Pour dire que dans le bras de fer entre le Capital et le Travail, la force du premier fait plier le second, Warren Buffett, milliardaire am�ricain, s�est immortalis� en clamant r�cemment : �La lutte des classes existe, et c�est la mienne qui est en train de la remporter�. L�eau et la terre sont dans le collimateur du profit, comme l�ont �t� les mati�res premi�res au XIXe si�cle et le p�trole au si�cle dernier. Bient�t, il ne lui restera plus que l�air comme ultime refuge. On conna�t les incidences sociales de la privatisation et de la �profitation� de l�eau (pour reprendre une belle expression in�dite du LKP de Guadeloupe) en Am�rique Latine � l�or�e des ann�es 1990. Chez nous aussi, le pr�cieux liquide est au centre de tensions croissantes, l� o� on le soup�onne le moins ; ainsi, l'Egypte semble n'�tre plus ce don du Nil d�crit par H�rodote. Le quotidien cairote ind�pendant al- Masri al Yoma qualifi� de �guerre de l'eau� les soul�vements populaires, parfois violents, dont le mobile �tait la pi�tre qualit� du service d'adduction en eau potable. Les assoiff�s ont d� se tourner vers des commer�ants en eau qui la transportent dans des camions-citernes et la vendent � un prix souvent exorbitant en d�pit d'une qualit� contestable et d'un service al�atoire. Que l�eau soit source de vie qui se pr�te difficilement � appropriation, rien n�y fait : malgr� leur renvoi de nombreux pays, ses pr�dateurs ne sont pas pr�s de l�cher le morceau. Pas facile de le faire lorsqu�on sait que la distribution et l'assainissement de l'eau enregistrent un taux de rentabilit� in�galable : � en croire les experts r�unis au 5e forum de l'eau d'Instanbul, chaque dollar d�pens� dans ce secteur rapporterait 8 fois plus, sous forme de dividendes divers (dividende emploi, d'efficacit� et dividende social). Aussi, dans un contexte financier incertain, le manque de volatilit� du secteur de l'eau tend d�sormais � attirer les fonds priv�s. La terre n��chappe �galement pas � la logique du profit, exacerb�e par la crise alimentaire et un fort relent de colonialisme. Des Etats riches et des entreprises multinationales ach�tent ou louent � tr�s long terme des superficies consid�rables de terres agricoles dans les pays en voie de d�veloppement. L� aussi, la logique �conomique balaie tous les tabous. L�horizon de placement est de 10 ans en moyenne, avec des retours sur investissements qui peuvent atteindre 400 % en Afrique � contre 10 � 40 % par an pour les fermes situ�es en Europe. Les nouvelles possessions sont r�gies par des accords gouvernementaux, dits de �coop�ration agricole�, n�goci�s avec les pays pourvoyeurs de terres ; leur mise en �uvre revient au secteur priv�. A elle seule, la Chine a contract� une trentaine de ces accords ces derni�res ann�es. L�ONG Grain (pour Genetic Resources Action International), bas�e � Barcelone, a le m�rite d�assurer une veille mondiale quotidienne et un blog recensant les articles de presse publi�s sur ce sujet. A la diff�rence de l��re coloniale, la ru�e actuelle r�v�le une grande vari�t� d� �accapareurs� (des Etats du Nord comme du Sud, directement ou par le biais de certaines de leurs compagnies ou soci�t�s de placement). Ce sont aussi bien des pays europ�ens (Grande-Bretagne, Su�de), asiatiques (Chine, Cor�e du Sud, Japon dont les entreprises contr�lent d�j� plus de 12 millions d�hectares � l��tranger), p�troliers (pays du golfe Persique, Libye, etc.) que des compagnies de pays �mergents (Br�sil, Inde). Les pays cibles sont �galement r�partis sur tous les continents : Am�rique Latine (Paraguay, Argentine), Asie (Birmanie, Cambodge, Laos, Indon�sie, Philippines, Tha�lande, Vietnam), Europe centrale (Ukraine), Afrique (S�n�gal, Mali, Malawi, Ouganda, Soudan, Tanzanie). Les monarchies du Golfe se partagent un peu moins de 3 millions d�hectares au Soudan, au Pakistan ou en Indon�sie. Ils esp�rent ainsi faire face � une facture alimentaire de plus en plus lourde qui atteint aujourd�hui les 20 milliards de dollars. L�Arabie Saoudite a r�cemment fait savoir qu�elle s�appr�tait � investir en Afrique du Sud et aux Philippines pour cultiver et couvrir ses propres besoins en bananes, mangues, ananas, riz, ma�s et viande bovine. Il s�agit, l� aussi, d�assurer l�approvisionnement en c�r�ales dont la raret� de l�eau limite la production agricole. Auparavant, le royaume hach�mite avait pris le contr�le d�environ 1,6 million d�hectares de terres en Indon�sie et s��tait appropri�, conjointement avec les Emirats arabes unis, 1,4 million d�hectares dans des pays comme le Pakistan ou le Soudan. La Turquie, le Kazakhstan, le Cambodge, les Philippines, l�Ouganda sont �galement vis�s par les pays du golfe Persique. Leur voisin, Isra�l, prospecte des terres arables au Cambodge pour faire pousser du riz et des l�gumes. La Chine figure �galement parmi les plus gros investisseurs. Elle a d�j� acquis 2,1 millions d�hectares en Am�rique du Sud, en Afrique, en Asie du Sud-Est et en Australie. P�kin anticipe d�j� la r�duction drastique des surfaces agricoles, menac�es par une expansion industrielle �galement grosse consommatrice de ressources en eau. Au Kazakhstan, au Queensland (Australie), au Mozambique, ou encore aux Philippines, les entreprises chinoises cultivent riz, soja, ma�s, canne � sucre, manioc, sorgho. Les Etats ou leurs d�membrements ne sont pas les seuls acqu�reurs de terres. Les entreprises et les fonds sp�culatifs aussi se disputent l�acquisition de propri�t�s. La tendance est r�cente : elle date de l�effondrement des march�s financiers. Le fonds d�investissement am�ricain Black Rock vient d�annoncer la constitution d�un fonds sp�culatif agricole de 300 millions de dollars, dont 30 millions sont r�serv�s � des acquisitions de terre. La soci�t� fran�aise Louis Dreyfus Commodities, qui poss�de 60 000 hectares au Br�sil, est actuellement int�ress�e par l�achat ou la location de terres au Nigeria et en Afrique subsaharienne. La Deutsche Bank et Goldman Sachs poss�dent des fermes et des usines de viande en Chine. La banque d�investissement Morgan Stanley est propri�taire de 40 000 hectares en Ukraine, pays o� le fonds sp�culatif russe Renaissance Capital poss�de 300 000 hectares. La Russie s�annonce �tre l�eldorado des nouveaux investisseurs terriens : l�entreprise lituanienne Agrowill, les su�dois Alpcot Agro et Black Earth Farming investissent massivement en Russie ; le britannique Dexio Capital souhaite acheter 1,2 million d�hectares de steppes russes. A Madagascar, o� 600 000 personnes d�pendent de l�aide alimentaire, la r�sistance a pay�. Les r�centes �meutes qui ont embras� l��le ont �t� d�clench�es par l�annonce de la location de 1,3 million d�hectares � la superficie de l�Ile-de-France � pendant 99 ans par l�entreprise sud-cor�enne Daewoo Logistics qui souhaitait y produire du ma�s (avec un objectif d�une production annuelle de 5,5 millions de tonnes en 2023 destin�es � �tre export�es en Cor�e du Sud) et 5 millions de tonnes d�huile de palme par an pour le march� sudcor�en. La Cor�e importe actuellement 11 millions de tonnes de ma�s par ann�e, principalement des Etats-Unis. Pour mener � bien son projet, Daewoo entendait faire venir de la main-d��uvre principalement sud-africaine. Un demi-si�cle apr�s les grands mouvements de d�colonisation, les terres agricoles des pays en d�veloppement sont donc en train de devenir l�objet d�une nouvelle prise de contr�le par des int�r�ts �trangers. De nombreux pays n�ont toujours pas adopt� de r�gimes fonciers qui assurent des titres de propri�t� aux paysans en place. Beaucoup d�entre eux n�ont encore acc�s � la terre que par le biais de droits coutumiers complexes et souvent arbitraires, h�rit�s de l��re pr�coloniale et �rig�s en �l�ments de la nouvelle identit� nationale apr�s les ind�pendances. Dans d�autres pays, c�est plut�t le contr�le de la plus grande partie des terres par une toute petite minorit� qui emp�che les paysans de disposer de quantit�s suffisantes de terres pour leur permettre d�en vivre. Pendant ce temps, les pays du Nord, eux, se barricadent. La plupart d'entre eux ont adopt�, depuis d�j� plusieurs d�cennies, des l�gislations relativement restrictives en mati�re d�achat de terres agricoles par des �trangers. Aux Etats-Unis, pas moins de 28 Etats ont des l�gislations qui limitent les possibilit�s d�acquisition de terres par des non-r�sidents. Il en est de m�me pour une majorit� des provinces au Canada. Au Manitoba ou en Saskatchewan, un non-r�sident ou une compagnie �trang�re ne peut poss�der plus de 20 hectares de terres agricoles. On trouve des restrictions du m�me type en Australie, en Nouvelle-Z�lande et dans certains Etats europ�ens. Plus les terres agricoles sont vastes et la densit� de population faible, plus les besoins de protection sont manifestes, ce qui explique que des provinces comme l�Ontario ou le Qu�bec, � forte densit� de population, ne se sont pas senties autant menac�es par l�achat de terres par des �trangers.