C'est parce qu'il a passé les huit premières années de son enfance en Algérie qu'il ne peut s'empêcher de crier cet amour pour ce pays d'accueil, à chaque fois, dans ses récits littéraires. A la faveur de la tenue du 21e Sila d'Alger, Jean Noël Pancrazi, membre, entre autres, du jury du prix Renaudot- était, jeudi après-midi, l'invité de l'estrade, au niveau de la salle du pavillon C. Jean Noël Pancrazi est né à Sétif. En 1962, ses parents s'exilent dans le sud de la France, à Perpignan. Cette période qu'il a vécue en Algérie, en pleine guerre, va le marquer à vie. En témoignent ses ouvrages, truffés de référents algériens. Parmi ces derniers, citons Madame Arnoul (1995), qui retrace l'amitié entre un petit garçon et une voisine alsacienne, La Montagne (2012), où est décrite la mort de six petits camarades assassinés dans la montagne pendant la guerre d'Algérie. Dans le roman Indétectable, paru en 2014, est retracée la vie de Mady, d'origine malienne, sans papiers à Paris depuis dix ans. Ses séjours en Haïti et en République Dominicaine inspirent l'écrivain à l'écriture de deux romans : Les Dollars des sables (2006) et Montecristi (2009), où il dénonce un scandale écologique. L'écrivain Jean Noïl Pancrazi estime qu'à travers Montecristi, L'indétectable et l'Algérie, il y a une sorte de cohérence. «Peut-être, dit-il, que le départ de l'Algérie, cette expérience-là, le regret de l'Algérie, le retour de l'Algérie aujourd'hui même, m'a permis d'écrire sur tous ceux qui ont connu le même destin ou le même itinéraire dans l'existence». Dans le roman l'Indéfectible, il met en avant-plan la vie d'un sans-papiers. Selon lui, il s'agit d'une vie faite de peur et de quête éperdue de ne pas avoir ses papiers. L'écrivain soutient que c'est une vie qu'il a essayé de connaître, car il pense qu'un romancier, ou encore un écrivain, ne peut parler que de ce qu'il connaît et ce qu'il peut voir. Il explique qu'il n'a pas d'imagination : «Je ne peux pas écrire sur quelque chose que je n'ai pas vu ou que je n'ai pas ressenti. Pour écrire sur un sans-papiers, il faut être le plus près possible de lui. J'ai écrit ce livre avant que la presse ne parle des migrants. Il me semble que c'est le problème essentiel de nos vies puisqu'il y a tant de personnes déplacées à travers le monde. Un écrivain n'a pas à être le témoin, mais néanmoins il doit comprendre et essayer d'être en sympathie et en empathie avec ceux qui sont les victimes de l'histoire et de la société.». Dans le roman Montecristo, Jean Noël Pancrazi a séjourné plusieurs mois à Haïti avec l'idée d'écrire non pas sur sa population mais avec elle. Selon l'écrivain, l'écriture de Montecristo et Indétectable s'expliquent par l'enfance de l'auteur passée en Algérie durant la guerre de Libération nationale. Il est persuadé que ses romans sont paisibles et qu'avec le temps la vie et la distance, l'être humain apprend à être juste et reconnaissant de son passé. Les romans Madame Arnoul et La Montagne sont des livres qui ont été écrits à hauteur d'enfant. Il a essayé de retrouver ce regard de gamin. «Or, dit-il, un enfant ne juge pas, ne condamne pas, mais comprend tout de même comment les choses se passent. Madame Arnoul est l'histoire de l'amitié d'un enfant avec une voisine. Mes parents étaient des personnes tolérantes. Ils n'ont jamais condamné ceux qui voulaient leur indépendance. Je n'ai jamais entendu chez eux une parole de colère. Cette sorte de compréhension de l'époque, Madame Arnoul l'incarnait. Bien sûr que la guerre d'Algérie est présente. L'écriture aborde la paix en soi». A la question de savoir que représente l'Algérie pour Jean Noël Pancrazi et dans ses livres, il répond avec une voix émue par l'émotion : «Je dirai tout. Je retourne vers l'enfance pour voir ce que représente l'Algérie. C'est mon trésor. D'ailleurs, il n'y a pas un livre de moi où je n'évoque pas l'Algérie. Je n'ai pas changé de regard sur la vie et sur le monde depuis l'âge de huit ans. Depuis que j'étais dans la cour de madame Arnoule, où elle venait me voir, beaucoup de choses sont arrivées, mais le rapport au monde est le même.» Jean Noël Pancrazi est convaincu que dans la vie d'un écrivain quelque chose se boucle et que c'est cette boucle-là qui est en train de s'accomplir avec sa participation au Sila 2016 d'Alger. «Je détiens une paix qui vient du sentiment que l'Algérie est là. J'y retourne dans mes livres, dans ma vie et surtout il y a quelque chose qui n'est pas fini. Je n'ai plus vingt ans, mais je compte encore évoquer l'Algérie dans mes livres. L'Algérie, je ne veux pas que ce soit quelque chose de révolu et de passéiste. Ce qui m'intéresse aujourd'hui, c'est de voir autour de moi l'Algérie des jeunes. Je désire que l'Algérie soit un pays heureux autant que possible», conclut-il.