Confidences Pourquoi faut-il toujours chercher la vérité auprès des autres et essayer d?enterrer la sienne, comme si elle n?a jamais existé ? Aujourd?hui, j?ai décidé de vous apporter mon témoignage, de mettre le journalisme de côté et de me confier. Je l?avoue, c?est très difficile de parler de soi-même, de s?écrire sur les pages d?un journal. Je me rappelle le jour où je suis rentrée brusquement dans ton bureau pour me plaindre du comportement déplacé et abusif de certains responsables du journal, t?avouant, outrée, qu?ils me font subir un chantage sexuel permanent et qu?ils sont arrivés même à m?humilier publiquement, parce que je n?ai jamais cédé. Ils refusaient de faire passer mes articles, voulaient parfois m?obliger à les réécrire en guise de châtiment à cette résistance farouche que j?opposais. Du coin de ton sinistre bureau, tu me regardes abasourdi, puis tu souris, comme si je venais de te raconter une blague salace. Puis, sereinement, tu te lèves, ta main épaisse et âpre ma tapote l?épaule : «Ma fille, le journalisme n?est pas un boulot de nana !», me lances-tu. Tes lèvres et tout ton corps frémissent en prononçant ces paroles vides, comme si tu venais de réciter une terrible vérité. Je tente de t?expliquer vainement, le regard embué, la voix entrecoupée, que ce n?est pas une question de courage, mais de respect et de dignité humaine. Je n?avais pas encore compris qu?à travers ces yeux inquisiteurs qui me guettent, tu déniais secrètement cette fierté féminine qui t?a explosé à la figure. Tu as même accepté que je sois sévèrement sanctionnée parce que je n?ai pas voulu assurer ma couverture. Tu l?as considéré comme un refus de travail et l?on m?a retiré 600 DA de mon minable salaire. Pourtant, le rédacteur en chef m?a bel et bien manqué de respect, les collègues en sont témoins. Je sais que pour le directeur de la rédaction, rien n?a été aussi «incorrect et inadmissible» que cette insoumission féminine qui a osé défier ta masculinité. Sous ces apparences de démocrate invétéré, de syndicaliste libre et insurgé, tu enfouis cette foi archaïque, cette mentalité qui fait de toi un enfant frustré, un homme qui méprise tout ce qui est féminin. Une femme ne doit jamais dépasser les hommes, elle doit se soumettre, même injustement. Je suis sortie effondrée et humiliée doublement de ton bureau, te claquant la porte au nez. «Si c?est le prix de ma liberté, de ma révolte, je l?assume !» Tu as tout de suite pris position, tu t?es senti concerné comme tout homme à ta place. Je ne devais, en aucun cas, perturber et affronter ta virilité, pourtant, ma féminité a été froissée et ma dignité a été piétinée. Toi, prôneur de libertés, débiteur de mots, ne sais-tu pas qu?à travers ce geste, tu renies ta masculinité et tu déclares ouvertement ton «impuissance» ! Je crois que le vrai journalisme, c?est avant tout se dénoncer et ne pas seulement dénoncer les autres.