chacune d'elles peut apporter aux sociétés, au monde entier. Si on ne fait pas attention, il existe le risque que nous devenions tous identiques, ce qui serait quand même triste. En ce qui concerne les musiques du Maghreb, je dirais qu'«il y'a à boire et à manger».
- C'est-à-dire ?
En réalité, il y a des artistes, des styles qui se maintiennent très bien. Exemple, pour la majorité des artistes qui font du chaâbi comme celui de l'algérois, du malouf algérien ou tunisien, de la musique andalouse qu'on retrouve dans les trois pays du Maghreb certaines musiques du désert, mais aussi du malhoun comme on le retrouve en Tunisie ou de la musique dite «gnawa» au Maroc avec toutes ses variantes… S'ils maintiennent la racine en étant attentifs à ce qui les entoure pour créer sans s'effacer, alors ils s'en sortiront plutôt bien. Par contre, pour d'autres, ce n'est pas forcément le cas. En fait, je pense que la règle est claire : dès qu'on s'écarte de la base, qu'on essaye de trop faire et puis qu'on ne sait pas ce qu'on propose en tant qu'artiste, et cela arrive plus souvent qu'on le croit, qu'on essaye de faire du «divertissement» ou pour être plus direct pour faire du «commercial», alors oui, la mondialisation, avec sa grosse machine commerciale, ne fait de nous qu'une bouchée.
- Les formes musicales, telles qu'on les connaît, resteront-elles telles quelles, ou vont–elles évoluer ?
Cette question n'a pas de réponse. Personne ne peut prédire l'avenir. Les formes musicales évoluent avec le temps, avec les territoires et avec les différentes interactions qui entrent en contact avec ces dernières. Par interaction, je veux dire, contrairement à ce que certaines personnes croient, la musique est soumise aux faits historiques mais aussi aux évolutions, voire aux révolutions sociales. Elle est aussi en contact direct avec le développement, ou pas d'ailleurs, politique du pays sur lequel elle voit le jour, sur lequel elle se développe. La musique, plus qu'une simple distraction, est tout simplement soumise aux volontés des hommes ; il en va de même pour ses formes.
- Comment protéger le patrimoine musical maghrébin, tout en lui accordant un espace dans ce qu'on appelle «les musiques actuelles» ?
Je suis de ceux qui pensent qu'il est possible de protéger son patrimoine musical tout en le diffusant en usant des différentes formes musicales. Mais pour que cela soit possible, il faut penser à réguler, à y mettre de la pédagogie et à mettre en place une médiation, c'est-à-dire un canal de communication permettant à tous les acteurs, qu'ils soient artistes, diffuseurs, directeurs de salle ou de festival et bien sûr aux différents publics, de comprendre ce qui se passe autour d'eux. Leur permettre de faire la différence entre un patrimoine figé et un nouveau intégré dans par exemple «les musiques actuelles».
- Un cas concret ?
Si par exemple on ne connaît pas bien notre patrimoine et qu'on veut l'utiliser pour créer une nouvelle forme musicale, il est quasi sûr, sauf en cas de supériorité intellectuelle, qu'on se perdra en cours de route et surtout qu'on ne saura pas expliquer à toute la chaîne de communication, parmi elle, les publics.
- Que pensez-vous des festivals en Algérie ? De quoi manquent-ils ?
Il existe en Algérie beaucoup de festivals, mais ils manquent de pédagogie, et de ce qu'on appelle la «médiation culturelle». Le plus souvent, on pense à remplir les salles et non pas à cette idée de transmettre, de réfléchir à ce qu'on propose et intrinsèquement à comment c'est reçu.
- En Algérie la musique flirte dangereusement avec le folklore. Qu'en pensez-vous ?
A mon avis, il faut bannir de notre vocabulaire cette notion de «folklore». Parce que ce terme acquiert une vision péjorative, même si avant il signifiait l'ensemble des productions collectives émanant du peuple et se transmettant d'une génération à l'autre. De toute manière, quitte à choisir, je préfère le mot «tradition» ou «musique traditionnelle» parce que justement on est en relation avec cette question d'enracinement qui nous est nécessaire à tous.