Mario Draghi, président de la BCE, a offert hier un signal supplémentaire de l'imminence de rachats massifs de dette, dans un entretien à la presse où il s'estime en outre incompris en Allemagne. "Tous les membres du conseil des gouverneurs sont déterminés à remplir leur mandat. Bien sûr, il y a des divergences sur la manière de le faire. Mais ce n'est pas comme si nos possibilités étaient infinies", a déclaré M. Draghi à l'hebdomadaire allemand Die Zeit de jeudi, dans une interview diffusée à l'avance par le journal. Face à une érosion continue des prix en zone euro, qui entretient de vives craintes de déflation, "nous nous trouvons dans une situation où nous devrions abaisser encore plus le taux directeur, mais ce n'est plus possible", avec un taux directeur en zone euro à 0,05%, a expliqué l'Italien. "A ce moment-là nous devons avoir recours à des mesures non-conventionnelles, c'est-à-dire modifier la taille et la composition du bilan de la BCE." La BCE devrait annoncer dans les semaines à venir - après la prochaine réunion de politique monétaire du conseil des gouverneurs le 22 janvier ou à la suivante début mars - un programme de rachats massifs de dette publique, sur le modèle de la Fed américaine ou de la Banque du Japon. Les modalités d'un tel programme sont encore en discussion parmi les banquiers centraux, et les réticences fortes chez certains, notamment en Allemagne. "Avez-vous parfois l'impression d'être la personnalité la moins bien comprise d'Allemagne?", lui demande Die Zeit. "Je pense que c'est vrai", répond M. Draghi. "La BCE n'est pas en charge d'un pays, mais de 19, et les instruments pour remplir son mandat sont autres que ceux d'une banque centrale nationale", explique M. Draghi, "c'est le message que certains devraient comprendre en Allemagne". Avant même son enclenchement, l'"assouplissement quantitatif", du nom technique d'une politique de rachats d'actifs de grande ampleur, suscite déjà des doutes sur son efficacité. "Nos spécialistes sont relativement sceptiques", a ainsi déclaré mercredi sur la chaîne de télévision allemande N24 Anshu Jain, l'un des deux patrons de la première banque allemande Deutsche Bank. "Ce sont des réformes structurelles" dont l'Europe a besoin, a-t-il estimé. M. Draghi aussi a rappelé dans son interview l'importance de celles-ci. "Notre politique monétaire expansive doit être accompagnée par une hausse de la productivité", estime-t-il, "ces pays doivent mettre en oeuvre leurs réformes structurelles".
Le programme de rachat de dette publique compatible avec le droit européen Le programme de rachats d'actifs (OMT) annoncé à l'été 2012 par la Banque centrale européenne mais jamais mis en œuvre, est compatible avec le droit européen sous certaines conditions, a estimé hier l'avocat général de la Cour de Justice de l'Union européenne. L'avis de l'avocat général est suivi dans la grande majorité des cas par la Cour, qui dans ce cas précis ne devrait pas se prononcer définitivement avant plusieurs mois. Mais l'avis rendu mercredi était particulièrement attendu au moment où la BCE s'apprête à passer à la vitesse supérieure dans son soutien à la zone euro à travers des rachats massifs d'actifs financiers, en particulier de dette publique. La décision pourrait "avoir certaines implications sur la manière dont sera mis en place" un tel programme, baptisé QE ou "quantitative easing", avaient indiqué la semaine dernière les experts de BNP Paribas. La BCE pourrait annoncer le lancement d'un tel programme dès sa prochaine réunion, prévue le 22 janvier. Le programme OMT remonte à l'été 2012 quand le président de l'institution, Mario Draghi, avait promis qu'il était "prêt à tout" pour stabiliser l'union monétaire. Il consistait à acheter sur le marché secondaire, où s'échangent des titres déjà émis, des obligations publiques de certains pays de la zone euro. La promesse de M. Draghi avait suffi à ramener le calme sur les marchés et le programme est resté lettre morte. Mais en Allemagne, des personnalités et une ONG avaient formé un recours devant la Cour constitutionnelle qui avait à son tour saisi la Cour de justice de l'UE à Luxembourg à propos de la légalité du programme OMT. La question était en particulier de savoir si ce programme ne constituerait pas une mesure économique, ce qui outrepasserait le mandat de la BCE, limité à la politique monétaire. Dans son avis, l'avocat général Pedro Cruz Villalon estime que le programme OMT "peut être considéré comme licite sous réserve que, s'il venait à être mis en œuvre, le devoir de motivation et les exigences découlant du principe de proportionnalité soient strictement respectés". Il est compatible avec le traité européen "à condition que, dans l'hypothèse où il en serait fait application, il soit mis en oeuvre dans le temps de façon à permettre effectivement la formation d'un prix de marché des titres de dette publique", ajoute-t-il.