«Eminemment économique». C'est ainsi qu'est présentée la visite en Algérie du Premier ministre français, Jean-Marc Ayrault. La délégation qui l'accompagne le confirme : la ministre du Commerce extérieur, Nicole Bricq, le ministre du Redressement productif, Arnaud Montebourg et des hommes d'affaires dont le patron du Medef. Certes, l'établissement de rapports politiques sereins est un passage obligé à la construction duquel se sont déjà attelés les deux présidents, algérien et français, mais ce chantier ayant relativement avancé, M. Ayrault vient le consolider avec un renforcement des relations économiques. Et Alger est disposée à souscrire à cet objectif. L'Algérie et la France «réunissent les facteurs de complémentarité» économique qui leur permettront de donner une nouvelle impulsion aux relations économiques et de nouer de nouveaux partenariats, dira le ministre du Développement industriel et de la Promotion de l'investissement, Amara Benyounès, à la rencontre économique qui a regroupé, hier, les hommes d'affaires des deux pays. M. Montebourg renchérira en affirmant que les économies des deux pays «peuvent bâtir des stratégies d'Etat à Etat, mais aussi d'entreprise à entreprise [...]. Nous cherchons les même choses : redresser nos appareils industriels respectifs à travers une politique commune de co-localisation, visant le maintien et le développement de l'emploi dans les deux pays ainsi que la conquête ensemble de marchés potentiels». Le terme est lâché : la co-localisation, comme politique de partenariat. Mais qu'est-ce donc ce concept de co-localisation que la France vient de lancer et qui est brandi aussi bien par M. Hollande que son Premier ministre ou son ministre du Redressement productif ? Selon les économistes, cela veut tout simplement dire qu'un pays donneur d'ordres propose à un pays moins développé d'y faire fabriquer, sur la base d'un partenariat, des composants intermédiaires industriels à forte valeur ajoutée par une main-d'œuvre qualifiée et moins chère, ce qui permet au pays donneur d'ordres de produire à moindre coût sans sacrifier des emplois chez lui et au pays producteur de bénéficier d'une formation et d'une spécialisation de sa main-d'œuvre. C'est en fait une forme améliorée de la délocalisation, avec un certain équilibre dans le partenariat. Mais on est tout de même loin du 50/50, fifty-fifty, «gagnant-gagnant», «winer-winer» qu'on nous sert à toutes les sauces, relevées avec des discours aussi engageants que prometteurs. Pour l'heure, on en est toujours aux accords coopération qui n'impliquent aucun investissement ni production de quoi que ce soit. Dans un entretien à lexpansion.lexpress.fr, El Mouhoub Mouhoud, professeur d'économie à l'Université Paris-Dauphine, explique que la co-localisation est censée être bénéfique pour les deux parties, mais elle ne se décrète pas. «La co-localisation produit des effets de compensation qui ont un impact positif sur l'emploi et la compétitivité de l'entreprise commanditaire. Dans un premier temps, certes, le donneur d'ordre substitue des travailleurs étrangers à la production nationale. Mais rapidement, sa compétitivité coûts et hors coûts s'en trouvent accrues, ce qui lui permet de gagner des parts de marché, d'investir, et donc de créer des emplois. Quant au pays exécutant, le bénéfice le plus important réside dans la formation, la professionnalisation de la main-d'œuvre, et l'enclenchement d'une remontée des filières industrielles. Dit comme cela, tout va bien dans le meilleur des mondes, mais on ne décrète pas la mise en place de tels partenariats en un claquement de doigts [...]. Deux défis majeurs précèdent l'instauration de telles alliances : la professionnalisation de la main-d'œuvre et l'ouverture des marchés. Dans le cas de l'Algérie, nous avons affaire à une mise en jachère de milliers de diplômés prêts à se lancer dans la vie active. Si l'on ne se charge pas, au préalable, de former ces jeunes par la pratique d'un métier, tout ce discours sur la co-localisation ne tiendra pas la route [...]. Quant à l'ouverture des marchés, elle est essentielle pour multiplier les débouchés. N'oublions pas que les entreprises agissent en fonction de leurs intérêts», indique-t-il. Même le projet de construction de l'usine de montage Renault-Algérie à Oran ne peut être pris comme un exemple de co-localisation. «Il s'agit d'un investissement direct pour accéder au marché régional. Le constructeur ne prévoit pas, dans un premier temps, de commercialiser la production de ce site en France. S'il le fait, on pourra parler alors de co-localisation», affirme l'économiste. Au final, la montagne n'a pu, jusque-là, accoucher que d'une souris. Il reste encore de la besogne à abattre et du chemin à creuser pour arriver à ces partenariats où un pays est plus gagnant que l'autre. Surtout que l'autre a, aujourd'hui, des atouts que l'économie française, qui a été fragilisée par une désindustrialisation -d'où un ministère du Redressement productif- et perd de plus en plus de terrain sur le marché algérien devant des concurrents comme les Etats-Unis, la Chine, la Turquie et d'autres pays émergents, devrait s'empresser d'intégrer dans ses calculs et perspectives, en les estimant à leur juste valeur et, surtout, en opérant les correctifs de trajectoires nécessaires, tant en termes de relations économiques qu'en termes de rapports politiques. Car, le terrain perdu ne peut être reconquis autrement. Au contraire, à trop attendre, il risque de grandir, l'Algérie ayant décidé de diversifier ses partenaires et de s'ouvrir à toutes les coopérations, qu'elles soient Nord-Sud ou Sud-Sud, qu'elle encourage et privilégie d'ailleurs. Evidemment, il appartient à l'Algérie de défendre ses atouts, de les valoriser et de les monnayer. H. G.