Tout le monde se souvient de l'extraordinaire dépense d'énergie déployée dans la foulée de l'arrivée aux affaires de M. Sellal comme nouveau Premier ministre, autour de la lutte contre le commerce informel. On ne peut pas ne pas s'en souvenir, d'abord parce que c'est encore tout frais, ensuite parce que le discours semblait trop déterminé, pour ne pas installer tout de suite le doute. L'action qui a prolongé le discours, elle, est restée dans la «tradition». Elle était tellement zélée et folklorique que dans le meilleur des cas, elle n'a suscité comme réaction du citoyen ordinaire que rires sarcastiques et haussement d'épaules dubitatifs. C'est que les Algériens ne sont pas habitués à une telle «fermeté» et pour cette fois-ci, il n'y avait aucune raison pour qu'ils la prennent au sérieux, d'autant plus qu'ils ne voyaient pas vraiment ce qu'elle allait changer directement dans leur quotidien. Ils le voyaient bien à travers ce que leur servaient la télévision et ses intervenants convoqués pour la circonstance. Des vendeurs de pommes de terre dont on a dégagé manu militari l'étal ou la camionnette, des policiers hargneux qui semblaient compenser dans l'action spectaculaire d'un jour, des années de laisser-aller et de complaisance et des autorités locales qui donnaient l'impression de tenir l'occasion de leur vie pour prouver qu'ils sont finalement capables de faire quelque chose pour leurs collectivités. Il n'y avait finalement que le bénéfice du doute qu'on pouvait accorder à un Premier ministre devenu un tantinet populaire pour sa bonhomie légendaire et sans parler sans emphase, pour faire passer la chose auprès d'une opinion souvent désabusée par ce genre d'opération coup-de-poing. Et ce qui ne gâte rien, M. Abdelmalek Sellal donnait la nette impression qu'il faisait de la lutte contre le commerce informel la mesure forte par laquelle il comptait inaugurer son arrivée au poste de Premier ministre. Résultat, il est arrivé qu'on se dise, pourquoi pas. Mais la disponibilité à l'optimisme n'empêche pas quelques grands et légitimes questionnements. Le commerce informel, c'est aussi les vendeurs à la petite semaine pour lequel police, responsables locaux et médias publics assuraient le «spectacle» pendant deux ou trois semaines mais le moins qu'on puisse dire est que ce n'est pas tout. C'est même sa manifestation la plus superficielle et la moins coûteuse pour l'économie et l'ensemble de l'activité nationale. Dans le «spectacle», il aurait peut-être fallu que l'opinion publique découvre quelques grosses affaires de contrebande révélées, un bazar sous-terrain démantelé ou des containers d'importation frauduleuse saisis. Même si de ce côté-ci également les Algériens sont habitués à des opérations trompe-l'œil, elles sont tout de même plus emblématiques du mal qui ronge le pays que quelques étals d'oignon démantelés face aux caméras, pendant que Monsieur le maire promet au micro des espaces de reconversion réguliers à ceux qui les exploitaient. Finalement, on n'a eu même pas ça, ce qui est tout de même le comble pour une opération par laquelle un Premier ministre comptait marquer son passage à ce niveau de responsabilité. A moins qu'on ne soit en train d'investir des terrains plus profonds. Ce qui est difficile à intégrer dans le disque dur des Algériens qui ne vont tout de même pas croire qu'on puisse s'attaquer aux «gros poissons» quand on n'arrive pas à pêcher la sardine.