Le procureur Abdelli achevait, la nuit derni�re, son r�quisitoire en m�me temps que se terminait la c�r�monie des oscars : le cin�ma s'octroyait � Blida, comme � Los Angeles, ses bons points et ses d�sillusions. En m�me temps qu'elle ratait la palme du meilleur film �tranger, l'Alg�rie ratait aussi, comme pr�vu, son premier proc�s politico-financier. Trop t�t pour la v�rit�. La cour de Blida, dans un formidable sc�nario, a habilement �vit� que le proc�s Khalifa ne soit celui du syst�me politique, alors qu'il ne devait �tre que cela. On a tout appris des vertus thermales du centre de thalassoth�rapie de Sidi-Fredj mais rien de la sordide connivence qui liait un pouvoir corrompu � un homme d'affaires pervertisseur. Quelques directeurs d'agence et une dizaine de seconds couteaux vont passer de longues ann�es en prison. D'autres vont y mourir. Les vrais parrains politiques de l'escroquerie, r�v�l�s pourtant par le proc�s, seront, eux, �pargn�s de la bourrasque. Les Alg�riens ne sauront rien de l'affaire Khalifa, c'est-�-dire de cette conjuration mafieuse entre le Palais et l'argent. C'est au proc�s de cette coterie qu'ils voulaient assister. C'est � ce proc�s qu'ils n'ont pas eu droit. Pour d�boucher sur cette arlequinade judiciaire, la cour de Blida a us�, dans une magnifique prestation de j�suitisme, de subterfuges parfois subtils, d'autres fois grossiers, mais toujours triomphants : la flagornerie, la d�politisation du proc�s et l'�motion populiste. Passons sur cette vulgaire cajolerie qui se r�sumait, pour le minist�re public, � flatter la presse �pour le travail qu'elle a fait�. Dans la bouche du procureur cela prenait plut�t l'accent d'�loges � la presse �pour le travail qu'elle n'a pas fait�. Sur cette finasserie qui fait passer les journalistes pour les complices d'une pantalonnade judiciaire et la justice alg�rienne pour la gardienne de la morale, nous reviendrons dans notre chronique de jeudi. Reste l'adroite d�politisation du proc�s Khalifa. On a entendu la pr�sidente supplier � voix haute les accus�s de ne �pas politiser l'affaire �, ce qui condamnait d�j� un scandale politico-financier � �tre jug� comme un simple larcin de pickpockets ! La justice alg�rienne a de nombreuses fois prouv� ses aptitudes � la prestidigitation mais dans le cas de Blida, elle a r�ussi l'exploit : �viter que le proc�s Khalifa ne d�bouche sur le proc�s du syst�me. La d�politisation du proc�s a permis de �d�construire� en quelque sorte les m�canismes de la complicit� entre le pouvoir politique et l'argent de Moumen. On �vite, par exemple, de d�voiler l'arrangement conclu entre le r�gime et Khalifa autour de la cha�ne de t�l�vision KTV : en �change d'une certaine permissivit� sur ses transactions financi�res, l'homme d'affaires avait abandonn� aux d�cideurs alg�riens l'antenne d'Alger de la cha�ne afin d'en faire un outil pour �la r��lection de Bouteflika�. C'est en application de ce deal que la ministre Khalida Toumi s'�tait autoris�e � d�signer Mme Hajilani � la t�te de KTV Alger et que les journalistes, tr�s proches du pouvoir, qui y officiaient �taient recrut�s par des officines publiques mais pay�s par Khalifa. D'o� le path�tique �tonnement de la pr�sidente de la cour de Blida devant les r�v�lations de Mme Hajilani : �Comment pouviez-vous travailler � la fois au minist�re de Culture et chez Khalifa ?� Ah, mais c'est que, Madame la Pr�sidente, tout le sortil�ge du comp�rage entre l'argent et le pouvoir �tait l�, sous vos yeux, et vous l'avez balay� d'un revers de la main. Pourtant, convoquer Khalida Toumi aurait �t� � la fois aussi ludique que les r�v�lations sur les cartes de thalassoth�rapie mais en plus, beaucoup plus instructif sur la collusion entre le Palais et l'argent. Mais comme il ne fallait pas �politiser �... Oui, surtout prot�ger le Palais de l'outrage. La d�politisation du proc�s a ainsi �vit� de mettre un nom sur les puissants receleurs de l'ombre, tous hauts dignitaires du r�gime. Citer un personnage compromettant vous exposait imm�diatement � la remontrance un peu d�sabus�e mais ferme de la pr�sidente : �Je vous en prie, ne politisez pas l'affaire.� Comment r�sister � une supplication formul�e avec autant de gentillesse ? Et c'est ainsi que si on a appris, lors du proc�s, que l'appartement parisien du Faubourg Saint-Honor� offert par Moumen Khalifa � un notable du r�gime a �t� r�cup�r�, revendu et l'argent rapatri�, on ne sait toujours rien dudit notable. Chut ! Chercher � le savoir ferait de vous un intrigant qui veut �politiser l'affaire�. Et puis, pourquoi cette malsaine manie � vouloir impliquer de hauts responsables quand vous avez un choix royal de boucs �missaires avec des noms bien de chez nous : Akli, Hakim, M�ziane, Djamel ? Qu'est-ce que dix ans de prison pour ces hommes insignifiants quand leur p�nitence servirait � sauver l'honneur du Roi et du syst�me tout entier ? C'est � cette mission majeure, sauver l'honneur du syst�me, qu'a sembl� ob�ir le fid�le Abdelmadjid Sidi Sa�d en conc�dant son fameux �j'assume !� qui sonne comme le cri du brave soldat Shvek � l'heure du hara-kiri. L'aveu, dans la bouche du secr�taire g�n�ral de l'UGTA, a eu l'avantage salutaire de r�duire une grosse machination d'Etat, conduite en parfaite intelligence entre les dirigeants alg�riens et le milliardaire Khalifa, en une simple erreur de gestion dont Sidi Sa�d revendique courageusement la paternit�. Plut�t faire retomber l'opprobre sur le leader syndicaliste, qui pourra toujours arguer de n'avoir jamais �t� un parangon de la gestion, que de laisser croire que les fonds des caisses sociales ont �t� d�pos�s chez El Khalifa Bank, sinon sur ordre du Palais, du moins avec son consentement. Sidi Sa�d a �t� �sacrifi� avec son consentement, ce qui a provoqu� la col�re de Louisa Hanoune toujours prompte sur les mots et qui n'a pas h�sit� � parler de �complot contre l'UGTA�. Entendons par l� qu'� ses yeux Sidi Sa�d n'est pas plus coquin que d'autres pour servir si tristement de fusible. Elle n'a pas tort. Abdelmadjid Sidi Sa�d n'avait fait que suivre l'air du temps : pourquoi craindre de confier les milliards des caisses sociales � El Khalifa Bank puisque Moumen avait ses entr�es au Palais et que les gens du royaume ne r�pugnaient pas � profiter de ses largesses ? C'est la complicit� entre le Palais et l'argent qui a encourag� le secr�taire g�n�ral de l'UGTA � oser faire ces d�p�ts faramineux. Une complicit� que le proc�s de Blida a rendu invisible en nous en cachant tous les indices : le nom du joyeux propri�taire de l'appartement parisien du Faubourg Saint-Honor�, celui de ces deux hauts responsables d'El-Mouradia subitement devenus ambassadeurs, le march� conclu entre le pouvoir et Moumen autour de KTV... Mais on peut se fier � la parole du procureur Abdelli : d'autres proc�s sont programm�s pour juger ces gros poissons. On pourra y aller en Fatia ou en prenant le m�tro d'Alger. Que restait-il alors � la cour de Blida ? Jouer sur l'�motion populiste. Condamner les individus qui ont �brad� l'argent des pauvres d�posants �, brocarder ces chefs d'agence qui ont �jou� avec les sous des retrait�s �. Vingt ans de prison. Allez-vous laisser faire cette parodie digne oscars du cin�ma ? A vous de voir Madame la Pr�sidente !