La plaidoirie de Me Benamar Aieb, constitué pour la défense de Nouria Miliani dans le procès de l'affaire Sonatrach I, a été plutôt un réquisitoire contre la Police judiciaire et les magistrats instructeurs. À ses yeux, tous les inculpés sont des cadres émérites ayant pris leurs responsabilités dans l'inconfort des missions dont ils avaient la charge. Jeudi au tribunal criminel d'Alger où les plaidoiries dans le procès de l'affaire Sonatrach I se sont enchaînées jusqu'à 18h, Me Benamar Aieb, constitué pour la défense de Nouria Miliani dans le cadre d'un collectif composé de six avocats, s'est chargé, lui, de déconstruire la charge de blanchiment d'argent qui pèse sur sa cliente poursuivie, en plus de ce délit, pour trafic d'influence, pour participation dans la passation de marchés en violation de la réglementation et pour participation dans la dilapidation de deniers publics. Ce juriste, qui a pris part au groupe de travail ayant mis au point la loi relative à la lutte contre la corruption, a estimé que la quasi-totalité des magistrats ne maîtrise pas la notion de blanchiment d'argent. "Ce délit est devenu un classique dans les dossiers économiques, tous les magistrats l'ajoutent systématiquement comme charge sans qu'il y ait des éléments qui l'identifient. C'est justement très compliqué, il est conditionné par l'existence d'une infraction d'origine et d'une infraction de conséquence. Il s'agit de transformer un argent illicite en un argent propre. Où est alors le blanchiment dans le cas de ma cliente ?", s'est-il interrogé. Et d'ajouter : "Ma cliente n'a ni volé, ni détourné, ni transféré d'argent à l'étranger ! Sur quelle base a-t-on alors qualifié ce délit ? La majoration des prix de ses prestations dans le projet du siège de Ghermoul ? Elle a présenté une offre inférieure au minimum de la fourchette des prix fixés par la réglementation de maîtrise d'œuvre et elle n'a touché que 50% de son dû. Elle s'est toujours acquittée de ses impôts, et ses biens, aussi bien en Algérie qu'en France, elle les a achetés à la sueur de son front et à coups de crédits chèrement remboursés. Elle disposait d'un revenu suffisant qui lui a permis, avec l'aide de ses banquiers, d'acquérir des biens immobiliers. C'est une fille talentueuse et travailleuse qui a réalisé des projets à l'étranger, au Soudan, au Liban et même en France où elle s'est fait embaucher comme chef de mission dans un grand cabinet d'architecture. Son argent est propre, je suis fier d'elle et je mets au défi quiconque serait en mesure de prouver le blanchiment d'argent sur la base des éléments de ce dossier." "Ayez le courage de vous ranger du côté de ces cadres humiliés !" Me Aieb n'a, en tout cas, pas manqué de souligner qu'il s'est constitué pour plaider pour Nouria Miliani par "affection" : "Son père est un ami et je connais toute sa famille qui a grandement contribué à la construction de sa ville natale, qui est ma ville aussi et qui m'est très chère (Mascara, ndlr)." Mais, a-t-il, déploré, tout ce qui lui est reproché est basé sur de prétendus aveux qu'elle a dû concéder dans des conditions difficiles. "Elle était dans un état de fragilisation et elle aurait dit n'importe quoi. Ils l'ont soumise à un redressement fiscal injuste de 20 millions de dinars pour lui faire payer des taxes qu'elle a déjà payées. Ceux qui l'ont mise dans cet état savent pourquoi ils l'ont fait. Ils l'ont ruinée. Comme ils ont ruiné et humilié tous les autres accusés. Dans un Etat de droit, ce dossier, fabriqué par une police judiciaire qui n'en était pas une, n'aurait jamais dû arriver devant un tribunal. Pour abattre un arbre, ils ont brûlé une forêt !" C'est ainsi que Me Aieb a évoqué Chakib Khelil sans le nommer et le DRS sans le citer pour clamer l'innocence de sa cliente et solliciter le tribunal à la libérer ainsi que tous les inculpés. L'avocat a plaidé la thèse d'erreurs résultant d'actes de gestion. "Ce sont des gestionnaires courageux qui ont pris leurs responsabilités. Ce n'est pas à nous d'en juger aujourd'hui dans le confort de nos professions respectives. La justice doit punir, certes, mais la justice doit comprendre. Ayez le courage de libérer ces cadres humiliés. Nous connaissons votre intime conviction. La sérénité avec laquelle vous avez géré le procès d'une affaire aussi compliquée nous rassure. Votre jugement pourra faire jurisprudence. Osez vous ranger du côté de ces cadres humiliés comme nous avons osé, nous, avocats, à le faire !", a-t-il adressé au tribunal. Sonatrach II Nouria Miliani, faut-il le rappeler, est l'inculpée pour laquelle le représentant du ministère public a requis la peine la plus lourde en ce qui concerne le troisième volet de l'affaire : trois ans de prison ferme assortis de trois millions de dinars d'amende. Me Aieb a été l'avant-dernier avocat du collectif constitué pour sa défense qui a plaidé jeudi où les plaidoiries ont concerné les inculpés liés, justement, à ce volet de l'affaire relative aux marchés de réhabilitation du siège de Ghermoul. Mais avant, Me Aieb et ses collègues dans le collectif se sont également attardés sur ses réalisations, afin de mettre en valeur son "talent" et aussi les prix relativement bas qui distinguent ses offres dans les soumissions. Si Me Boulenouar a axé sa plaidoirie sur l'absence d'un préjudice pouvant justifier les poursuites à l'encontre de sa cliente — "elle aurait pu multiplier ses revenus par sept si elle était de mauvaise foi, et ce, juste en alignant ses prix, conformément à la réglementation de maîtrise d'œuvre, sur ceux de l'entreprise réalisatrice de ce projet", a-t-il dit —, Me Sadek Chaïb, lui, a interrogé l'esquisse de ce projet de Ghermoul. "Je sais que le tribunal a aussi un cœur. Prenez en considération que c'est la seule femme poursuivie dans le cadre de cette affaire. Mais, c'est une femme de très grand talent. J'ai vu l'esquisse faite pour le projet de Ghermoul et je suis resté bouche bée. Elle était major de sa promotion en 1992. J'ai des amis qui ont fait la même école d'architecture qui sont devenus de brillants architectes aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne. Je vous dis cela parce que j'ai vu que certains ont tendance à sous-estimer son intelligence. Or, vu ses références, elle était la seule, parmi les soumissionnaires, qui remplissait les conditions du cahier des charges. Je ne vois pas comment on l'aurait pistonnée", a-t-il estimé. Par ailleurs, Me Chaïb a rappelé, toujours en s'adressant au "cœur" du tribunal, que sa cliente a fait vingt mois de détention préventive dans le cadre de l'affaire Sonatrach II, plutôt sur la base du même procès-verbal d'audition pour lequel elle est poursuivie dans l'affaire Sonatrach I et où elle parle de Hameche, ancien directeur de cabinet du P-DG de Sonatrach et de la commission rogatoire qui a révélé des mouvements de fonds entre son compte et celui de ce dernier. Or, Hamèche, a-t-il regretté, n'a été ni entendu ni poursuivi dans cette affaire. Dans ce contexte, il convient de dire ce qu'est Sonatrach II. L'affaire, actuellement en instruction, se base justement sur les dossiers de Ghermoul et du gazoduc GK3, ainsi que sur les commissions rogatoires venant d'Italie où la justice a ausculté des contrats passés par le géant énergétique ENI avec la compagnie nationale, révélant que des pots-de-vin auraient été versés à l'ancien ministre de l'Energie, Chakib Khelil, par le biais de Farid Bedjaoui, neveu de l'ancien ministre des Affaires étrangères, Mohamed Bedjaoui. Lyas Hallas