La manifestation vise surtout à sensibiliser les populations des zones montagnardes sur le déboisement, afin de sauvegarder cette richesse naturelle. C'est une première. La commune de Khenak Mayoune a organisé au courant de cette semaine sa première fête de l'arbouse ou El Lenj, comme on l'appelle dans la région de Skikda. L'arbouse est le fruit de l'arbousier, un arbre pouvant facilement atteindre les 15 m de hauteur. Tenue sous le haut patronage du wali et à l'initiative de l'association El Assala pour la promotion de la commune, la première édition de cette fête a constitué une véritable curiosité qui a permis à cette région de sortir de son enclavement. «Le but n'est pas de parler de l'arbouse en tant que fruit, mais plutôt de dépoussiérer l'immense patrimoine culturel et naturel de la commune», explique d'emblée le maire de Khenak Mayoune. Pour Abdellah Narcis, président de l'association El Assala, cette initiative a surtout permis «de sensibiliser les riverains quant à l'importance de l'arbousier pour contribuer à préserver cette richesse que nous entendons valoriser». Lors de cette journée, plusieurs expositions en ont été tenues. Des dégustations ont également été proposées aux convives qui ont eu le privilège de goûter, pour la première fois de leur vie pour certains, à des tartes à l'arbouse, à de la confiture, voire même à des salades de fruits. Des Sassnou à perte de vue Pour expliquer le choix porté sur l'arbousier, il suffit juste de se rendre à Khenak Mayoune aux premières lueurs de l'hiver, période durant laquelle les arbouses arrivent à maturité. L'immense étendue des arbousiers enveloppe alors le paysage de cette région d'une magnifique couverture colorée où s'entremêle le jaune-vert des jeunes fruits au rouge orangé des arbouses mûres. C'est une féerie qu'on ne trouve, avec une telle ampleur, qu'à Khenak Mayoune. Ici, l'arbousier s'appelle Sassnou, un dialecte amazigh qui ne fait que confirmer les origines berbères de cette région. Ici c'est vrai, plusieurs dialectes berbères se pérennisent à travers des noms de hameaux comme Tizeghbane, Taoulel, ou des désignations d'objets tels Azghoule (la louche). Bref, le choix porté sur cet arbre fruitier comme spécificité locale, au point de lui consacrer une fête, a été essentiellement dicté par l'immense étendue qu'il occupe dans le paysage naturel et aussi dans les mœurs des habitants de la région. Ainsi, et selon le maire «plus de 70 % du patrimoine forestier de Khenak Mayoune est formé par l'arbousier». Un fait facile à vérifier en se rendant sur les lieux. Cette richesse a de tout temps contribué à instaurer des traditions séculaires entre cet arbre et les habitants de la région. Des traditions pas souvent bénéfiques puisque les habitants ont fini par trouver dans cet arbre une source de chaleur. «Les habitants ne connaissent pas l'importance de cet arbre et en pensant lui consacrer une fête on cherchait surtout à sensibiliser les habitants, surtout ceux des zones montagnardes, quant à l'importance de cette richesse pour les emmener à la préserver», explique M. Narcis. Dans cette région, l'hiver est des plus rigoureux. N'ayant jamais connu le gaz de ville durant 50 années d'indépendance, une partie des habitants de cette immense région du massif de Collo se chauffe encore au gaz butane et l'autre partie se rabat sur le bois. Et comme il reste l'arbre le plus présent à Khenak Mayoune, l'arbousier va ainsi payer le prix fort du déboisement. Vu sa grande résistance à la chaleur et au froid, le bois de l'arbousier se caractérise par sa solidité. Les branches de l'arbre sont utilisées par les habitants pour en faire des manches pour les pelles et les pioches, et son bois est souvent utilisé pour se chauffer durant l'hiver. «Il ne faudrait pas en vouloir à ces habitants qui ignorent l'importance de cet arbre. Au contraire il faut les sensibiliser et la fête que nous organisons aujourd'hui reste un moyen sûr pour les convaincre de préserver leur richesse naturelle. D'ailleurs, on a été surpris lorsque des habitants sont venus nous dire qu'ils ne savaient pas que cet arbre sauvage avait tant d'importance, en nous promettant de changer leurs habitude et de le préserver», témoigne M. Narcis. Le miel El Merra de l'arbousier Dans cette relation problématique entre les habitants de Khenak Mayoune et l'arbousier, il reste néanmoins à relever que l'arbre reste très présent dans les us et les mœurs. «Il persiste encore des familles qui utilisent l'arbouse pour confectionner des confitures. C'est vrai qu'elles ne sont pas nombreuses, mais elles pérennisent tout de même une tradition bien locale qu'il nous appartient d'encourager », explique le maire de la commune. Il ajoute que l'arbousier apporte également à la région une autre spécificité. « Notre région reste l'une des plus grandes productrices du miel ‘El Merra' (amère). C'est un miel propre à cet arbre et qu'on ne trouve que là où poussent les arbousiers. On a exposé, à l'occasion de notre fête, ce miel qu'on cueille l'hiver et qui reste très demandé pour ses vertus médicinales.» ‘El Merra', comme son nom l'indique est un miel très robuste au goût très corsé. Brun de couleur, il est très conseillé vu ses propriétés antiseptiques urinaires et diurétiques. On lui reconnaît d'autres bienfaits, puisqu'il favorise la circulation sanguine et lutte aussi contre le mauvais cholestérol. Encore faudrait-il se défaire de l'idée du sucré propre aux différents types de miel, et essayer une cuillerée d'El Merra. L'initiative de l'APC de Khenak Mayoune et de l'association El Assala mérite, suite à tout ce qui a été dit, tous les encouragements. Elle est appelée à se poursuivre et on promet de perpétuer cette manifestation. «On a décidé de maintenir cette fête. Sassnou est l'unique richesse de cette région enclavée où vivent plus de 5000 personnes », estime M. Narcis. Pour le P/APC, cette fête reviendra l'année prochaine . «Pour nous permettre d'exposer notre potentiel naturel et de faire connaître notre région, on pense même exporter nos expositions vers le chef-lieu de la wilaya pour permettre aux gens de mieux s'imprégner de notre biodiversité», conclut le maire. Voilà donc une excellente initiative qui doit être soutenue et encouragée, d'autant plus qu'elle concerne un patrimoine séculaire qu'il appartient à tout un chacun de sauvegarder. Bravo pour les 5 000 habitants de Khenak Mayoune et puisse cette fête pousser d'autres localités à en faire de même, et à faire parler du meilleur dont ils disposent pour oublier, un tant soit peu, les dures conditions dans lesquelles survit une grande partie des habitants des zones enclavées de la wilaya.