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Voyage au bout des souffrances muettes…
Un Ramadhan au foyer des personnes âgées et handicapées de Sidi Moussa
Publié dans La Tribune le 13 - 09 - 2009


Photo : Riad
Par Abderrahmane Semmar
Il est des visages ridés sur lesquels on peut lire des déchirures profondes. Il est des vies qui furent de longs voyages vers la souffrance. Il est des destins tragiques où les mots pour les raconter sont aussi rares que l'eau douce dans les océans salés. Dans le monde des sans voix, seuls les soupirs fusent des corps chétifs et frêles qui peuplent les hospices. Des foyers qui servent de refuge à des personnes âgées mises au banc de la société. Une société égoïste qui exorcise sa peur de la vieillesse en stigmatisant les personnes âgées en difficulté. Celles-là lui renvoient à la figure le miroir de ses turpitudes. Enfermés dans un univers de souffrances muettes, ces «vieux» et ces «vieilles» se battent contre le temps et s'accrochent à la vie malgré l'indifférence et le mépris que la société, celle à laquelle ils ont tout donné, leur inflige. C'est dans cette précarité, incarnée dans les regards larmoyants, qui tourmentent les âmes que des milliers de grands-mères et grands-pères passent le reste de leur vie dans les 28 foyers répartis sur les 23 wilayas du pays. Mais de tous ces foyers, celui des personnes âgées et handicapées (FPAH) de Sidi Moussa se distingue par ses histoires émouvantes et son cachet particulier. Ce plus grand foyer du pays s'étend sur une superficie de 11 hectares, il peut accueillir jusqu'à 300 personnes. Situé dans une plaine verdoyante et faisant face aux monts majestueux de l'Atlas blidéen, ce foyer jouit d'un calme et d'un panorama qui inspirent la quiétude aux âmes les plus troublées.
Il faut dire qu'après des temps troubles et obscurs, ce foyer vient de renaître de ses cendres. Depuis que le nouveau directeur, Djamel Challal, a pris les rênes d'un centre dont la réputation s'est étiolée à cause des mauvais traitements que les pensionnaires subissaient au quotidien, le foyer de Sidi Moussa retrouve peu à peu sa vocation en tendant une main chaleureuse à ces «radiés» de la société. En effet, aujourd'hui, force est de constater que la période sombre du centre est désormais dépassée. Pour preuve, des pavillons ont été restaurés, des jardins réaménagés, des ateliers d'alphabétisation, d'élevage des animaux, etc. ouverts et, surtout, le comportement des éducateurs a complètement changé avec les pensionnaires. «Ce foyer est passé par une période difficile. N'oubliez pas qu'il est situé également dans une région qui a connu les affres du terrorisme. Il en a vraiment beaucoup souffert. Aujourd'hui, nous voulons restituer aux personnes âgées leur dignité. C'est pour cela que nous voulons améliorer sans cesse le traitement qu'on leur consacre», confie d'emblée le directeur de l'établissement, le dynamique Djamal Challal, qui a accepté volontiers de nous servir de guide.
Des personnes âgées cohabitent avec des malades mentaux
Avec 237 personnes prises en charge, le foyer nous offre autant de parcours, d'histoires, de drames et de destins qui s'en vont en lambeaux. Mais malgré les blessures du passé, les solitudes du présent, le foyer est pour ses pensionnaires l'ultime espoir de recouvrer une dignité qu'ils croyaient perdue à jamais.
Il se décline sur quatre pavillons : les personnes âgées, les grabataires, les malades mentaux et les femmes. Parmi les 237 pensionnaires, on ne compte pas moins de 70 femmes. Or, si le foyer compte 11 attardés mentaux, le nombre des malades mentaux, quant à eux, s'élève à 112. Sur cette cohabitation entre
personnes âgées et malades mentaux, Djamel Challal ne nous cachera pas ses inquiétudes. «Il est clair que nous souffrons de cette cohabitation dangereuse qui entraîne souvent des incidents entre les pensionnaires. Dans notre pays, on a toujours confondu les malades mentaux avec les attardés mentaux. Nous n'avons jamais développé une conception approfondie de la prise en charge des maladies mentales sans oublier que les structures psychiatriques font cruellement défaut en Algérie. Nous sommes victimes de cette situation. Toutefois, on s'efforce toujours de faire en sorte que tout le monde puisse bien vivre ensemble», souligne Djamel Challal, la mine enjouée, et souriante au visage. Cette gaieté qui contraste avec l'atmosphère lugubre des lieux met beaucoup de baume au cœur des «réfugiés» du foyer. Les pensionnaires abandonnés à leur silence dans les couloirs du centre se réveillent brusquement de leur torpeur au contact de cette bonne humeur qui leur rappelle, à coup sûr, que la vie ne les rejette pas entièrement. «Ici, on leur sourit. On s'amuse, on rigole. Tout est fait pour leur transmettre de la tendresse», s'esclaffe notre interlocuteur. Une tendresse qui a réconcilié les pensionnaires du foyer avec eux-mêmes, notamment en ce mois de Ramadhan où pas moins de sept soirées, animées par de célèbres chanteurs, à l'image de Salim El Hilali, sont organisés en collaboration avec l'Etablissement Art et Culture au profit de ces «intouchables» de l'Algérie des années 2000.
Naguère antre de la souffrance et de la maltraitance, le FPAH de Sidi Moussa s'est transformé, désormais, en un espace de détente où le répit soulage des personnes âgées «brisées» par la vie. Ce constat est vérifiable sur le terrain au vu des chantiers initiés par la direction du foyer.
Un hammam flambant neuf est sur le point d'être achevé.
Un service des grabataires connaît actuellement une totale rénovation. Ce pavillon qui fut un véritable dépotoir sera dans les mois à venir entièrement rénové et équipé. «J'ai insisté pour que les grabataires bénéficient de la meilleure des prises en charge car ce sont les plus fragiles. Souvent, la vie ne leur accorde qu'un bref séjour parmi nous», explique Djamel Challal. Ce dernier nous avoue qu'il ne cessera jamais de taper sur la table pour exiger de sa tutelle le déblocage de toutes les enveloppes budgétaires nécessaires à l'amélioration des conditions de vie des pensionnaires du foyer. Des pensionnaires qui se rendent, eux aussi, compte de l'ampleur du changement accompli.
«Par le passé, on n'hésitait pas à violenter les personnes âgées»
Le visage mangé par une barbe blanche et le crâne presque nu, Ammar, un des pensionnaires les plus atypiques du foyer, nous confirme du haut de ses 57 ans que la métamorphose du FPAH de Sidi Moussa est en train de se faire. Un corps musclé, des yeux bleus, un niveau d'instruction très élevé, Ammar épate tous ses interlocuteurs. Mais, lui, il en avait vu des choses dans le foyer au cours de ces cinq années passées ici. «Pour mesurer le changement, il faut comparer le jour à la nuit. Auparavant, on traitait les pensionnaires comme des bêtes. On n'hésitait pas à les violenter pour n'importe quoi. C'était un spectacle désolant. Des personnes âgées ont même été conduites manu militari à la sortie du foyer parce qu'elles ont osé contester ces maltraitances. Croyez-moi, le personnel détournait même la nourriture des grabataires, des vieilles personnes auxquelles il ne restait que quelques jours à vivre. Ils se sont conduits comme de véritables misérables», raconte le valeureux Ammar qui garde encore des séquelles de cette période funeste. «Moi, je faisais du sport pour maintenir ma forme et dissuader les éducateurs qui voulaient s'en prendre à moi à la première occasion. Ici, par le passé, il fallait se défendre sinon on était foutu. Dieu merci, ces deux dernières années, le nouveau directeur a remis de l'ordre dans la maison et, depuis, beaucoup de choses ont changé», poursuit-il sur un ton rassurant. Une assurance qui se dissipe lorsqu'on essaie de lui arracher des bouts de son histoire. «J'ai commis un crime d'honneur, en Italie, où je résidais depuis longtemps. J'ai dû alors rentrer précipitamment au pays. Cela fait 7 ans que j'essaie de me réintégrer mais en vain. Sans boulot, sans attaches familiales, j'ai galéré et je me suis retrouvé ici. Vous savez : nul n'est à l'abri et quiconque peut se retrouver un jour dans un hospice. En Algérie, la cellule familiale s'est effondrée et la vieillesse est devenue une épreuve dramatique», confie Ammar avec une lucidité étonnante. Même lui qui fut un informaticien, maîtrisant quatre langues, chevronné, n'a pas échappé aux «vicissitudes de la vie», comme il aime à dire sans nous livrer davantage de détails. Si le passé est tu, les blessures ne sont guère cicatrisées. Et chez certains pensionnaires, il ne faut nullement délier les langues pour apercevoir sur leurs visages des larmes couler lorsqu'on les aborde.
«Il ne faut pas remuer le couteau dans la plaie», répondent-ils à nos sollicitations. Lorsque la vie creuse des plaies profondes, les mots ne peuvent aucunement les combler. Cependant, certains parlent dans leur quête d'un exutoire pour leurs attentes, leurs angoisses et leurs hantises. Ammi Ahmed, les
70 ans révolus, le visage blanchi et ceinturé d'une longue barbe, est dans ce foyer depuis 2002. Ancien chauffeur à la RSTA, il fut un brave travailleur qui a fait don de toute sa personne à son entreprise, à sa famille et à ses amis. Mais, aujourd'hui, il est seul dans ce foyer et personne ne daigne lui rendre visite, même pas ses enfants. Ces derniers ne viennent que les 25 du mois pour quémander une part de sa retraite. «Hier, j'ai appelé mon fils et il m'a raccroché au nez», lance-t-il les larmes aux yeux. «Et pourtant, j'ai consenti à tous les sacrifices pour les éduquer. J'ai donné toute ma vie pour eux», assure-t-il. Avoir
15 enfants pour se retrouver après dans un hospice ? C'est le triste destin d'ammi Ahmed qui a failli se suicider à maintes reprises, en tentant de se pendre à un arbre, à cause de ses déboires familiaux. Ses problèmes avec son voisinage, ses enfants ingrats et sa femme indélicate l'ont poussé à fuir le domicile et dormir dehors dans le marché de gros de Khemis El Khechna. Une vie de chien dont il ne sortira indemne que lorsqu'il sera hébergé dans le foyer de Sidi Moussa. C'est ici qu'il tente de se reconstruire du mieux qu'il peut.
Mais au FPAH de Sidi Moussa, il n'y a pas que des personnes âgées. Le foyer a pour mission d'accueillir des cas sociaux âgés de 15 ans jusqu'à 65 ans. Souffrant d'un trouble ou d'un handicap mental, ils sont nombreux à frapper à la porte de ce foyer.
Il en est ainsi de Mohamed, 47 ans, un Algérois originaire de Climat de France (Bab El Oued). Les misères de cet éclopé ont commencé dès son jeune âge à la mort de son père. Il a dû prendre en charge tous ses frères et sœurs. Assurer leur éducation et leur protection était pour lui un véritable sacerdoce dans une Algérie qui venait à peine d'entrer dans sa décennie noire. Pour subvenir aux besoins de sa famille, il prit ses bagages et embarqua pour l'Europe où il a vécu pendant près de 17 ans. Un exil marqué par des errances et des péripéties rocambolesques. «J'ai exercé plusieurs métiers. J'ai appris le hollandais et je me suis intégré comme il se doit. Mais pour gagner de l'argent et l'envoyer au bled, il fallait que je fasse tout et n'importe quoi. C'est comme cela que je me suis retrouvé au sein d'un gang qui fait dans le trafic de cocaïne. On transportait des quantités importantes dans tout le nord de l'Europe. Mais lorsque le caïd du groupe a été sauvagement assassiné, j'ai pris peur et j'ai décidé de fuir. En rentrant au bled, je me suis rendu compte que j'avais commis une bêtise», révèle-t-il très ému. Mohamed, le crâne rasé, le corps si chétif que les os arrivent à modeler la chair, n'oubliera jamais le rejet de sa famille qui a dilapidé toutes ses économies amassées au cours de son exil. Pis, ses frères qu'il a lui-même éduqués vont l'expulser carrément du domicile familial après l'avoir roué de coups. Durant cinq mois, il se réfugie au cimetière El Kettar. A aucun moment un membre de sa famille n'a tenté de lui venir en aide.
Il affrontera le froid, la violence de la rue, la solitude, le dénuement total tout seul.
Et la chance lui sourit lorsque des gendarmes le «ramassent» et le ramène au foyer de Sidi Moussa. C'est là qu'il sera sauvé d'une mort certaine.
Une mort silencieuse et solitaire
Des Mohamed, des Ammar, des ammi Ahmed, ils sont plus d'une centaine au FPAH de Sidi Moussa. Mais combien sont-ils à l'extérieur ? Nul ne le sait. Pour Djamel Challal, il n'est pas souhaitable d'ouvrir d'autres foyers pour accueillir toute cette misère humaine.
«Il faut axer les efforts sur la réintégration sociale. Réconcilier ces personnes avec leurs familles est la meilleure solution. Ici, nous avons réussi à réintégrer dans leurs familles dix personnes âgées depuis le début de l'année. Il faut cesser de diaboliser notre jeunesse en disant qu'elle abandonne à tort et à travers ses parents. Dans notre société, les tabous sont si prégnants et le manque de communication si terrible que le moindre malentendu peut basculer dans le drame.
De plus, les conditions de vie se dégradent à tel point que les liens sociaux se déchirent aujourd'hui facilement», observe notre interlocuteur qui cumule une expérience de 26 ans dans le domaine de la prise en charge de la personne âgée.Une expérience de laquelle il retient une seule et unique horreur : 80% des pensionnaires meurent seuls sans que leurs proches les accompagnent. «Nous organisons nous-mêmes les funérailles des pensionnaires décédés. Il m'est arrivé d'appeler moi-même leur progéniture pour les sensibiliser et les prier de venir. Mais la plupart de ces enfants me demandent d'enterrer moi-même leurs propres parents. Cela fait vraiment mal au cœur. Ces personnes âgées s'éteignent comme cela sans que leurs familles s'en soucient», relève Djamel Challal. Comme quoi, un voyage au bout des souffrances muettes ne se termine qu'avec une mort silencieuse et solitaire…


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