Même si nous consommons peu de viande comparé à d'autres pays, nous devons prendre très au sérieux l'étude-choc de l'OMS accusant les viandes rouges et transformées d'augmenter le risque de cancer. Sans tomber dans la psychose. Les explications de spécialistes. La viande rouge et la viande transformée classées cancérigènes comme le tabac et l'amiante ! Le document de l'Organisation mondiale de la santé, dont tout le monde parle depuis une semaine, atteste que «la viande rouge serait probablement cancérigène et peut provoquer différents types de cancers, notamment celui du côlon et de l'estomac». C'est en 2014 que s'est réuni un consultatif international afin de recommander l'évaluation de la consommation de la viande rouge et de la viande transformée par le programme des monographies du CIRC (une agence de recherche sur le cancer de l'OMS). «Cette recommandation était fondée sur des études épidémiologiques laissant entendre que les légères augmentations du risque de plusieurs cancers pouvaient être associées à une forte consommation de viande rouge ou de viande transformée. Bien que ces risques soient faibles, ils pourraient être importants pour la santé publique, parce que beaucoup de personnes dans le monde consomment de la viande, et que la consommation de viande est en augmentation dans les pays à revenu faible et intermédiaire (PRFI)», mentionne le rapport. Dans ce cadre-là, le CIRC a jugé important d'apporter des preuves scientifiques faisant autorité sur les risques de cancer associés à la consommation de viande rouge et de viande transformée. Ainsi, l'enquête de l'OMS a porté sur 800 études sur le cancer chez l'homme, menées par 22 experts issus de 10 pays. Il faut savoir qu'en juin dernier, l'Institut français du cancer (INCA) avait abouti aux mêmes conclusions. En effet, il avait affirmé que «les viandes transformées (par salaison, fumaison ou d'autres processus visant sa conservation) sont un facteur de risque pour le cancer du colon-rectum». Suite à cette enquête, la consommation de viande transformée a été classée comme cancérigène pour l'homme (groupe 1). «Les recommandations de l'OMS doivent être prises très au sérieux étant donné la prévalence des cancers digestifs en Algérie», explique le professeur Mostefa Khiati, chef de service pédiatrie à l'EPH d'El Harrach et président de la Fondation nationale pour la promotion de la santé et le développement de la recherche (FOREM). En effet, selon l'organisme de recherche indépendant Global Burden of Diseases Project, 34 000 décès par cancer dans le monde seraient imputables, chaque année, à une alimentation riche en viandes transformées, tandis que les régimes riches en viande rouge pourraient aussi être responsables de 50 000 décès par cancer annuellement. Cependant, plusieurs paramètres rentrent en compte pour établir le degré de dangerosité de la viande rouge transformée sur la santé. Tout est une question de consommation Les Algériens ne sont pas les plus grands consommateurs de viande rouge dans le monde. Selon Hadj Bounouar, «la consommation moyenne annuelle d'un Algérien en viande rouge varie entre 10 à 11 kg, ce qui est largement inférieur à la consommation moyenne mondiale qui avoisine les 20 kg par personne par an». Par ailleurs, une grande partie des études ne comptent pas en grammes mais en portion. Là où la portion algérienne est d'environ 100 g, une portion américaine fait 200 g. Le nutritionniste Loucif Tewfik insiste même sur l'importance qu'occupe la viande rouge dans une alimentation saine. «Une consommation 2 à 3 fois par semaine à raison de 100 g a un effet bénéfique pour notre santé», explique-t-il. Un avis partagé par Samira Achi, spécialiste en nutrition et diététique, clinicienne au centre médical de la Protection civile de Bab Ezzouar : «Les nutritionnistes recommandent de consommer la viande rouge deux fois par semaine. Il est conseillé de privilégier les viandes blanches (volaille et poisson maigre), cela afin de prévenir le cancer colorectal, mais aussi l'apparition de polypes qui eux-mêmes peuvent se transformer souvent en cancer». Il faut aussi parler des différences de cuisson Les études américaines se basent sur le mode de cuisson aux Etats-Unis, où la viande est soit très cuite, soit marquée par la flamme. Et cela peut aussi avoir un impact direct sur la santé. «La cuisson à haute température produit des substances appelées amines hétérocycliques et hydrocarbones aromatiques polycycliques, aussi cancérigènes pour le colon et pour l'estomac», explique docteur Loucif Tewfik. «Voilà pourquoi les grillades sont également incriminées dans le cancer colorectal. Lorsque la viande est grillée généreusement, une couche noire se forme, composée principalement de polyacrylamides, produits hautement toxiques et cancérigènes.» Samira Achi explique : «Ces produits issus de la carbonisation de la viande peuvent ‘‘coller'' à la paroi du tube digestif, allant de l'estomac au côlon, et provoquer par la suite une néoplasie, qui est un développement anormal de cellules qui prolifèrent sans bénéficier d'une fonction ni d'une structure utile à l'organisme.» Pour le professeur Mostefa Khiati : «Si le rapport entre cette consommation et l'apparition de cancers principalement au niveau de la région colique et rectale, de l'estomac et du pancréas n'est pas précisé, on pourrait penser qu'il résulte à la longue de l'interaction de diverses substances chimiques libérés par les produits consommés et les organes directement en contact.» Ainsi, et pour limiter les risques, mieux vaut «éviter de trop cuire ou de carboniser la viande et réduire l'utilisation de modes de cuisson à haute température, comme la friture et la cuisson sur grill et barbecue», conseille le docteur Loucif. On se focalise sur la viande en oubliant un peu vite le reste Le nutritionniste Loucif Tewfik soutient : «Il n'y a pas que les viandes transformées qui peuvent être à l'origine de cancers. L'association avec d'autres produits contenant des agents conservateurs, des améliorants, de l'acide citrique ou encore des colorants peuvent aussi causer des maladies.» Samira Achi rappelle que «les viandes rouges transformées contiennent un taux très élevé en sel (sodium), des conservateurs comme le nitrite de sodium ou l'azotite (E250) et d'autres additifs alimentaires qui peuvent avoir d'autres effets néfastes sur la santé, comme les colorants rouges, notamment le rouge cochenille (E124) connu pour l'instant comme allergisant.» L'alimentation du bétail est aussi en cause «La viande rouge, transformée ou non, présente un taux élevé en graisses saturées, et il a été prouvé dans plusieurs études que ces graisses ont un effet cancérigène au niveau colorectal, si consommées à des quantités plus ou moins importantes», explique docteur Samira Achi. Selon elle : «Le taux de graisses contenues dans la viande rouge est principalement lié à l'alimentation du bétail, et donc le lieu d'élevage aussi.» Sur ce point, la spécialiste affirme qu'en Algérie, comme aux Etats-Unis, la viande rouge est à la base très riche en graisse (au moins 33%). Par ailleurs, «le fer contenu dans les viandes transformées, sous forme libre, peut mener lui aussi à la production de produits toxiques pour l'organisme et ainsi augmenter le risque de cancer, plus spécifiquement le risque de cancer colorectal», précise Loucif Tewfik.