Dans une interview accordée au quotidien L'Expression, Benjamin Stora est, une nouvelle fois, revenu sur la question des excuses. Dans cette nouvelle sortie médiatique, l'historien a affirmé avoir écrit dans son rapport ne voir aucun «inconvénient à la présentation d'excuses de la France à l'Algérie pour les massacres commis». Tarek Hafid - Alger (Le Soir) - «Êtes-vous pour ou contre la présentation des excuses de la France à l'Algérie pour les massacres commis?» C'est la question posée à Benjamin Stora par le journal qui a publié, hier dimanche, une interview de deux pages de l'historien originaire de Constantine. Réponse de Stora : «J'ai dit, écrit dans mon rapport, que je ne voyais pas d'inconvénient à la présentation d'excuses de la France à l'Algérie pour les massacres commis (voir le chapitre à la fin). Soyons clairs : il n'y a pas dans mon rapport le slogan, ''Ni excuses ni repentance''. Mais je m'interrogeais, au plan de l'efficacité, sur ces présentations d'excuses en évoquant les cas du Japon face à la Chine. On pourrait ajouter que la présentation d'excuses des USA au Viêtnam n'a pas empêché le développement des idéologies des suprématistes blancs contre les minorités (comme on le voit avec le puissant mouvement trumpiste). J'ai donc plaidé pour un travail de longue durée, par l'éducation nationale notamment, l'écriture des programmes scolaires ; ou la tenue d'un colloque sur les militants et intellectuels anticoloniaux, de Mauriac à Alleg, de Jeanson à Vidal-Naquet. A travers des figures symboliques comme Gisèle Halimi ou Ali Boumendjel, dire à la société française ce qu'a été le combat mené. Dans la suite du choc en France, causé par la reconnaissance du meurtre de Maurice Audin. Maurice Audin, c'est déjà en soi un geste important. Vidal Naquet a combattu toute sa vie pour prouver l'assassinat de Maurice Audin et pour dénoncer la torture. Il est mort sans avoir vu le fruit de son combat. Ajoutons au dossier Iveton, Maillot, etc. et tous ces Français (ou Algériens d'origine européenne: chrétiens, juifs ou autres) qui doivent être reconnus comme des militants de la cause algérienne et comme Algériens à part entière.» La réponse du rédacteur du rapport «sur les questions mémorielles portant sur la colonisation et la guerre d'Algérie» est plutôt intrigante. Il suffit de revenir sur le chapitre qu'il évoque pour comprendre que Stora se déjuge. Ce chapitre, «La question des excuses. Un détour par l'Asie» (page 74), débute par l'affirmation suivante : «On sait que depuis plusieurs années, les autorités algériennes réclament des ''excuses'' à propos de la période de la colonisation. Dans la lignée des discours présidentiels français précédents, ce geste symbolique peut être accompli par un nouveau discours. Mais est-ce que cela sera suffisant ?» En réalité, les autorités algériennes n'ont jamais exigé «d'excuses» et encore moins de la «repentance» de la France, mais une reconnaissance des crimes coloniaux. Dans ce chapitre, Stora revient longuement sur le principe des excuses officielles, en prenant l'exemple des crimes commis par le Japon en Corée et en Chine. «Les excuses japonaises paraissent hypocrites aux yeux de l'opinion publique en Corée et en Chine, pays qui s'enflamment toujours contre les ''revanchards'' japonais. Il est clair que la ''politique des excuses'' et même des indemnités financières, ne calme en rien le ressentiment chinois ou coréen contre le Japon. Les historiens japonais ont beau soulever les questions qui fâchent (...) (tous les deux publiés dans les années 1990), les autorités japonaises restent amnésiques, en arguant du fait qu'elles ont déjà présenté des excuses, et que ce passé est ''clos''». En clair, la France ne doit surtout pas suivre l'exemple nippon. Aussi, à aucun moment il affirme ne voir aucun «inconvénient à la présentation d'excuses de la France à l'Algérie pour les massacres commis». Benjamin Stora s'interroge plutôt sur l'utilité d'une telle posture de la France envers l'Algérie. Pour cela, il reprend un passage d'une interview accordée le 10 août 2020 au Soir d'Algérie : «Je ne sais pas si un nouveau discours d'excuses officielles suffira à apaiser les mémoires blessées, de combler le fossé mémoriel qui existe entre les deux pays. À mes yeux, il importe surtout de poursuivre la connaissance de ce que fut le système colonial, sa réalité quotidienne et ses visées idéologiques, les résistances algériennes et françaises à ce système de domination», écrit-il. Dans les colonnes de L'expression, l'historien originaire de Constantine a précisé que l'Etat français a pour «tradition» de commander des rapports auprès d'experts dans leur domaine de compétence. Une fois remis, l'usage de ces rapports est du ressort des gouvernants. Benjamin Stora, qui avoue avoir été surpris «par l'énorme retentissement médiatique», précise que son travail a donné lieu à «une condamnation immédiate par l'extrême droite», et à des «protestations véhémentes de filles de harkis qui estiment ce rapport trop favorable au nationalisme algérien». T. H.