Idée généreuse, la construction du Maghreb a toujours été prise en tenailles entre les bonnes volontés et les activismes, fort nombreux, qui ont structuré bien des résistances. Soustraite aux débats passionnels et passionnés, qui tenaient beaucoup plus du dogme que de réalités empiriques et qui, souvent, allaient à l'encontre du sentiment populaire, l'intégration maghrébine revient, 58 ans après la conférence de Tanger, au-devant de l'actualité politique nationale. Le débat autour de l'édification de l'entité politico-économique maghrébine, que les systèmes, sinon les régimes politiques de la sphère nord-africaine ont de tout temps entravé, est relancé depuis quelque temps. À Alger, comme à Rabat, d'ailleurs. En effet, dans le sillage de la commémoration du 27e anniversaire de la création de l'UMA, qui aurait pu passer inaperçu, tant on n'a pas souvenance de célébrations en fanfare, encore moins en communion, des partis politiques algériens ont re-soumis à débat la problématique. L'on peut citer le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), dont le président, Mohcine Belabbas, qui a plaidé, lors du récent meeting animé à la salle Atlas, la réouverture des frontières algéro-marocaines, fermées depuis 1994. Le RCD n'est pas le seul à chevaucher une telle perspective. D'autres partis politiques y sont favorables. L'ancien ministre des Affaires étrangères, diplomate au long cours et ami du président Bouteflika, Lakhdar Brahimi, à qui Berbère télévision a tendu le micro il y a trois jours, s'est prononcé pour la construction maghrébine. Et il est fort à parier que, au-delà de la conviction propre, Brahimi trahissait une résolution chez Bouteflika. D'ailleurs, il se ressent chez ce dernier, et donc chez le régime qu'il incarne, comme une franche disposition à dépasser les atavismes et œuvrer à l'accélération du processus, contrarié, de la construction maghrébine. Hier, en effet, date anniversaire du lancement de l'UMA, le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, a adressé des messages au roi du Maroc et aux chefs d'Etat du Maghreb. Des messages à travers lesquels il réaffirme la volonté de l'Algérie à œuvrer pour l'unité maghrébine. Au roi du Maroc, Mohammed VI, le chef de l'Etat a affirmé que la consécration de l'unité du Maghreb "s'impose telle une nécessité impérieuse au moment où la région fait face à des défis multiples", poursuivant que "Il m'est particulièrement agréable, à l'occasion de la célébration du 27e anniversaire de la proclamation de l'Union du Maghreb (UMA) de présenter à Votre Majesté, au nom du peuple et du gouvernement algériens et en mon nom personnel, mes vœux les meilleurs de santé et de bonheur et davantage de progrès et de prospérité au peuple marocain frère". "Un projet civilisationnel" pour Bouteflika Au-delà du protocole, il est aisé de noter que le président Bouteflika exprime sa disponibilité à parachever la construction de l'unité maghrébine, entamée en 1988 à Zéralda et actée officiellement à Marrakech une année plus tard. Qu'écrit, en fait, Bouteflika dans ses missives aux chefs d'Etat maghrébins ? "Je saisis cette heureuse occasion qui nous permet d'évoquer les aspirations légitimes de nos peuples au recouvrement de leur liberté et de leur indépendance et au renforcement de leur solidarité et de leur cohésion, pour vous réaffirmer le souci profond de l'Algérie et sa ferme détermination à œuvrer de concert avec tous ses pays frères dans la région pour la préservation des acquis de cette réalisation historique", écrit-il au roi du Maroc, ajoutant : "Aussi, sommes-nous appelés à veiller à développer les institutions et structures de l'Union, en procédant à une révision approfondie de son système législatif et mode d'action dans le cadre d'une stratégie maghrébine cohérente et intégrée, à même de cristalliser ce projet civilisationnel qui se définit comme cadre approprié pour la consolidation des relations de coopération que nous devons hisser à des niveaux supérieurs de sécurité et de stabilité dans notre espace régional." Bouteflika, qui ne s'est exprimé sur la question du Maghreb qu'en de très rares occasions, a ajouté : "La consécration de l'unité du Maghreb arabe apparaît comme une nécessité impérieuse à l'ère des ensembles régionaux et internationaux dont le nombre ne cesse de s'accroître, mais aussi face aux défis et enjeux majeurs qui se posent à notre région à tous les niveaux, des défis que nous devons relever dans le cadre d'un ensemble fort et unifié pour la réalisation des aspirations de nos peuples à davantage d'intégration, d'unité et de solidarité." Le même message a été délivré aux autres chefs d'Etat maghrébins. Ce qui laisse comprendre qu'il y a une franche volonté, du côté algérien, à dépasser les petites querelles qui ont obstrué le chemin devant la construction de cet espace régional. C'est l'essence du message que Bouteflika a adressé au chef de l'Etat tunisien. "Il m'est agréable, au moment où nous célébrons le 27e anniversaire de la création de l'UMA, de vous adresser au nom du peuple et du gouvernement algériens et en mon nom personnel, nos chaleureuses félicitations et nos vœux les meilleurs, priant le Tout-Puissant de vous accorder santé et bien-être et davantage de progrès et de prospérité au peuple tunisien", a-t-il écrit, poursuivant : "Je saisis cette occasion où sont réaffirmées les aspirations des peuples maghrébins à l'intégration et à l'unité, pour vous réitérer la ferme détermination de l'Algérie à poursuivre l'action commune avec tous les pays maghrébins pour consolider ce projet historique." Pour le président Bouteflika, le projet "constitue un jalon essentiel et demeure le cadre idoine de l'intégration et d'une concertation fructueuse à travers l'accélération de la modernisation des structures de notre union, le développement de ses institutions et la révision du plan d'action suivant une approche globale et étudiée et dans le même esprit de solidarité et d'optimisme qui a marqué le sommet de Marrakech." Et on saisit mieux la nécessité de consolider l'espace maghrébin, lorsque Bouteflika souligne que "nous restons entièrement convaincus que le parachèvement de la construction du socle maghrébin et l'activation de ses dimensions d'intégration s'imposent comme une nécessité incontournable en cette conjoncture précise où notre région est confrontée à des menaces et des défis sans précédents, auxquels il faut faire face par une action collective et en adoptant une stratégie commune et coordonnée." Le même message est délivré à la Chambre des représentants de la Libye, un pays qui éprouve encore des difficultés à se sortir d'une grave crise institutionnelle. "Nous célébrons, aujourd'hui, une date mémorable qui a vu la consécration de l'aspiration des peuples maghrébins à davantage d'unité et d'intégration. Une occasion que je ne manquerais pas de saisir pour réaffirmer le souci de l'Algérie et sa ferme détermination à œuvrer de concert avec l'ensemble des pays maghrébins frères, à la préservation de cet acquis historique", écrit Bouteflika. Et d'ajouter : "Le parachèvement de la construction de cet édifice stratégique est désormais une nécessité impérieuse dictée par les changements et développements effrénés survenus au double plan régional et international, d'où l'impératif d'intensifier les efforts pour la consolidation des liens de coopération fructueuse, face aux défis et menaces qui guettent notre région." Si Bouteflika affiche une volonté d'aller de l'avant dans la construction du Maghreb, cela ne signifie pas que les oppositions se sont estompées. D'aucuns auront lu dans la presse publique des commentaires foncièrement défavorables à l'édification de l'UMA. Sofiane AIt Iflis