Un kamikaze du café Argana a fait sauter sa charge tuant au moins onze touristes étrangers, provoquant ainsi le bouleversement du secteur d'activités qui fait la force et la faiblesse de l'économie marocaine. L'attentat survenu le 28 avril 2011, a visé le cœur de l'industrie du voyage, pilier du développement du pays, lui causant ainsi un coup fatal. Le spectre de l'attentat de l'hôtel Atlas en 1994 n'est pas loin. Les vacanciers avaient alors déserté la "perle du sud" pour trois faibles longues années qui ont plongé la région dans le marasme. Depuis des années, une politique volontariste a été déployée pour faire de la ville ocre l'une des destinations touristiques les plus prisées de la planète. Résultat, un aéroport embouteillé qu'il a fallu procéder à son extension, des compagnies de charters se bousculent pour desservir plusieurs fois par jour les principales villes européennes: Paris, Bruxelles, Lyon, Madrid. En 1999, un reportage de Capital, l'émission économique de la chaîne française M6, relate que, pour le prix d'un modeste pavillon de banlieue, il est possible d'acquérir un somptueux riad à Marrakech. Près de 8.000 résidents permanents sont aujourd'hui immatriculés au consulat de France. Nombre d'entre eux sont des retraités, mais aussi des investisseurs qui se comptent parmi les galeristes, architectes, décorateurs d'intérieur, restaurateurs, gérants de maisons d'hôtes, etc. La cité impériale s'est transformée en Saint-Tropez d'Afrique du Nord où se trouvent les plus chics enseignes de prêt-à-porter sur la rue, l'immobilier et les industries de loisirs et de divertissements explosent, ainsi que des villas, appartements et hôtels aux enseignes dignes de Las Vegas. Les personnalités de la jet-set internationale s'y donnent rendez-vous attirant par ce fait les paparazzis et la presse people. Notant aussi que de nombreux dirigeants politiques, chefs d'entreprise, intellectuels médiatiques et célébrités du show-biz français possèdent ici une résidence secondaire. En 2010, Marrakech était au firmament et avait retrouvé des couleurs après l'éclatement de la bulle immobilière qu'elle a connue un an auparavant dans le sillage de la crise mondiale. La ville prévoyait de porter les nuitées à 12 millions d'ici 2014. Elle pariait aussi sur le doublement de sa capacité litière d'ici 2015 pour atteindre 80.000 et un taux d'occupation moyen de 60%. Elle reçoit plus de 2 millions de touristes par an, soit 25% du total national. Février dernier a connu un saut de 10% des nuitées par rapport à l'an passé. Les hôtels affichent complet et leur activité génère plus de 60.000 emplois directs. Des statistiques qui freinent les destinations concurrentes malgré les contrecoups des révolutions tunisienne et égyptienne qui ont fait du Maghreb une zone sensible évitant ainsi des destinations hors d'un monde arabe en pleine effervescence. Le royaume n'était pas en alerte terroriste Lorsque le kamikaze a fait sauter sa charge, Le royaume chérifien n'était pas en alerte terroriste et la menace exercée par les groupes salafistes semblait avoir décru ces dernières années. Le contexte politique était, de plus, très éloigné de ce type de préoccupations. Après l'attentat de 1994, les autorités avaient commencé par présenter cette histoire comme une simple affaire de droit commun et refusaient d'admettre qu'un problème de cette nature puisse exister dans leur pays. Encore aujourd'hui on a voulu croire qu'il s'agissait d'un simple accident de cuisine à cause de bonbonnes de gaz défectueuses. Mais rapidement, la thèse terroriste a été mise en évidence. Cet attentat de Marrakech est vécu comme un nouveau traumatisme par les citoyens, mais aussi par tous ceux qui s'y sont établis, à leur tête les expatriés français. Pour l'historien Benjamin Stora, le but est de "frapper les imaginaires au cœur même du Maroc touristique". En effet, viser Marrakech et sa mythique place Jamaâ-El-Fna est un acte à forte valeur symbolique. Il s'attaque simultanément au lieu dans ses aspects touristique, culturel, cosmopolite et patrimonial. En somme, le modèle de société défendu par le pouvoir. Une dépendance au tourisme Selon un récent rapport du Cercle des économistes de la Fondation Bouabid (socialiste), la stratégie de développement du Maroc basée essentiellement sur le triptyque agriculture, tourisme, immobilier est à revoir. Certes, le gouvernement s'emploie à explorer de nouvelles voies pour sortir le royaume de sa forte exposition à ses secteurs phares, mais cela n'est pas le cas. En ce qui concerne le tourisme, le rapport affirme que ce dernier ne peut être le moteur de la croissance marocaine que certains imaginent. "Ceux qui donnent l'Espagne en modèle falsifient trop souvent l'histoire", prévient le rapport, selon lequel, la transformation de l'Espagne en pays riche et prospère fait certes la part belle au tourisme à partir des années 60, mais seulement en tant que contributeur de devises. Ce qui a permis l'importation des biens de capitaux qui, à leur tour, ont permis l'industrialisation de l'Espagne. Un cercle qui a fait émerger le voisin ibère jusqu'à la crise actuelle. Les recettes touristiques du Maroc représentent déjà 20% des exportations totales de biens et services du pays, contre seulement 14% en Espagne. Ce qui revient à dire que le Maroc est déjà trop dépendant de ce secteur. Pire, le risque terroriste amplifie cette dépendance aux aléas de la conjoncture politique.