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«L'emprisonnement des harraga est une atteinte aux droits de l'Homme»
Maître Fadma Benbraham, militante associative, juriste et avocate à la cour suprême
Publié dans Le Midi Libre le 18 - 08 - 2008

Force est de constater aujourd'hui que l'Etat algérien n'a pas attendu d'adopter un nouveau code pénal pour «criminaliser» les harraga. Car, depuis plus de deux ans, nos harraga croupissent dans les cellules de nos prisons. Ils seraient d'ailleurs plus de 1.000 à avoir été condamnés à la prison pour «émigration clandestine» dans notre pays. A ce sujet, la célèbre avocate Maître Benbraham n'y va pas avec le dos de la cuillère pour dénoncer la criminalisation et la pénalisation des harraga. Pour cette éminente juriste, nos émigrés clandestins sont victimes d'une «terrible déviation juridique» orchestrée par des juges «irrationnels». Notre interlocutrice explique encore que les candidats à l'émigration clandestine algériens se trouvant dans des embarcations de fortune sur les eaux territoriales de leur pays n'attentent en aucun cas aux intérêts de leur pays. Au nom de quoi alors les condamne-t-on à des peines variant entre 6 mois et deux années de prison ferme avec sursis ? La répression est-elle une véritable planche de salut pour lutter contre ce phénomène? s'interroge Me Fadma Benbraham , qui a bien voulu répondre à nos questions pour nous éclairer la lanterne concernant ces points et d'autres encore. ..
Force est de constater aujourd'hui que l'Etat algérien n'a pas attendu d'adopter un nouveau code pénal pour «criminaliser» les harraga. Car, depuis plus de deux ans, nos harraga croupissent dans les cellules de nos prisons. Ils seraient d'ailleurs plus de 1.000 à avoir été condamnés à la prison pour «émigration clandestine» dans notre pays. A ce sujet, la célèbre avocate Maître Benbraham n'y va pas avec le dos de la cuillère pour dénoncer la criminalisation et la pénalisation des harraga. Pour cette éminente juriste, nos émigrés clandestins sont victimes d'une «terrible déviation juridique» orchestrée par des juges «irrationnels». Notre interlocutrice explique encore que les candidats à l'émigration clandestine algériens se trouvant dans des embarcations de fortune sur les eaux territoriales de leur pays n'attentent en aucun cas aux intérêts de leur pays. Au nom de quoi alors les condamne-t-on à des peines variant entre 6 mois et deux années de prison ferme avec sursis ? La répression est-elle une véritable planche de salut pour lutter contre ce phénomène? s'interroge Me Fadma Benbraham , qui a bien voulu répondre à nos questions pour nous éclairer la lanterne concernant ces points et d'autres encore. ..
Midi Libre : Le phénomène des harraga a pris des dimensions très alarmantes dans notre société, notamment ces quatre dernières années. Il est devenu en réalité un fléau sociétal très médiatisé. Cependant, selon des sources du ministère de la Justice, il y aurait près de 1.000 personnes emprisonnées en Algérie pour émigration clandestine. Selon vous, ce chiffre correspond-il à la réalité ?
Me Benbraham : C'est le ministère de la Justice qui a avancé ce chiffre. Nous, en tant qu'avocats, nous ne pouvons ni confirmer ni infirmer ce chiffre, car nous traitons pour le moment avec des cas isolés d'émigrants clandestins que nous rencontrons lors des procès. Plusieurs autres confrères interviennent également sur ce type de situation, mais nous n'avons jusqu'à aujourd'hui que les statistiques qui relèvent du ministère de la Justice. Toutefois, à mon sens, 1.000 jeunes derrière les barreaux, c'est déjà un chiffre très inquiétant.
Peut-on savoir si les sentences prononcées dans les tribunaux, concernant les affaires d'émigration clandestine, sont légales ? Autrement dit, l'emprisonnement de ces harraga s'appuie-t-il sur des textes de loi clairs ?
J'estime qu'avant de parler de la répression, il est important de commencer par une définition claire des concepts ayant trait à ce phénomène. Aujourd'hui, il y a une véritable confusion quant aux termes utilisés pour définir le phénomène de l'émigration clandestine qui sévit actuellement dans notre pays. En langue française, on constate une grande nuance entre l'immigration et l'émigration. On parle d'émigration dans le cas où toute personne quitte sa terre natale pour aller s'installer dans un autre pays par voie maritime ou terrestre.
L'émigrant change ainsi de qualité en pénétrant dans le pays qui le reçoit et la loi de ce pays s'applique sur lui en matière pénale.
On parle par contre d'immigration dans le cas où des personnes étrangères à un pays viennent s'installer sur le territoire de ce pays.
Malheureusement, dans la législation algérienne, il existe une réelle confusion entre ces deux concepts distincts puisque, dans les deux cas, la législation parle d'émigration clandestine, ce qui est tout à fait faux. Il importe donc de savoir si l'émigration clandestine s'applique à des gens qui ont quitté le territoire national pour aller s'installer dans d'autres pays ; ces personnes deviennent de cette manière des immigrés dans le pays d'accueil, car dans ce cas de figure, ce n'est pas la loi nationale qui s'applique sur eux, mais naturellement celle de l'autre pays.
Dans les cas pratiques, nous parlons d'émigration clandestine quand il s'agit par exemple de Tunisiens, de Maliens ou de Marocains qui rentrent sur le territoire algérien d'une façon clandestine (sans visa et sans autorisation de circulation). Ceux-là sont considérés comme des immigrés clandestins et donc ils sont jugés selon la loi algérienne. D'ailleurs, on voit tous les jours devant les tribunaux des dizaines d'Africains sub-sahariens qui sont jugés pour immigration clandestine. Mais lorsqu'on parle d'émigration clandestine, c'est-à-dire quand des Algériens quittent le territoire national, nous constatons qu'il y a une véritable dérive juridique car ces harraga algériens arrêtés et condamnés à la prison n'ont même pas quitté les eaux territoriales de leur pays !
En matière pénale, on ne juge pas des gens sur des intentions, mais sur des actes. Si la personne se trouve en bordure du territoire national, à Tamanrasset ou à Illizi et qu'elle se promène, on n'a pas le droit de l'accuser d'avoir voulu passer la frontière et l'arrêter.
Si la personne se trouve encore sur son territoire national, on ne peut aucunement dire qu'il s'agit d'un émigrant clandestin car il faut qu'il sorte de l'Algérie pour être considéré comme tel.
Il est vrai qu'il existe des cas transfrontaliers où on voit des gens qui quittent l'Algérie à partir des frontières pour partir travailler clandestinement, au Mali, au Maroc ou en Tunisie. Ceux-là se font attraper, rapatrier et juger en risquant des peines d'emprisonnement. Cependant, c'est lorsque le citoyen quitte l'Algérie par voie maritime que le problème se pose. Il faut savoir que le territoire algérien s'étend sur 212 milles marins à l'intérieur de la mer. Au-delà de cet espace, ce sont des eaux internationales qui appartiennent à toute l'humanité et où tout le monde peut circuler. Par conséquent, on ne peut en aucun cas arrêter des harraga algériens sur les eaux territoriales de leur pays. Et encore moins les condamner.
Comment peut-on alors juger les harraga pour émigration clandestine ?
Il faut savoir qu'on juge ces personnes selon deux articles figurant dans le code maritime. A partir de ces deux articles on prononce des sanctions à l'encontre des émigrants clandestins. Il s'agit en vérité de l'article 544 et 543 du code maritime. Toutefois, ces deux articles ne s'appliquent aucunement aux cas rencontrés dans la réalité, car ces deux articles s'appliquent aux clandestins qui escaladent les parois d'un navire pour y accéder clandestinement.
De ce fait, il est impossible de juger les harraga selon ce texte, pour la simple raison que ces derniers partent à l'aventure dans des embarcations de fortune qui ne sont pas régies par le code maritime.
Il y a donc une inadéquation entre le texte de loi et la réalité. Ce qui a suscité une très grande confusion chez les juristes et les juges.
Doit-on avoir une autorisation de sortie pour quitter l'Algérie ?
Absolument pas. L'autorisation de sortie est un titre qui date de l'époque du socialisme en Algérie. Il permettait à la personne qui sortait du pays vers un autre de toucher son allocation de voyage (400 francs à l'époque). C'est en fait un document que donnait l'Algérie à ses citoyens parce qu'il n'y avait pas de visa pour aller à l'étranger. Depuis 1978, ce titre n'est plus en vigueur. Pour quitter son pays on ne doit pas avoir une autorisation de sortie, mais un titre de transport quand on voyage par voie maritime.
Si vous voyagez par bateau et que vous n'avez pas votre titre de transport, vous n'êtes pas considéré comme harraga, mais comme clandestin, et là il s'agit d'une infraction au code de transport qui assure votre sécurité d'un endroit à l'autre.
Peut-on connaître la différence entre le concept de clandestin et celui de harraga ?
Le clandestin est celui qui prend un moyen de tansport maritime officiel sans titre de transport. Cependant, celui qui utilise sa propre embarcation pour aller là où il le désire n'est pas considéré comme clandestin. C'est pour cela que j'appelle à une meilleure conceptualisation des notions ayant trait à ce phénomène afin de mieux le cerner.
Le code maritime prend-il en considération les embarcations de fortune, c'est-à-dire, cite-il les bouées, les zodiacs et autres ?
Les bouées de sauvetage sont un armement qui doit exister sur un bateau. Si une personne est sur une bouée, elle peut aller là où elle désire. Ce n'est pas interdit de voyager en bouée ou en zodiac. Les gardes-côtes n'interviennent qu'en cas de péril de mort et ce, pour sauver seulement la personne en danger. Ils n'ont pas le droit d'interdire la navigation à un quelconque individu. Le code maritime ne régit pas la circulation en pleine mer des zodiacs et des bouées.
Selon vous, à la lumière de toutes ces données, pourquoi condamne-t-on réellement les harraga à la prison en Algérie ?
On les condamne pour la simple raison qu'on a honte de voir que des jeunes Algériens préfèrent mourir en pleine mer que de périr sur le sol de leur pays et d'affronter la misère sociale. Jamais on n'a cherché à savoir pourquoi ces jeunes tentent de s'évader du pays.
C'est le pourquoi qui est important. Pourquoi ces êtres ont choisi d'aller vers l'aventure ? Ils ne pensent pas à la finalité de leur conduite. Ils courent après une chimère, un rêve de bonheur, ils recherchent l'eldorado. C'est l'espoir d'une meilleure vie qui les anime. La répression de ces jeunes n'est pas la solution. Il faut absolument comprendre leur conduite, découvrir les failles du système qui ont fait que l'Algérie en arrive à une telle situation. La jeunesse en Algérie est lésée, voilà la véritable leçon de cette histoire.
Peut-on qualifier ces condamnations à l'encontre des harraga d'atteinte aux droits de l'Homme ?
Ce sont des atteintes à la liberté du droit d'aller et de venir qui figure dans la Convention internationale des droits de l'Homme. C'est comme les visas que les pays européens sont en train d'adopter pour empêcher les personnes d'aller et de venir au nom des mesures sécuritaires. Il s'agit aussi d'une violation manifeste des droits de l'Homme, car le droit d'aller et venir est un droit citoyen.
Y a-t-il aujourd'hui un moyen pour pallier cette situation, pour venir en aide à ces personnes qui sont incarcérées sur la base de textes de loi qui ne correspondent pas réellement à leur cas ?
Je pense que le fait de parler aujourd'hui de l'incompatibilité de ces textes de loi doit interpeller tous les magistrats, avocats et hommes de loi afin de se pencher sur la question sous un angle différent.
Autrefois, certains juges libéraient ces harraga en affirmant n'avoir aucun texte de loi explicite. D'autres se montraient plus répressifs et prononçaient, de ce fait, des peines plus sévères. En tout cas, les harraga sont victimes d'une déviation juridique grave qu'il faudra résoudre rapidement.
Est-il possible qu'un harraga condamné demande à sa sortie de prison de l'Etat des dommages et intérêts pour l'injustice qu'il a subie ?
Il n'y a aucunement possibilité de poursuivre l'Etat, car la personne aurait purgé sa peine. En revanche, un harraga peut déposer plainte pour injustice. Selon l'article 531 du code pénal, il peut demander une révision de son procès comme il peut réclamer l'ouverture d'une enquête sur l'application de ces peines inadéquates avec les faits qu'on lui reproche.
Peut-on aujourd'hui faire quelque chose pour épargner à ces jeunes harraga ces condamnations à la prison ?
Il faut revenir pour cela à une véritable compréhension des conceptions ayant trait au phénomène de la « harga ». Ensuite, il faut déterminer ce qui est en train de se faire actuellement pour le traitement des questions liées à l'émigration clandestine. Des solutions concrètes et un plan de prise en charge des besoins de la jeunesse doivent être élaborés dans cette optique. Par ailleurs, si l'on désire retenir les jeunes dans ce pays, c'est par des horizons prometteurs et des perspectives nouvelles qu'on pourra le faire. En tout cas, la répression juridique des harraga est une dérive inacceptable.
Midi Libre : Le phénomène des harraga a pris des dimensions très alarmantes dans notre société, notamment ces quatre dernières années. Il est devenu en réalité un fléau sociétal très médiatisé. Cependant, selon des sources du ministère de la Justice, il y aurait près de 1.000 personnes emprisonnées en Algérie pour émigration clandestine. Selon vous, ce chiffre correspond-il à la réalité ?
Me Benbraham : C'est le ministère de la Justice qui a avancé ce chiffre. Nous, en tant qu'avocats, nous ne pouvons ni confirmer ni infirmer ce chiffre, car nous traitons pour le moment avec des cas isolés d'émigrants clandestins que nous rencontrons lors des procès. Plusieurs autres confrères interviennent également sur ce type de situation, mais nous n'avons jusqu'à aujourd'hui que les statistiques qui relèvent du ministère de la Justice. Toutefois, à mon sens, 1.000 jeunes derrière les barreaux, c'est déjà un chiffre très inquiétant.
Peut-on savoir si les sentences prononcées dans les tribunaux, concernant les affaires d'émigration clandestine, sont légales ? Autrement dit, l'emprisonnement de ces harraga s'appuie-t-il sur des textes de loi clairs ?
J'estime qu'avant de parler de la répression, il est important de commencer par une définition claire des concepts ayant trait à ce phénomène. Aujourd'hui, il y a une véritable confusion quant aux termes utilisés pour définir le phénomène de l'émigration clandestine qui sévit actuellement dans notre pays. En langue française, on constate une grande nuance entre l'immigration et l'émigration. On parle d'émigration dans le cas où toute personne quitte sa terre natale pour aller s'installer dans un autre pays par voie maritime ou terrestre.
L'émigrant change ainsi de qualité en pénétrant dans le pays qui le reçoit et la loi de ce pays s'applique sur lui en matière pénale.
On parle par contre d'immigration dans le cas où des personnes étrangères à un pays viennent s'installer sur le territoire de ce pays.
Malheureusement, dans la législation algérienne, il existe une réelle confusion entre ces deux concepts distincts puisque, dans les deux cas, la législation parle d'émigration clandestine, ce qui est tout à fait faux. Il importe donc de savoir si l'émigration clandestine s'applique à des gens qui ont quitté le territoire national pour aller s'installer dans d'autres pays ; ces personnes deviennent de cette manière des immigrés dans le pays d'accueil, car dans ce cas de figure, ce n'est pas la loi nationale qui s'applique sur eux, mais naturellement celle de l'autre pays.
Dans les cas pratiques, nous parlons d'émigration clandestine quand il s'agit par exemple de Tunisiens, de Maliens ou de Marocains qui rentrent sur le territoire algérien d'une façon clandestine (sans visa et sans autorisation de circulation). Ceux-là sont considérés comme des immigrés clandestins et donc ils sont jugés selon la loi algérienne. D'ailleurs, on voit tous les jours devant les tribunaux des dizaines d'Africains sub-sahariens qui sont jugés pour immigration clandestine. Mais lorsqu'on parle d'émigration clandestine, c'est-à-dire quand des Algériens quittent le territoire national, nous constatons qu'il y a une véritable dérive juridique car ces harraga algériens arrêtés et condamnés à la prison n'ont même pas quitté les eaux territoriales de leur pays !
En matière pénale, on ne juge pas des gens sur des intentions, mais sur des actes. Si la personne se trouve en bordure du territoire national, à Tamanrasset ou à Illizi et qu'elle se promène, on n'a pas le droit de l'accuser d'avoir voulu passer la frontière et l'arrêter.
Si la personne se trouve encore sur son territoire national, on ne peut aucunement dire qu'il s'agit d'un émigrant clandestin car il faut qu'il sorte de l'Algérie pour être considéré comme tel.
Il est vrai qu'il existe des cas transfrontaliers où on voit des gens qui quittent l'Algérie à partir des frontières pour partir travailler clandestinement, au Mali, au Maroc ou en Tunisie. Ceux-là se font attraper, rapatrier et juger en risquant des peines d'emprisonnement. Cependant, c'est lorsque le citoyen quitte l'Algérie par voie maritime que le problème se pose. Il faut savoir que le territoire algérien s'étend sur 212 milles marins à l'intérieur de la mer. Au-delà de cet espace, ce sont des eaux internationales qui appartiennent à toute l'humanité et où tout le monde peut circuler. Par conséquent, on ne peut en aucun cas arrêter des harraga algériens sur les eaux territoriales de leur pays. Et encore moins les condamner.
Comment peut-on alors juger les harraga pour émigration clandestine ?
Il faut savoir qu'on juge ces personnes selon deux articles figurant dans le code maritime. A partir de ces deux articles on prononce des sanctions à l'encontre des émigrants clandestins. Il s'agit en vérité de l'article 544 et 543 du code maritime. Toutefois, ces deux articles ne s'appliquent aucunement aux cas rencontrés dans la réalité, car ces deux articles s'appliquent aux clandestins qui escaladent les parois d'un navire pour y accéder clandestinement.
De ce fait, il est impossible de juger les harraga selon ce texte, pour la simple raison que ces derniers partent à l'aventure dans des embarcations de fortune qui ne sont pas régies par le code maritime.
Il y a donc une inadéquation entre le texte de loi et la réalité. Ce qui a suscité une très grande confusion chez les juristes et les juges.
Doit-on avoir une autorisation de sortie pour quitter l'Algérie ?
Absolument pas. L'autorisation de sortie est un titre qui date de l'époque du socialisme en Algérie. Il permettait à la personne qui sortait du pays vers un autre de toucher son allocation de voyage (400 francs à l'époque). C'est en fait un document que donnait l'Algérie à ses citoyens parce qu'il n'y avait pas de visa pour aller à l'étranger. Depuis 1978, ce titre n'est plus en vigueur. Pour quitter son pays on ne doit pas avoir une autorisation de sortie, mais un titre de transport quand on voyage par voie maritime.
Si vous voyagez par bateau et que vous n'avez pas votre titre de transport, vous n'êtes pas considéré comme harraga, mais comme clandestin, et là il s'agit d'une infraction au code de transport qui assure votre sécurité d'un endroit à l'autre.
Peut-on connaître la différence entre le concept de clandestin et celui de harraga ?
Le clandestin est celui qui prend un moyen de tansport maritime officiel sans titre de transport. Cependant, celui qui utilise sa propre embarcation pour aller là où il le désire n'est pas considéré comme clandestin. C'est pour cela que j'appelle à une meilleure conceptualisation des notions ayant trait à ce phénomène afin de mieux le cerner.
Le code maritime prend-il en considération les embarcations de fortune, c'est-à-dire, cite-il les bouées, les zodiacs et autres ?
Les bouées de sauvetage sont un armement qui doit exister sur un bateau. Si une personne est sur une bouée, elle peut aller là où elle désire. Ce n'est pas interdit de voyager en bouée ou en zodiac. Les gardes-côtes n'interviennent qu'en cas de péril de mort et ce, pour sauver seulement la personne en danger. Ils n'ont pas le droit d'interdire la navigation à un quelconque individu. Le code maritime ne régit pas la circulation en pleine mer des zodiacs et des bouées.
Selon vous, à la lumière de toutes ces données, pourquoi condamne-t-on réellement les harraga à la prison en Algérie ?
On les condamne pour la simple raison qu'on a honte de voir que des jeunes Algériens préfèrent mourir en pleine mer que de périr sur le sol de leur pays et d'affronter la misère sociale. Jamais on n'a cherché à savoir pourquoi ces jeunes tentent de s'évader du pays.
C'est le pourquoi qui est important. Pourquoi ces êtres ont choisi d'aller vers l'aventure ? Ils ne pensent pas à la finalité de leur conduite. Ils courent après une chimère, un rêve de bonheur, ils recherchent l'eldorado. C'est l'espoir d'une meilleure vie qui les anime. La répression de ces jeunes n'est pas la solution. Il faut absolument comprendre leur conduite, découvrir les failles du système qui ont fait que l'Algérie en arrive à une telle situation. La jeunesse en Algérie est lésée, voilà la véritable leçon de cette histoire.
Peut-on qualifier ces condamnations à l'encontre des harraga d'atteinte aux droits de l'Homme ?
Ce sont des atteintes à la liberté du droit d'aller et de venir qui figure dans la Convention internationale des droits de l'Homme. C'est comme les visas que les pays européens sont en train d'adopter pour empêcher les personnes d'aller et de venir au nom des mesures sécuritaires. Il s'agit aussi d'une violation manifeste des droits de l'Homme, car le droit d'aller et venir est un droit citoyen.
Y a-t-il aujourd'hui un moyen pour pallier cette situation, pour venir en aide à ces personnes qui sont incarcérées sur la base de textes de loi qui ne correspondent pas réellement à leur cas ?
Je pense que le fait de parler aujourd'hui de l'incompatibilité de ces textes de loi doit interpeller tous les magistrats, avocats et hommes de loi afin de se pencher sur la question sous un angle différent.
Autrefois, certains juges libéraient ces harraga en affirmant n'avoir aucun texte de loi explicite. D'autres se montraient plus répressifs et prononçaient, de ce fait, des peines plus sévères. En tout cas, les harraga sont victimes d'une déviation juridique grave qu'il faudra résoudre rapidement.
Est-il possible qu'un harraga condamné demande à sa sortie de prison de l'Etat des dommages et intérêts pour l'injustice qu'il a subie ?
Il n'y a aucunement possibilité de poursuivre l'Etat, car la personne aurait purgé sa peine. En revanche, un harraga peut déposer plainte pour injustice. Selon l'article 531 du code pénal, il peut demander une révision de son procès comme il peut réclamer l'ouverture d'une enquête sur l'application de ces peines inadéquates avec les faits qu'on lui reproche.
Peut-on aujourd'hui faire quelque chose pour épargner à ces jeunes harraga ces condamnations à la prison ?
Il faut revenir pour cela à une véritable compréhension des conceptions ayant trait au phénomène de la « harga ». Ensuite, il faut déterminer ce qui est en train de se faire actuellement pour le traitement des questions liées à l'émigration clandestine. Des solutions concrètes et un plan de prise en charge des besoins de la jeunesse doivent être élaborés dans cette optique. Par ailleurs, si l'on désire retenir les jeunes dans ce pays, c'est par des horizons prometteurs et des perspectives nouvelles qu'on pourra le faire. En tout cas, la répression juridique des harraga est une dérive inacceptable.


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