"Chronique des années de braise" était le fruit d'un processus, d'une démarche que l'Algérie, aujourd'hui déboussolée, n'a plus. "Silence, moteur, ça tourne, action !", c'est par ces termes courants du cinéma que nous étrennons le premier passage hier d'un cinéaste au Forum de Liberté. Et quel cinéaste, s'il vous plaît ! Il s'agit de Mohamed Lakhdar-Hamina, Palme d'or à Cannes qui vient de défrayer la "chronique" du cinéma avec son dernier long-métrage Crépuscule des ombres et ce, après plus de 30 ans d'absence. Le lecteur en conviendra peut-être, mais il devra en prendre acte : en guise d'avertissement, son fidèle serviteur qui n'a pas eu la chance d'assister à la projection à la presse dimanche dernier du dernier opus de Hamina n'en avoue pas moins son petit "faible" pour tous ses compatriotes qui ont inscrit, un jour, en lettres d'or, le nom du pays dans lequel il est précisément né et dont il possède d'ailleurs, le seul passeport ! A ce sujet, l'invité de Liberté rappellera que pendant longtemps les Algériens n'avaient pas droit à un passeport. Il affirme à cet égard avoir effectué son premier voyage en France "métropolitaine" sous le titre peu glorieux d'"Indigène musulman non naturalisé". Une réalité que les jeunes d'aujourd'hui connaissent, selon lui, de moins en moins... Mais franchement, comment ne pas être ému en présence de ce monstre sacré du cinéma algérien et qui plus est en version originale et sans doublage. Si l'on doit éviter, dans cet exercice, d'être bêtement "fan", nous ferons également fi des critiques "mitigées" d'un film que, de toute manière, les Algériens n'ont pas encore vu ! "Si on veut contester quoi que ce soit je suis prêt à en discuter." D'après le synopsis qu'il a décliné, Hamina aborde, une fois encore, dans cette "fiction", les inénarrables et non moins réels crimes de la France coloniale en Algérie. Son thème prédilection est, peut-être, à l'origine des critiques qu'il vient d'essuyer. Ne versons pas néanmoins dans les spéculations, la parole est au réalisateur qui, très certainement, a beaucoup de choses à dire... VOIR GALERIE PHOTOS De la pédagogie "Ce n'est pas un road-movie : c'est un règlement de comptes contre le système colonial, un procès", avertit-il sans ambages. "Qu'on le veuille ou non, c'est mon point de vue et celui de la majorité des Algériens...", précise-t-il, d'emblée, sans effets spéciaux et sans trucage. Et puis, à tout seigneur, tout honneur. L'invité de Liberté ne manquera pas de rendre hommage à la mémoire du défunt Chérif Belkacem dit "Si Djamel" qui lui a soufflé, à l'origine, cette histoire qui aborde la terrible "corvée de bois" sur laquelle les Français font, aujourd'hui, l'impasse. D'après le réalisateur de Chronique des années de braise, seul film algérien primé à Cannes (on ne le dira jamais assez), "il faut vite revenir à la réalité de la colonisation. La France doit reconnaître ses erreurs du passé. Cela dit, ce n'est pas un film anti-français, l'histoire aurait pu se passer en Chine...". Après tout, le néocolonialisme est, au-delà des thèses conspirationnistes, un sujet d'une brûlante actualité. Cela continue. Il y a péril en la demeure. "Pour les Occidentaux, l'Algérie est trop grande, c'est 5 fois la France. On veut la faire imploser de l'intérieur, chose qu'on ne pouvait jamais imaginer jusque-là", s'inquiète-t-il. Face à la menace, Hamina se veut pédagogue et continue son petit bonhomme de chemin. "Je veux exprimer tout ce qu'un Algérien veut dire à l'ancienne mère-patrie et cela sans haine aucune !" On se souvient qu'avec Le vent des Aurès et l'interprétation fulgurante de Keltoum, en mère éplorée et non moins tenace, ce natif de M'sila avait montré, de manière épique, un pan de l'abjection du colonialisme. Quant à Hassan Terro qui aurait pu avoir pour alter ego, notons-le, un harki enrôlé malgré lui, il a fait, convenons-en depuis, nombre d'émules. En moins drôle, sans aucun doute ! Interrogé sur son absence, il dira n'avoir jamais renoncé au cinéma, un métier qu'il adore : "Mon absence n'en était pas une : c'était plutôt un silence." Hamina est revenu alors, le cœur lourd, sur la décennie noire qu'il appelle "les années de plomb" : "C'était plus fort que moi : je ne pouvais plus tourner au moment où on flinguait mes amis journalistes et écrivains, au moment où l'Algérie était plongée dans le malheur...". Interrogé s'il n'avait pas manqué de la sorte à son devoir de cinéaste, il se défendra en répondant qu'il faisait cela d'abord pour le "plaisir".
"On ne voulait pas que je tourne" Mohamed Lakhdar-Hamina ne manquera également de décocher une flèche à l'endroit de l'ancienne ministre de la Culture, Khalida Toumi : "On ne voulait pas que je tourne. On m'a mis des bâtons dans les roues. On disait quand Mohamed Lakhdar-Hamina demande quelque chose il a tout ce qu'il veut, cela n'est pas vrai. Je suis un citoyen comme les autres." Pourtant, l'invité de Liberté reconnaît tout de même avoir rencontré, au sujet de cette production, pas moins le Chef de l'Etat, le Président Bouteflika qui lui a aussitôt donné son aval en juin 2008 à travers une lettre signée par son chef de cabinet Moulay Kendil, actuel ambassadeur d'Algérie en Suisse : "Quelques jours après la moitié de la somme a été virée au ministère de la Culture alors que je possède une société." Bref, il expliquera que la somme attribuée à son film a été versée au Fdatic (fonds de développement de l'art, de la technique et de l'industrie cinématographiques). "Or, on le sait bien, l'argent qui rentre au Fdatic ne peut plus en sortir. Alors que moi, je voulais prendre mes responsabilités, trouver des investisseurs, etc. Chevronné comme je suis, je proposais une coproduction. Les subventions du Fdatic, il faut les laisser pour les jeunes." Au-delà des pérégrinations de son film, le réalisateur se dit surtout affecté par la mauvaise foi qu'il a rencontrée à cette occasion : "On disait au ministère de la Culture : Lakhdar est vieux. Il a perdu la main. A une invitation qui m'avait été adressée à New York, on avait prétendu que j'étais gravement malade...". Aujourd'hui, Hamina tient sa revanche et vit une seconde jeunesse : "Rien qu'à voir les mouvements de la caméra, le travail technique que je viens de fournir n'a rien à envier aux Américains ni aux Français." Est-il plus difficile de faire du cinéma aujourd'hui en Algérie ? Le cinéaste rappellera qu'il a réalisé ses films les plus célèbres comme Chronique des années de braise ou Le vent des Aurès en quelques semaines chrono. Autres temps, autres mœurs. Pour comprendre où l'on est arrivé, un léger zoom-arrière s'impose. Ainsi, pour Chronique des années de braise, il faut rappeler que Hamina était non seulement le réalisateur, mais aussi le scénariste. Et quoi qu'on dise, cette Palme d'or à Cannes n'était sûrement pas usurpée. Elle n'a pas été vulgairement achetée par des pétrodollars comme on le soupçonne aujourd'hui pour les matchs de foot. Chronique des années de braise était surtout le fruit d'un processus, d'une démarche que l'Algérie, aujourd'hui assise et déboussolée, n'a plus. "Le talent ne s'achète ni par les milliards, ni par les diplômes, ni par les coups de pied au cul !", martèle-t-il. Il est vrai, cela dit, que depuis 1975, il en a coulé de l'eau sous les ponts. Ce triomphe "off-off" Hollywood aura démontré la vitalité du Cinéma algérien qui venait d'être "adulte" en concrétisant une nouvelle Révolution, une autre utopie. Depuis, hélas, comme chacun sait, le pays est en panne d'idées, de scenarii à mettre en image...car la technique, elle est, on va dire, suffisamment maîtrisée. Pourtant de la matière, ce n'est vraiment pas ce qui manque ! Avec leur air affecté et de plus en plus superficiel, beaucoup d'Algériens se font des films dans leur tête. Il y en a même qui sont des comédiens nés. On en connaît tous, d'ailleurs, dans notre entourage ! Leur jeu à l'Actor's Studio est parfois si parfait qu'on pourrait bien leur remettre ces fameuses statuettes dorées. Mais tout ce qui brille n'est pas or, n'est-ce pas ? Mêmes nos dirigeants nous adressent aujourd'hui le scénario qui leur convient, celui qui soigne au mieux leur image et qui ménage, à chaque fois, bien sûr, leur amour de soi. Et puis, le public est si cruel, de nos jours, que les mises en scène doivent se renouveler sans cesse. Il subsistera toutefois un écart, parfois même un gouffre entre l'image que l'on aimerait donner de soi et ce que l'on est réellement. Quoi qu'on fasse, chassez le naturel, il revient au galop. C'est pourquoi ce jeu de dupes est vite démystifié par ce qui se passe hors champ, toujours plus déterminant, chez nous, sur tout le reste. Comme au cinéma, en Algérie, tout est possible ! De régression en régression... D'après Hamina, le problème est qu'on ne peut pas, semble-t-il, aujourd'hui réfléchir et digérer en même temps. L'heure est donc à la somnolence. Même pas à la rêverie dont le cinéma est passé justement maître : "Nous sommes devenus des tubes digestifs. Pour preuve : Quand un très beau film, L'Oranais de Lyes Salem, une pure vérité reçoit des critiques infondées de la part d'un barbu frustré je m'excuse mais je ne suis pas d'accord." A l'entendre, le barbu en question est très certainement un terroriste refoulé sinon raté. Et de clamer, haut et fort, son inclination pour Bacchus : "Le jour de l'indépendance, on m'a ramassé à quatre pattes. J'ai dormi pendant 48 heures. C'était une khabta taâ chiffane ! (une saoulerie de chefs)." Adepte du "tafsir" (exégèse) et non du "takrir" (récitation), Mohamed Lakhdar-Hamina regrette à son tour que l'Algérie aille "de régression en régression" tel que souligné par le colonel Hocine Senoussi, présent au Forum de Liberté. Comment faire pour que ça aille mieux ? Situer les responsabilités ? Hamina en veut aussi à cette "réconciliation-bidon sans communauté de vues". Pour sa part, Nourredine Benferhat, des défuntes éditions Marinoor, a mis l'accent, lui, sur la nécessité de faire aimer le cinéma par les nouvelles générations. Sur le plan de la cohérence de son laïus, Mohamed Lakhdar-Hamina est, disons-le, plutôt "raccord". Sa première séquence "dans la boîte", s'ensuivra alors "en fondu-enchaîné", les questions réponses. L'invité de Liberté face aux journalistes, en champ-contre-champ. Peu avare en anecdotes, Hamina se prêtera de bonne grâce au jeu. D'ailleurs, il en demande encore. Concernant la sortie de son film en Algérie, le cinéaste est dans l'expectative déjà qu'il va être difficile pour lui de trouver un distributeur en France. "Sans salles, le cinéma est cliniquement mort en Algérie", soutient-il en rappelant que le Président Chadli lui avait proposé le poste de ministre de l'Information et qu'il l'avait refusé : "Sous l'instigation de Mohamed-Salah Yahiaoui, il m'a alors suggéré de prendre l'Oncic (Office national pour le commerce et l'industrie cinématographique). J'ai demandé aussitôt les salles de cinéma dont le nombre était à l'époque de 359. Aujourd'hui, il y en a onze." Clap de fin. M.-C. L.