Elle court, elle court, comme dit la célèbre chanson de Michel Sardou. Mais il ne s'agit pas, dans le cas présent, de la maladie d'amour. Elle, l'indéfinissable, court plus vite encore et elle enfle à la vitesse même de sa propagation. «Elle est sale, elle est glauque et grise, insidieuse et sournoise, d'autant plus meurtrière qu'elle est impalpable. On ne peut pas l'étrangler. Elle glisse entre les doigts comme la muqueuse immonde autour de l'anguille morte. Elle sent. Elle pue. Elle souille. C'est la rumeur», ainsi décrite par Pierre Desproges, philosophe du rire noir et auteur des Réquisitoires du Tribunal des flagrants délires. Ici, le récent exemple de flagrant délire, est une histoire de corneculs de la mer molle qui aurait pu être amusante, comique, drôle même, si elle n'annonçait cycliquement la mort du chef de l'Etat algérien et, depuis presque un an déjà et tout récemment encore, celle du maître du chaabi Amar Ezzahi. Et cette sale rumeur est d'autant plus ravageuse qu'elle est souvent colportée et amplifiée par des journalistes, parfois même par des directeurs de publications. Un journaliste digne de ce nom a pourtant vocation à être rigoureux dans son rapport aux sources. Tenez, la nature, la qualité et la crédibilité de la source, le Coran en parle justement. Et il dit précisément des choses sur la source quand elle est malveillante. Et il recommande de vérifier l'information qui met le masque de la rumeur : «Ô vous qui croyez ! Si un homme pervers vous apporte une nouvelle, vérifiez-en la teneur, de crainte de faire du tort à des innocents, par ignorance, et d'en éprouver ensuite des remords» (49.26). Dans le cas d'Amar Ezzahi, souffrant et qui a bénéficié, à bon droit et de pleins droits, d'une prise en charge médicale à l'étranger, la rumeur, absolument toxique, a annoncé, en boucle sur les réseaux sociaux, la mort de l'anachorète du melhoun. Colporteurs de la rumeur insidieuse et certainement corbeaux de mauvais augures, reproducteurs imbéciles du brouhaha, qui ne prennent pas le temps de la réflexion et du doute, encore moins de vérifier ce qu'ils propagent. S'il était encore de ce monde, le poète arabe Al-Mutanabbî aurait répété ce vers selon lequel «chaque maladie a sa solution thérapeutique sauf l'épaisse crétinerie qui désespère celui qui la traite» ! Que faire alors contre la rumeur ciblant Amar Ezzahi ? Rien d'autre que d'apporter de la lumière en livrant l'éclatante vérité du moment, établie dans la plus étroite proximité des rares sources proches : Cheikh Amar Ezzahi est toujours parmi nous, certes pas bien portant comme on le sait déjà, mais bien en vie et déterminé à retrouver une meilleure santé, plaise à Dieu ! La réalité est que de bonnes volontés algériennes, y compris celle du président de la République, se sont rassemblées pour lui offrir des conditions de soins en rapport avec son état de santé. Les démarches sont en cours et l'artiste émérite devrait quitter prochainement le pays. Bénéficiaire qu'il est d'une prise en charge que l'Etat et le pays lui doivent, du fait même d'y avoir contribué indirectement en refusant de percevoir les millions de dinars de droits d'auteur échus. Amar Ezzahi la mérite d'autant mieux que le bonheur qu'il donne aux mélomanes devrait être remboursé par la sécurité sociale ! Mais revenons au phénomène de la rumeur dont la source d'émission est souvent un ducon la trompette qui peut être parfois un journaliste X ou Y. Un folliculaire qui tape plus vite que son ombre sur son clavier d'ordinateur ou de Smartphone, à l'affut du moindre bruit et prompt à chercher le buzz, et à faire toute une toile sur le Net ! Et hop, à la vitesse à laquelle ces journalistes ou ces internautes pianotent sur leurs claviers, ils diffusent ou relaient la rumeur assassine. C'est alors que la rumeur-boule de neige, ce plus vieux média du monde, enflamme le Web et ravage Twitter et Facebook, telle une tumeur métastatique. Se constitue alors, au pays comme dans la diaspora, une incroyable chaîne de relayeurs de la rumeur qui ont acheté le vacarme pour le vendre comme une nouvelle sûre, chacun selon son style, son intérêt, sa névrose, ses états d'âme ou le degré d'affection supposé à l'endroit du cheikh du chaabi. Mais sans des milliers de jobards, la rumeur en cause n'aurait pas fait son ramdam en ligne et la vraie-fausse information de la «mort» d'Amar Ezzahi aurait fait «tchoufa», comme on disait à Bab El Oued au moment de l'anisette. Et «pschitt » comme aurait dit Jacques Chirac. Et voilà comment un exécrable bobard, balancé par des divulgateurs d'écume, devient tumulte et une histoire à prétention de vérité, grâce à une armée de renifleurs de pets de vache ! Radio-moquette algéroise et radiotrottoir algérien dans l'exil ont donc fonctionné en modulation de fréquences ! Il est vrai que l'enjeu est supposé valorisant, la personne, objet du canular vénéneux, étant importante et très aimée. C'est en effet Amar Ezzahi lui-même et, avant lui, le chef de l'Etat en personne : deux Algériens dont l'état de santé est en effet l'objet d'interrogations récurrentes. Dans cette histoire, on est en présence d'un phénomène classique d'implication collective. Un processus traditionnel d'assimilation de la rumeur, de son appropriation et de son amplification. Phénomène un peu mieux connu depuis que l'Allemand Louis William Stern a exposé le Protocole expérimental de la rumeur. Mais, ce coup-ci, ce n'est pas simplement l'homme qui a vu l'homme qui a vu l'ours. C'est le téléphone arabe qui a fonctionné, à sonneries répétitives, sur Facebook, Twitter et la blogosphère. Mais c'est surtout un ragot auquel d'aucuns ont voulu conférer l'apparence de la vraisemblance. Mais voilà que la rumeur meurtrière s'avère finalement un tuyau crevé et que le ridicule tue finalement ceux-là même qui ont assuré la fortune éphémère de la rumeur. Heureusement. N. K.