Il mord à pleines dents dans un hamburger dégoulinant de sauce, elle croque des chips et ingurgite une bouteille de soda, il avale tel un glouton un énorme gâteau au chocolat ; ils en demandent et en redemandent devant le regard impuissant de leurs parents... Ils n'ont pas encore franchi l'adolescence, et pourtant l'obésité les guette. Quand elle ne s'est pas déjà installée. Est-ce une fatalité ? Témoignages. Zahia, 42 ans, enseignante L'air dépité, au bord du désespoir elle raconte. «Je n'arrive plus à freiner les envies de Sabrina, mon enfant unique. Elle a dix ans, elle mesure 1m40 et pèse 55 kilos. Le médecin a tiré la sonnette d'alarme. ‘'Votre fille est obèse, et si vous ne la surveillez pas, elle va traîner ça toute sa vie. Sa puberté approche à grands pas, si elle ne perd pas les kilos en surplus avant, ce sera difficile pour elle d'atteindre son poids normal. C'est plus de 10 kilos qu'elle a en plus. Sans compter les maladies qu'elle va développer.'' Ces mots je les ai reçus comme un couteau dans la poitrine. En sortant de son cabinet, je m'étais juré qu'elle n'avalerait plus ni sandwich, ni gâteau à la crème, ni crêpe débordant de chocolat.» Zahia ne sait plus comment elle en est arrivée là. «C'était comme un tourbillon qui m'attirait de plus en plus vers le fond. Et je ne m'en rendais même pas compte. Je crois que cela a commencé alors qu'elle avait à peine un an. Ma hantise qu'elle pourrait manquer de vitamines m'incitait à la gaver : Banane, et pas une seule ; lorsqu'elle en redemandait, je n'hésitais pas à satisfaire sa demande ; yaourt, elle ne se contentait jamais d'un pot, sans parler des jus de fruit industriels, des sodas, barres chocolatées et autres friandises. Au départ, j'étais fière de ses rondeurs. Elle avait de belles joues toujours rouges, des bras et des cuisses bien potelés. J'étais heureuse et convaincue qu'elle ne pouvait choper aucune maladie grave. Au fil des ans, je remarquais que son appétit grandissait. Elle ne s'arrêtait pas à une seule assiette de frites, de pâtes, ou d'un morceau de viande ; quant aux légumes, elle les refusait catégoriquement, et lorsqu'on tentait de la forcer, c'étaient d'interminables crises de larmes. On finissait par céder. Les goûters à l'école étaient composés essentiellement de barres de chocolat ou de croissants fourrés. Et il lui fallait toujours deux. C'est en fait mon entourage, ma famille, mes amies qui ont attiré mon attention. Comme ils ne la voyaient pas régulièrement, ils remarquaient vite qu'elle grossissait à vue d'œil. Au début, je le prenais mal. Je me disais qu'ils étaient jaloux car leurs enfants étaient maigres et n'avaient aucun appétit. Mais le temps leur a donné raison. Je m'en suis aperçue lorsque Sabrina ne rentrait plus dans son pantalon ou sa jupe que je lui ai acheté un mois auparavant. Là, je commençais à m'inquiéter mais ne voulais pas admettre que ma fille tendait vers l'obésité. Quand j'essayais de la rationner, c'était son père qui flanchait, et vice-versa. Jusqu'au jour où lors d'une promenade dans un parc, alors que les filles et les garçons couraient comme des flèches, Sabrina n'a pas fait quelques mètres qu'elle est revenue essoufflée. J'ai pris conscience de la gravité de la chose. Monter les escaliers, c'est pareil. Je l'ai inscrite pour pratiquer la natation, ça a duré un mois, elle me disait que ça la fatiguait. J'ai décidé alors de consulter un médecin. J'ai bien compris ce qu'il fallait faire, mais croyez- moi, ce n'est pas facile la restriction. Repenser son alimentation, éliminer tout ce qu'elle aime n'est pas une mince affaire, mais pour la santé de ma fille je finirai par y arriver.» Amine, 40 ans, fonctionnaire Son problème c'est avec son aînée. Samy a 13 ans et il mange comme trois. «Je n'ai pas attendu qu'un médecin me confirme son excès de poids. Il porte du 42, et tous ses vêtements le serrent. Il a toujours aimé la bonne chair, les frites midi et soir, et il refusait tout autre nourriture. Sa mère et moi, on cédait impuissants devant ses caprices ; lorsqu'on le forçait à boire de l'eau, on avait l'impression que c'était du poison qu'il ingurgitait. Au petit- déjeuner, il avalait un verre de coca accompagné de deux, parfois trois madeleines fourrées au chocolat. Au déjeuner, les sacrosaintes frites qu'il arrosait d'une bonne dose de mayonnaise et un bon morceau de viande hachée. Ses pâtes, il les mangeait en râpant presqu'une demi-livre de gruyère sans compter les friandises. Il était capable de croquer deux tablettes de chocolat en faisant ses devoirs. Cela vous donne une idée de son appétit. Avec lui, la restriction relevait de l'impossible. C'est au collège qu'il a réalisé à quel point il était gros. Comment ? Lorsque ses camarades le taquinaient, en lui collant un sobriquet, et que les filles le fuyaient. Eh bien les privations, et surtout le changement de régime il se les a imposés lui-même.» Leila, 60 ans, femme au foyer Je reconnais que c'est moi qui ai rendu mes trois filles obèses. Je les couvais, chouchoutais et ne voulais surtout pas qu'elles aient faim. Quand je les voyais manger, j'étais heureuse. Je passais parfois toute la matinée dans la cuisine. Je mijotais des plats de viande de mouton, des quantités astronomiques de frites. Et lorsqu'elles sortaient de l'école, elles s'installaient pour s'empiffrer. Au goûter, c'était des sandwichs, une baguette chacune, des frites et encore des frites. Elles avaient toujours quelque chose à manger lorsqu'elles étaient en face de la télévision. Je leur préparais moi-même les gâteaux, avec du pur beurre. Résultat des courses : à la puberté, elles pesaient 90 kilos, l'ainée les dépassait. Perdre le surplus n'était pas facile. Elles y sont arrivées grâce à leur volonté et leur persévérance, elles. Aujourd'hui elles sont mariées, elles ont des enfants, et ont juré que jamais elles ne feront la même bêtise que leur maman.»