Ce dossier est l´affaire-type à faire perdre son temps aux enquêteurs, au parquet et aux juges du siège qui ont autre chose à faire... Cette chronique a pour principal but de démontrer encore une fois que toutes les plaintes pouvaient mourir dans les tiroirs des commissariats ou des brigades de gendarmerie lorsqu´un délit s´avère être «la mort d´un rat d´égout». Nos juges du siège ont autre chose à faire certes, une plainte demeure une plainte et toute victime est libre de poursuivre, même si parfois, elle se désiste à la barre, mais, Ya Allah, une plainte d´une administration, aïe, aïe, aïe... Maître Benoualah Lamouri a tenté de trouver une brèche dans les procédures qui ont mené son client devant ce terrible juge, le fameux président de la section correctionnelle. Seulement voilà: l´inculpé a, après avoir tenu bon, reconnu avoir exécuté le faux. L´avocat évoque alors le rajout d´un feuillet, sans pour autant avoir transcrit le moindre mot, la moindre phrase, de quoi élaborer un faux document, ce qui est en soi un grave délit. Les termes de l´article 222 évoquant le faux, sont clairs. Maître Lamouri l´avocat de Abdeladhim R., un jeune quittant la trentaine, a pris pour cheval de bataille non pas le faux, mais le rajout d´un document au dossier: «Il y a faux lorsqu´un document se trouve dans un dossier et qu´il n´y a rien à faire» a lancé le représentant du ministère public, machinalement et sans ton, qui a bien suivi les débats en vue de requérir juste. D´ailleurs, la lourde peine (un an de prison ferme assorti d´une amende) l´a prouvé. Déchaîné, furieux, l´avocat a accueilli ces demandes avec beaucoup peu d´indifférence que de désarroi. Il le prouvera lors de sa courte mais efficace intervention, une plaidoirie bruyante, étayée d´arguments intéressants, allant dans le sens d´une bêtise que d´une autre intention - celle de dresser un méfait dans les esprits. Raide, mais serein, le juge a calmement posé des questions, précises et nettes, voulant arriver à la vérité contrairement au procureur qui a posé une question-piège à laquelle le prévenu a répondu sèchement et s´en est donc bien tiré. Il faut signaler pour l´intégrité de cette chronique que Abdeladhim avait d´abord tout nié en bloc. Il a même vaillamment résisté devant le chapelet de questions dont les réponses pouvaient le confondre et donc le mouiller. Ce n´est qu´un peu plus tard qu´il se met à table et reconnaît qu´il a réussi à substituer un feuillet au dossier: «L´article 122 n´est pas applicable à mon client qui n´a rien falsifié. Il n´a rien touché. Il vous l´a dit. Pourquoi croire le parquetier qui n´a pas les preuves de l´exécution du faux. L´indulgence n´est demandée avec insistance que pour la petite faute qu´a été l´introduction du fameux document dans le dossier» a martelé le défenseur qui savait depuis qu´il avait été sollicité par la famille de l´inculpé que la tâche était ardue, difficile, dure mais point insurmontable. Il n´y avait qu´à suivre les gesticulations de l´inculpé qui a même agacé le tribunal en s´exprimant avec les mains comme le font tous les Méditerranées. Passons! les débats, eux, étaient franchement à la hauteur d´une justice sereine. Il est utile, en l´espèce, de préciser que le document n´aura servi à rien. Il y a cette maudite tentation de se servir d´un dossier où un feuillet avait été placé, juste de quoi, «grossir» la chemise rendue...acceptable par l´Administration qui a demandé la constitution de ce fameux dossier tué dans «l´oeuf» à la suite de la découverte de cette intrusion. Le magistrat examine une dernière fois le dossier, demande à l´inculpé de dire le dernier mot de l´audience: «Je regrette ce que j´ai fait par ignorance mais je n´ai pas usé de faux. Je demande pardon à la justice.» Cela a suffi au président pour condamner Abdeladhim à une peine de prison de trois mois avec sursis plus une amende de cinq mille dinars. L´inculpé souffle, son conseil aussi. Il sait qu´il venait de réussir une prouesse en rappelant au tribunal que Abdeladhim était délinquant primaire. Nous étions très loin de l´année ferme demandée par le procureur qui fit, presque semblant, de n´avoir pas été ému, pas le moins du monde, par la sentence. Lui aussi a le droit d´interjeter appel si le verdict n´est pas apprécié à sa juste valeur, surtout que depuis quelque temps, des directives sèches avaient poussé les parquetiers à ne plus interjeter appel systématiquement si les verdicts étaient suffisants. Et donc, la guerre aux statistiques était aussi déclarée.