Vendredi, aux abords de la place Audin. Il est 9 heures du matin et déjà un premier signal. Ça se voyait nettement, les policiers en place ont troqué les attitudes bienveillantes et le sourire des fois précédentes contre un ton ferme et quelques arrogances qui n'annonçaient rien de bon. Ils ont commencé par sommer les passants de rester sur les trottoirs alors qu'ils étaient sur les… trottoirs. L'heure — virtuelle — de la marche était loin et l'affluence encore faible. Sur les hauteurs de la rue Didouche, la masse de véhicules anti-émeute était visiblement plus épaisse et plus « performante ». Sur les visages pourtant, il y avait plus d'inquiétude que d'étonnement. Si la semaine politique préfigurait d'autres tentations au sommet, on a quand même par endroits soufflé le chaud et le froid, ce qui a laissé planer le doute. Un doute aux relents d'espoir, de douce certitude chez beaucoup de monde. « Ils » ne vont quand même pas oser l'affrontement. Ce n'est pas encore le cas mais l'escalade n'est pas loin. On l'a au moins tenté. Si au bout, l'échec a été cuisant, rien n'indique encore qu'ils ne vont pas recommencer. Parce que la rue, elle, va revenir, plus forte, plus déterminée et certainement plus paisible. On ne va pas « leur » offrir les arguments de leurs tentations, ils ne demandent que ça. Maintenant que les Algériens savent que la victoire sera forcément au bout, il s'agit d'y parvenir avec le moins de dégâts, le moins de douleurs possible. Vendredi matin, les premiers manifestants pouvaient se reconnaître autant dans l'apparat que dans la détermination du regard. Ou alors dans l'attention : beaucoup de téléphones étaient collés à des oreilles attentives. Parvenaient déjà des informations pas très rassurantes : toutes les issues vers Alger sont bloquées. Si les barrages avaient cédé devant l'insistance et la détermination les vendredis d'avant, ce n'était pas le cas, cette fois-ci. « Ils » voulaient peut-être que l'escalade commence sur un pan d'autoroute. Ils n'ont pas eu l'escalade mais ils ont empêché des dizaines de milliers d'Algériens de rejoindre le cœur névralgique de la révolution. Des dizaines ou des centaines de milliers, on ne sait plus. La comptabilité devient dérisoire à ce stade de mobilisation. C'est le pays qui est en marche vers la liberté. Même face aux canons à eau qui les arrosaient et aux chasse-neige qui menaçaient de leur marcher dessus, les manifestants n'ont pas reculé, n'ont pas paniqué. Même pas peur ! Ils n'ont pas peur parce qu'ils n'ont pas l'intention de répliquer. Ils ont leurs arguments, les meilleurs, les plus beaux. Non, ils ne sont pas dans les jets de pierres sur les casques des policiers. Les jets de pierres et les policiers blessés montrés en boucle sont une imposture. Une imposture à côté d'une autre. Celle d'un groupe d'islamistes de laboratoire reprenant de vieux et ténébreux slogans au milieu d'une foule qui les ignorait royalement. Ça ne marche pas. L'Algérie, elle, va encore marcher. Tenace, elle ne se contente même plus des vendredis. Parce que les ouvriers du statu quo travaillent tous les jours et le montrent à chaque instant. S. L.