Voilà Abdellatif L., 26 ans, qui pleure dans la salle du tribunal de Chéraga (cour de Blida). Abdellatif pleure car il vient de comparaître pour agression et vol en... 2002 de la ridicule somme de 80 DA - le prix d'une chawarma à l'époque ! Abdellatif pleure devant sont avocate, car il se dit innocent. L'avocate, elle, est beaucoup plus amusée que révoltée. Elle le dira plus tard devant la présidente de la section correctionnelle : «Voyez un peu l'état d'esprit qui prévaut au parquet. Un dossier qui a dormi dans le tiroir durant huit années, soit après le passage de cinq procureurs de la République, Abdelli à celui qui vient d'arriver d'El Khemis en passant par Aït Challal Amara et Anouar Sadate, Abdellatif pleure, car Abderahmane le lui avait dit : «Ne sois pas triste, tu vas avoir en face de toi une bonne juge et une parquetière qui va réagir tel un robot. Elle va effectuer des demandes sans fondement.» Heureusement pour l'inculpé, la présidente n'a pas été longue, ni ennuyeuse, ni harceleuse...Beaucoup de justiciables avaient rigolé lorsque Abdellatif L. avait été informé par Yasmina Mezaache, la jeune présidente de la section correctionnelle du tribunal de Chéraga, qu'il avait en 2002 - huit années donc après les faits - agressé quelqu'un et volé la modique somme de 80 DA ! Qui a donc transmis une plainte si ce n'est quelqu'un de cultivé qui devait donc connaître le fameux adage qui dit qui vole un œuf vole un bœuf (ridicules poursuites alors qu'en 2002, dans le même tribunal, l'enquête sur El Khalifa Bank démarrait sur les chapeaux de roue, une enquête qui verra plus de trois mille personnes être entendues : cent seront jugées et cinquante acquittées ou relaxées devant Fatiha Brahimi, la présidente, alors que Mohammed Abdelli, l'actuel procureur général, occupait le siège du ministère public. Alors ce pauvre Abdelli, en recevant la convocation pour être entendu comme inculpé au rez-de-chaussée du tribunal, avait perdu le sommeil avant de chercher un avocat. Il en trouvera une : maître Nassima Aid qui allait concocter une plaidoirie tragi-comique, surtout que jeudi, le jour du procès, elle lui avait conseillé de garder son sang-froid et de répondre aux questions du tribunal par oui ou par non et surtout de s'abstenir de commenter ses réponses, faute de quoi il risquerait de s'enliser dans son verbe enfonceur. Et là, rendons un rapide hommage appuyé à la magistrate qui avait compris que ce dossier n'est qu'une perte de temps et que le plus tôt sera le mieux. Elle posera huit questions, tiens, tiens, quelle coïncidence ! huit ans que le dossier a passé dans le tiroir du parquet ! Huit mille centimes, la somme prétendue volée ! Huit questions, donc la réponse donnée avec soulagement par l'inculpé qui devra attendre. tiens tiens, huit jours pour connaître le verdict ! Décidément. Nous aurions dû titrer cette chronique : Huit fois huit ! Que reste-t-il à dire encore autour de cette affaire rigolote ? Plus rien, sauf l'intervention de l'avocate qui a jugé utile de ne pas faire perdre son temps au tribunal pour qui elle voue une profonde admiration : «Madame la présidente, je suis heureuse de ne pas être sur votre pupitre, mais que voulez-vous ? Les poursuites ont ce privilège : celui d'être suivie ! Alors disons à notre tour que Abdellatif est blanc. Il n'a ni agressé ni volé, rien de rien. Il a seulement reçu une convocation. Il a eu le mérite d'être venu dès la première audience vous permettre de vous débarrasser d'un dossier vide. Alors, nous ne demanderons pas la relaxe. C'est normalement un dossier classé, oui une affaire à classer. Le tribunal a autre chose à faire. Voilà les demandes de la défense...», avait sifflé l'avocate, mi-amusée, mi-agacée d'avoir perdu un temps fou à attendre pour si peu, ou pire, pour rien. Plus tard, Abdellatif, lui, avait continué à pleurer, car ses proches avaient entendu qu'il allait être jugé pour coups et blessures et vol. Le pauvre !