Slimane Laouari [email protected] Dans ce bourg maritime qui a connu des années moins pénibles, le printemps tarde à s'installer. Mais qui se soucie du printemps quand il ne fait ni chaud ni froid ? Dans ce bourg maritime où la mer n'a plus rien d'autre que son eau à pleurer, il y a des pêcheurs qui ont oublié les noms de poissons. Alors ils fulminent des noms d'oiseaux. Ici, les pêcheurs ne sortent que rarement, les harragas plus souvent. Les premiers n'ont pas d'hameçons et les seconds mordent à toutes les illusions. Dans ce bourg maritime que se partagent Dieu et quelques-uns de ses hommes, les femmes sont des femmes et ça suffit. On est femmes comme les hommes sont zombies. Il y a celles qui envoient leurs «questions» à Chemsou en couvant des douleurs plus profondes et ceux qui insultent Benghabrit en cachant des lâchetés moins avouables. Allez demander à l'épicier pourquoi il ferme vendredi à midi et quart, vous aurez droit à un trésor d'éloquence et une volée de bois vert. Essayez de savoir pourquoi il n'est pas là à l'heure du pain et du lait, il vous dira à quel point c'est pénible d'ouvrir un tiroir-caisse. Dans ce bourg maritime, ce n'est pas gentil de dire qu'on a tourné le dos à la mer, tout a tourné court. Vous voulez qu'on fasse quoi des sardines sans les citronniers, bouffés par le parpaing ? Ici, il y a un lycée, deux collèges et trois écoles. Jamais deux sans trois ? Non, jamais rien pour rien. Allez essayer de voir le maire. Il ne vous le dira pas mais vous le savez déjà : ce n'est pas votre élu. Jamais une urne à double fond n'a demandé audience à un maire. Ici, l'orangeraie a renoncé à sa vocation. Maintenant, elle s'appelle la «pépinière». Cinq arbustes de laurier rose tuberculeux, quatre rosiers qui ne sentent pas la rose, trois pins loin d'Alep, deux cactus dont il ne reste que l'épine et un nabab ripoux qui lorgne l'autorisation de vendre le tout à un autre nabab pourri qui lorgne une promotion immobilière. Dans ce bourg maritime d'où l'escalope de dinde a chassé le mérou, il y a des gendarmes qui chassent les petits câlins des petits malins et des petites malignes qui se cachent derrière les rochers de la petite crique en faisant semblant de regarder la mer qui tourne le dos au petit bourg maritime. Ici on a égorgé une coiffeuse, interpellé deux cent trente-quatre couples illégitimes et lynché huit Kabyles non jeûneurs surpris en flagrant délit de... rupture de jeûne. Ici, on voudrait bien un cinquième mandat mais sans Bouteflika. Sinon la continuité sans Ould-Abbès, à moins que ce ne soit l'alternance contre Ouyahia. Dans ce bourg sans bourgeois, il y a des ploucs riches, des riches ploucs, de nouveaux riches et plus grave, d'anciens pauvres. Ici, on ne sait plus quoi faire du printemps. Il ne fait ni chaud ni froid et plus inquiétant, il n'y a plus d'hirondelles mais seulement un calendrier. S. L.