Par Belaïd Mokhtar, un lecteur Bouba n'a jamais accepté d'être soumise, le seul homme peut-être qu'elle aurait pu accepter d'écouter, c'est un père moudjahid mort durant la guerre de Libération dont elle ne garde que quelques photos jaunies par le temps. Elle a aussi beaucoup de respect pour sa mère qui ne lui a jamais imposé quoi que ce soit ; bien au contraire, en toute circonstance elle prenait sa défense contre des frères machos et autoritaires qui lui rabâchent à longueur de journée : «Fait pas ci, fait pas ça, il ne faut pas rentrer tard, il ne faut pas t'habiller comme ça.» A croire qu'ils s'entraînent pour devenir de futurs gardes-chiourmes. A travers les rues de la petite ville, elle croise souvent de jeunes dragueurs en herbe qui, à la place du cerveau, ont des bennes à ordures et dès qu'ils ouvrent la bouche ce ne sont que salissures et obscénités qui en sortent, et ce, parce qu'elle refuse de répondre favorablement à leurs avances. Au collège un pion trop zélé et mouchard lui mène la vie dure depuis qu'il l'a surprise avec une cigarette. Il voulait à tout prix la faire renvoyer et lui faire rater son examen final mais sans succès heureusement. Harcelée chez elle, dehors et même au collège, la gent masculine lui rend l'existence pénible, et c'en est trop. Elle savait que ses accoutrements, sa coupe de cheveux à la garçonne et sa manie de ne jamais baisser les yeux sont la source de tous ses problèmes. Mais il n'était pas question pour elle de changer pour faire plaisir à ses détracteurs. Ne pouvant supporter la présence d'un mâle à ses côtés, elle ne fréquente que des filles qui ont le même tempérament qu'elle et qui ne se laissent pas dicter leur conduite. C'est en compagnie de ses copines qu'elle s'éclate et parvint à dénoircir cet entourage glauque qui l'étouffe. Elle a bien sûr eu des moments de béatitude et de jubilation comme la célébration de son 21e anniversaire, qu'elle a fêté dans une pizzeria dont elle a loué la salle à cette occasion. Toutes ses amies étaient de la partie, musique et danse à fond la caisse ! Des moments inoubliables, gâchés toutefois par l'imprudence d'une de ses amies, qui a eu un malaise après avoir pris discrètement des boissons énergisantes. Mais Bouba, alerte, a vite fait de lui faire ingurgiter plusieurs tasses de café, et elle finit par retrouver ses esprits. Elle se rappelle aussi d'une autre mésaventure et qu'elle raconte aujourd'hui en souriant, c'est le jour où elle décide avec ses amies de louer une voiture pour une promenade dans la ville. Elle brûle un sens interdit qui, malheureusement, les mènera droit dans un commissariat. Les policiers, estomaqués par autant d'audace, saisirent les papiers de la voiture mais après des palabres interminables, elles finirent par amadouer les hommes de loi et purent récupérer les documents du véhicule. Les moments les plus exaltants elle les a vécus avec sa cousine Samia, de nationalité française, qui venait la rejoindre tous les étés pour de super virées à travers les plages, la montagne et autres endroits paradisiaques. Elles étaient inséparables. Bouba passait outre les interdictions de ses frères qui ne voyaient pas d'un bon œil cette entente fusionnelle avec cette intruse qui risquait de dévergonder leur sœur. Ses frangins n'avaient pas tout à fait tort, l'idée de partir rejoindre sa cousine de l'autre côté de la Méditerranée commençait à germer dans la tête de notre intrépide casse-cou. Le hic c'est que pour cela il lui fallait un visa, mais ses ressources se résument à une toute petite pension de fille de chahid. ll lui a fallu donc faire des économies durant des mois avant de réunir ladite somme et rassembler toutes les pièces exigées, remettre le tout au patron d'une agence de voyages et attendre la réponse. Mais qu'elle fut sa déception lorsque le visa lui ait été refusé. Il fallait donc trouver une autre solution. Elle proposa à Samia de faire un mariage blanc avec un de ces hommes fortunés qui déboursera un beau pactole et avec cet argent, elle s'achètera le fameux sésame. Sa cousine accepta de se lancer dans cette hasardeuse combine, elle dénicha vite fait le bonhomme, mais les exigences de ce dernier finirent par faire capoter la transaction. En désespoir de cause la seule alternative qui lui restait c'était la harga. Son périple débuta en 2009, bien avant la crise syrienne et l'afflux des réfugiés en Europe, l'obtention du visa vers la Turquie a été facile, puis la Grèce, l'Italie où, selon une de ses amies, elle a eu quelques difficultés avec les carabiniers. Là aussi elle est arrivée à se tirer d'affaire, et enfin l'arrivée en France, et ce, grâce à Samia. Elle s'était imaginée qu'en France les portes du paradis allaient enfin s'ouvrir pour elle, ainsi, finie la galère. Là-bas les femmes ont le droit de s'habiller comme elles l'entendent, de s'exprimer, de sortir et de fréquenter qui elles désirent. C'est juste, mais pour cela il faut être en situation légale, ce qui n'était pas son cas. Elle ne comprenait rien, mais on a vite fait de lui expliquer que si elle n'obtient pas une carte de séjour, elle devrait retourner d'où elle venait. Un deuxième parcours du combattant l'attendait. Aidée par sa cousine, elle essaya de constituer un semblant de dossier très vite rejeté par la préfecture. Samia ne pouvait lui venir en aide, pas de papiers, pas de travail, pas de ressources, elle pouvait juste loger chez sa protectrice, mais pour combien de temps ? Ne pouvant vivre éternellement aux crochets de sa cousine, elle décida de tenter sa chance en Belgique. Aujourd'hui nous avons perdu sa trace mais, selon certaines de ses connaissances, elle n'est pas retournée au pays, elle se porte bien, et que, peut-être a-t-elle réalisé son rêve ?