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Mohamed Taïbi. Socio-anthropologue
« Une franche tragi-comédie communicationnelle »
Publié dans El Watan le 31 - 05 - 2007

A partir d'une longue et large exploration du passé, ce chercheur interroge la société actuelle pour en tirer des enseignements précieux.
Vous avancez que les sociétés du Maghreb, notamment en Algérie, ont régulièrement exclu, à travers les âges, les intellectuels porteurs de ruptures fécondes. Est-ce toujours le cas ?
Particulièrement en Algérie, on constate une inflation excessive dans les rituels et une « désertification » du champ de la pensée. L'importation du sens du religieux, la perversion de la fonction sociale de la politique, les négociations déclarées pour contourner et retourner les lois, le rétrécissement drastique de l'espace public, le bégaiement des acteurs de la communication sociale et politique sont autant d'indicateurs d'une culture de communication, non seulement bloquée, mais surtout chétive au plan de l'argumentaire et rudimentaire au plan de ses outils sémantiques et sémiologiques. C'est à cause de ce manque de culture de la communication qu'on constate, médusé, l'infantilisme politique des uns et l'arrogance discursive des autres. Certains des postulants à la représentation politique nationale mettent en scène, et, à leur insu, une franche tragi-comédie communicationnelle qui renseigne sur la culture du personnel politique et nous délivre un constat dramatique sur le devenir du pays. Les identités meurtries, soit par l'agression de l'Autre, soit par l'impuissance du Moi se perdent souvent dans les méandres de la communication sociale éclatée et sans pertinence.
Sommes-nous encore condamnés à la descente aux enfers dans notre monde arabo-musulman ?
Le démantèlement des territoires, la faillite de la fonction critique de la pensée, la déroute des élites et la régression des urbanités, encore vivaces après le naufrage de l'Andalousie, sont autant de signaux qui renseignent sur ce que vous appelez la descente aux enfers et que « les exégètes du Paradis » n'ont jamais, et jusqu'à maintenant vu venir. Les entrechocs internes et la brutalité des chocs externes ont anéanti tout réflexe en mesure d'entreprendre les actions d'un ordre islamique, ou à la limite maghrébin, capable de s'adapter aux enjeux que l'Occident en expansion commençait à imposer à l'humanité toute entière. La pensée structurante commençait alors à faire défaut, les imaginaires des acteurs, tant politiques que religieux, et les imaginations de la aâmma (grand public illettré) se rapprochèrent pour foncer tout droit dans des logiques mystérieusement dites religieuses qui, en fin de compte, détruisirent l'esprit du défi et imposèrent celui de la fatalité. La surproduction maraboutique sonna le glas de tout esprit politique novateur et creusa le tombeau de notre grande mystique. Alors, à travers cette course effrénée vers l'archaïsme qui engendra la sociologie de la misère structurelle, matérielle et spirituelle, et cultiva des siècles durant le despotisme, naquirent progressivement les matrices des mentalités meurtries et souvent meurtrières. La peur de soi et de l'autre, l'effritement des liens sociaux ont, en commun, construit les aâssabiate qui ont rendu presque impossible tout pilotage politique. De la fragmentation des territoires émerge alors, comme une fatalité, l'éclatement des mentalités qui structureront alors et durant des siècles les cultures des conflits.
La fragmentation, une notion qui se retrouve dans l'ensemble de vos travaux, pourquoi y revenez-vous toujours ?
Au-delà de la question des mentalités, la logique de la fragmentation dont je parle est repérable à deux niveaux. Le premier se situe an niveau de la rupture avec l'idéologie portée par l'homme mouwahidien, cher à Malek Bennabi, et la fin de l'esprit d'intégration politique maghrébine ancrée difficilement et violemment par les mourabitoune d'abord, et ensuite les mouwahidoune. Le second est lié à l'émergence des dynasties ethniques fondées sur des moulks de parenté. Les Mérinides, les Zianides et les Hafsides n'ont jamais cessé leurs guerres internes et ont, en fin de compte, conduit tout le Maghreb à un effritement sans précédent. C'est à ces deux niveaux que se situent les matrices des aâssabiate écologiques (ruralo-bédouines) et les excitations idéologiques (confrériques) qui ont favorisé les autonomies des territoires, au détriment de la logique d'Etat et de sa centralité politique. Ce sont ces pratiques et logiques qui sont le creuset des analyses khaldouniennes. Par la suite, ces tendances expliquent en grande partie les paradoxes qui ont caractérisé le résistantialisme algérien particulièrement. Les efforts et les sacrifices des populations ont souvent été annihilés par ces logiques aâssabiennes et les stratégies tribales. L'émir Abdelkader a dépensé plus d'énergie pour réorganiser et discipliner les Algériens autour de son combat que pour combattre ses adversaires colonialistes. S'il faut réécrire un jour l'histoire du nationalisme algérien, il faut reconnaître à Messali Hadj le mérite d'avoir, avec panache, sacrifice et clairvoyance, projeté les Algériens dans un projet de modernité politique fondé exclusivement sur l'esprit d'ordre et l'action militante dévouée exclusivement à la patrie. Comme il faut reconnaître à Ibn Badis, l'effort inédit dans le domaine de la refondation identitaire algérienne. Il se soucia plus de l'éducation et de la pureté de l'Islam que des contingences imposées par l'ordre d'occupation coloniale. Habitués aux régressions et aux ratages, nous n'avons pas attendu longtemps pour brader notre « nationalisme libérateur et identitaire » et le dilapider contre un nationalisme aâssabien, à bien des égards populiste et sans perspective. La mentalité de la ghalaba qui nous anime ne laisse aucune place à l'esprit du consensus en politique, et la société toute entière s'installe à son corps défendant dans la valse des conflits incessants. Les coups et les contrecoups politiques, le tawrith et le despotisme débridé, ont engendré alors les nouveaux dépositaires qui ont pris à leur compte le capital symbolique partagé, l'Islam avec ses normes et sa spiritualité. Dans ce cas, la oumma ou ce qu'il en reste n'a plus rien à se partager.
Vous affirmez que le monde arabe est d'abord une identité culturelle plurielle avant d'être une affaire de race…
Le paradigme « monde arabe » relève d'abord de ce que j'ose modestement appeler « la géo-culture ». L'approche pluridisciplinaire comme méthode et un voyage dans les temps m'a permis de retourner les questions et, pour mieux la comprendre, d'attaquer à partir de substrats culturels la formation de cette identité qui semble si tenace et si irréductible. Comment les langues, toutes les langues, comment les documents historiques, les mythes, les généalogies, les traces archéologiques et écologiques, mais surtout les religions, ont construit progressivement les sens, la sémantique et la sémiologie du paradigme « arabe » et son corollaire « l'arabité ». Le résultat est que les Arabes n'ont jamais été une race, mais seulement un long et lent processus de brassage multiple et varié qui trace les contours d'une architecture identitaire dynamique ouverte, mais aussi complexe et imprévisible. La formation de l'identité arabe ressemble étrangement à celle du dromadaire : de la patience et de la fidélité, il peut passer en un clin d'œil, et pour des raisons essentiellement normatives, à l'agressivité, à la sédition et la révolte. Il renferme une capacité d'adaptation à la défaite mais, tel un feu sous les cendres, il peut attendre des générations pour réaliser son coup et laver l'honneur de la tribu qui l'habite plus que tout autre image politique.
Dans vos différentes analyses anthropologiques, vous affirmez que, contrairement à ce qui a été dit, le monde arabe a produit des intellectuels authentiques et critiques qui ont pu théoriser chacun en son temps, l'échec de la civilisation musulmane…
Dans les trajectoires des grandes urbanités musulmanes, ont émergé des intellectuels qui ont marqué avec éloquence et perspicacité le génie créateur et l'esthétique d'une civilisation remarquable. Car, contrairement à ce qui est admis, des figures d'une pensée inégalée et toujours féconde et rayonnante sont nées dans les matrices de la civilisation islamique. Au-delà de l'inflation doctrinaire et le déluge discursif du nakl, les intellectuels musulmans n'ont jamais raté la rencontre avec le génie des grandeurs ni avec le génie qui théorisa l'échec sans l'éviter. Il faut vous dire que la théorie de l'échec de la civilisation islamique et la « décadence » de son esprit n'ont nullement échappé aux préoccupations de cette élite aux mérites, hélas jamais reconnus. La question des élites et des compétences sont l'une des problématiques qui structurent les paradoxes et les dérives d'un monde arabe épuisé et impuissant à s'engager sans régression ou échec dans « les sentiers lumineux » des modernités fécondes et novatrices. Ibn Rochd qui réinventa la philosophie du politique n'a pas cédé jusqu'au dernier souffle de sa vie, aux poids des aâssabiate politiques et aux exigences d'un discours « religieux » qui a ruiné l'esprit critique repris plus tard par Ibn Khaldoun pour composer avec talent les contours d'un savoir social en mesure de prendre en charge la gestion des ordres sociaux. Sur la même lancée, Ibn Hazm, le troubadour, n'a pas hésité à dire et à lire les subjectivités humaines dans le but de décomplexer les hommes et les femmes de leurs « pêchés coupables ». Le collier du pigeon est un chef-d'œuvre en matière d'esthétique humaine. Alors, l'inconnu des cavaliers de la lumière, Ibn Al Azrak, écrivit cinquante ans après Ibn Khaldoun, une autre encyclopédie qui est le segment complémentaire de ce que je considère comme étant le cadrage théorique et analytique du détournement annoncé d'une civilisation qui a perdu ses aiguilleurs et pourfendu ses vrais acteurs au profit de logiques écolo-religieuses animées par les assabiate et poussées par la prédation. Les urbanités, laborieusement élaborées, et les cultures raffinées cédèrent face aux coups de butoir de la mentalité agressive et prédatrice. L'expansion de l'Occident aidant, les élites ont souvent abandonné leurs projets pour se consacrer, soit dans des fonctions de cadi, soit dans le soufisme et ses khalwate.
Sommes-nous condamnés à demeurer dans cette spirale de la violence que vous appelez, vous, mentalité agressive et prédatrice ?
Dans un livre qui sortira cette année, je tente de construire « une théorie du terrorisme ». Le résultat de ma recherche est que le terrorisme, comme acte et comme langage, est d'abord historique et n'a épargné aucune culture et surtout aucune religion. Les terrorismes actuels constituent probablement un modèle inédit dans les pratiques terroristes. C'est pour cela que je dit que la constance des logiques qui animent les entreprises de violence se vérifie dans toutes les cultures du monde quand le sacré s'impose comme sortie essentielle d'un engrenage politique ou quand le sacré et ses références constituent l'essentiel des sources qui alimentent soit un retour identitaire, soit aussi une bipolarisation idéologique que la politique n'a pas pu piloter convenablement. Le terrorisme reste, à travers son histoire d'ailleurs lointaine, une exception et non une règle dans l'histoire de la violence humaine. Dans l'analyse que j'ai pu faire pour comprendre les logiques des sectes (firak, milal, nihal), j'ai relevé que le terrorisme est forme d'expression, un langage et une impasse. Il peut retarder les échéances, détourner pour un temps les tendances, affaiblir les forces des ruptures, mais il finit toujours par consommer son propre échec. En termes de production du sens religieux, les exégètes du « prêt-à-penser », ont accablé pour longtemps les croyants pour construire des identités accablées et justifier la déroute de la oumma par des argumentaires de la peur et la norme de la déraison.
Selon vous, le Maghreb s'est très tôt installé dans l'esprit renfermé des Etats-ethnies ou encore des dynasties ethniques. Quel en est le facteur ?
C'est le revers sociologique de la cadence des urbanités musulmanes qui étouffa, des siècles durant, la barbarie de l'Occident. Et c'est aussi sa décadence comme espace, et comme norme et esthétique, qui s'essouffla pour les raisons que je viens d'évoquer. Depuis le XVe siècle, le monde maghrébin, pour ne citer que cette partie du monde musulman, a vécu un exode pervers. L'exode urbain et l'assèchement de la sève urbaine. A titre d'exemple, Oran, ville méditerranéenne située au cœur du Maghreb, a subi deux fractures, l'une démographique et l'autre physique. Les Espagnols l'ont vidée des notabilités et le tremblement de terre qui l'a presque rasée a facilité l'ouverture de l'urbanisation coloniale qui en a profité pour détruire sa mémoire et surtout la mémoire des lieux. Si les Turcs et aussi la déliquescence des tribus ne l'ont pas gâtée, Oran est restée néanmoins une ville méditerranéenne sage et communicante. Souvent, dans la discrétion ou encore l'oubli, elle habite les cœurs de ceux qui l'ont vue ou lue. Oran est un livre qui permet d'écrire beaucoup d'autres livres. Une élue de la municipalité d'Athènes me racontait, lors d'un colloque à l'étranger, qu'elle était amoureuse d'Oran sans l'avoir jamais visitée. Habitée par Camus, elle s'est vue aussi habitée par Oran. Aujourd'hui, la question urbaine et les cultures sous-jacentes sont au cœur des modernisations sociales et constituent une donnée majeure pour les équilibres structurels du pays. C'est pour cela que je dis qu'il y a un retard flagrant, pour ne pas dire énorme, chez nos dirigeants en matière de culture de la communication.
BIO-EXPRESS
Né en 1954, Mohammed Taïbi est socio-anthropologue. Il enseigne à l'université d'Oran et se consacre à l'analyse et à la compréhension de « l'humanité, de l'Islam et de sa civilisation ». Il inscrit ses recherches particulièrement, mais non exclusivement, dans deux éruditions majeures : la pensée d'Ibn Khaldoun et la méthode de Berque. Il a publié aux éditions Dar El Gharb (Oran) deux ouvrages : Les Arabes, origine et identité (inspiré de sa thèse de doctorat d'Etat : Les Arabes : parenté, sacré et pouvoir) et Les Mentalités algériennes avant l'occupation. Il a participé également à la rédaction d'un ouvrage collectif intitulé : Les Enjeux du mandat du président Bouteflika, analyse institutionnelle, sociologique et politique. Actuellement, deux de ses ouvrages sont en cours d'édition : Pour une théorie du terrorisme (à paraître à Beyrouth) et L'Emir Abdelkader et son Maghreb, analyse d'une pensée en action.


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