Bien que l'offre soit abondante, les cours des fruits et légumes dans les marchés d'Alger connaissent une flambée remarquable à la veille de l'Aïd. C'est que la demande n'a pas été découragée par la hausse des prix. À un jour de l'Aïd El-Adha, le lèche-étals vit d'intenses moments de passion, sinon qu'il est au firmament de l'appétit gargantuesque. Or, à cette occasion, le baromètre augure de la mêlée d'acheteurs autour des… “touabel” (les tables) aussi raffinées qu'affriolantes des marchés de bled Sidi Abderrahmane où les étals achalandés à satiété sont pour la cohue de consommateurs ce qu'est une ruche mielleuse pour les abeilles. C'est qu'ils savent s'y prendre ces marchands de fruits et légumes qui en rajoutent une note musicale et d'humour afin d'exercer l'attrait commercial sur le plus réticent des clients à s'attarder qui, pour s'extasier sur la fraîcheur des légumes, qui pour se dandiner devant d'aguichants cageots de primeurs. N'en pouvant plus de saliver, certains succombent à la tentation et optent pour la corbeille de fruits que supporte à peine le budget familial. Pour l'exemple, au marché de Bab El-Oued, le point indiciaire de la tomate s'ouvre à 100 dinars. Arrive juste derrière l'artichaut et son cœur d'amoureux où est creusé le lit de la farce de la… “dolma”, à 80 dinars. S'agissant de la pomme de terre, ici, elle se cueille au coût terre à terre et préférentiel de 40 DA. Malheureusement, ce n'est pas le cas au marché du quartier supposé cossu d'El-Biar et de sa venelle malodorante d'Ahcène-Kouba où la pomme de terre se négocie à 60 DA, pendant que l'oignon affiche 70 dinars ! Enfin et pour l'intérêt de diminuer de son taux de cholestérol d'après “la grande bouffe”, le citron oscille entre 30 et 50 dinars. Les fruits ne sont pas en reste, puisque l'exotique banane n'est pas très loin de 120 dinars, derrière l'inaccessible reinette qui se croque à l'effort de 140 dinars. Quant à la hautaine datte de chez nous, elle reste si haut perchée au-dessus de la mêlée, soit au niveau gradué de 260 dinars de son palmier dattier. Seulement, au marché de Réda-Houhou qui est à l'autre bout de la ville, à l'Agha, les tenanciers d'étals ne l'entendent pas de cette oreille et impulsent à la tomate une valeur de 140 DA, pas moins. Inouï ! D'ailleurs, c'est l'événement du jour qu'alimente de houleuse manière la tension dans les coursives de l'ancien marché Clauzel, avant qu'il ne soit supplanté par la flambée de la courgette qui a atteint le seuil de 120 dinars. S'il en est la… farce de la dolma, qui n'en est pas une, est d'un goût amer. Pendant ce temps, et à l'autre extrémité de la piétonnière de Ferhat-Boussaâd (ex-Meissonnier), c'est la carotte qui défraie la chronique de la mercuriale en s'affichant à 80 dinars. Qui l'eût cru ? Mais il y a plus d'un tour dans le sac de ces faiseurs de prix qui savent bien s'y prendre pour envoyer les détaillants au… “charbon”. Comme pour nous en persuader, le sieur navet partage également le haut de l'affiche avec la plante potagère de la famille des ombellifères. Normal, puisqu'il accompagne l'alléchante “bekbouka” à la “dououara” (les abats de mouton) au dîner de l'Aïd El-Adha. Enfin, et s'il y a de l'invariabilité dans l'air, c'est à le haricot rouge ou la “loubia tafssasse” (à écosser) à qui l'on doit la constance du coût à 140 dinars. Et c'est alors l'occasion d'une tournée du côté des vergers en friche de Birkhadem où il faudrait montrer patte blanche pour trouver un box au parking du marché qui jouxte l'autoroute de la Mitidja vers Alger. En ce lieu-ci de “nesse el-fah's” d'Alger (les banlieusards), l'écaille bleuâtre de la sardine augure d'emblée ce qui attend l'acquéreur. Pour l'exemple, la carde est cotée à 50 dinars, soit une différence de 30 dinars d'avec la… foire du centre-ville. Mais qu'importe puisque l'écart est aussitôt versé à la coopérative des gardiens de parking improvisés. Pendant ce temps, s'opère une véritable razzia dans les cambuses des supérettes, vite vidées de leurs sachets d'épices, dont la coriandre et “ras el-hanoute” (cocktail d'épices), notamment sur l'avenue Ali-Khodja d'El-Biar et à Aïn Naâdja. Quoi qu'il en soit, force est d'admettre que le pouvoir du porte-monnaie est en deçà de l'attrait des marchandises. Mais la tentation est si irrésistible qu'elle arrive quelquefois à faire faire des miracles au porte-monnaie. Décidément, le citoyen est bien seul dans la tourmente du guet-apens organisé. Nazim Djebahi