L'histoire a démontré que le régime algérien a toujours besoin d'un ennemi, bien souvent imaginaire et parfois réel, pour tenter de se maintenir lorsqu'il se sent en danger. Le Printemps berbère d'Avril 80, un des événements à haute portée politique et culturelle qui ont contribué à fonder le combat démocratique dans notre pays, au-delà de sa dimension identitaire, s'annonce cette année dans une atmosphère d'inquiétude pour les populations de Kabylie. Pourtant, la logique et surtout le contexte politique de l'après-adoption de la nouvelle Constitution qui consacre l'identité et la langue amazighe sur le plan institutionnel auraient voulu que les choses se passent autrement et que l'aboutissement de la cause identitaire puisse ainsi ouvrir la voie à une commémoration dans la paix et le festoiement. Mais, visiblement, le pouvoir en place ne veut, aucunement, se départir de sa nature répressive quand bien même les autorités n'auraient eu de cesse de brandir la nouvelle loi fondamentale comme étant le texte qui donnerait naissance à l'Etat civil et qui garantirait libertés et démocratie. Sinon, comment expliquer ce dispositif policier excessivement provocateur en préparation dans une région qui s'apprête juste à perpétuer le souvenir d'un long et harassant combat pour l'émancipation identitaire du pays ? Et lorsqu'on sait qu'une telle atmosphère est précédée par une campagne sans précédent d'attaques et de menaces formulées par de hauts responsables politiques au niveau de l'Etat contre le Mouvement pour l'autodétermination de la Kabylie, des questions se posent, en effet, quant aux intentions du pouvoir à l'égard d'une région qui n'a pas encore pansé les blessures du sanglant Printemps noir. La question se pose avec autant plus d'acuité que ce mouvement, dont la représentativité en Kabylie reste sujette à débat, est pris pour cible, ces derniers mois, de manière presque systématique. Après le secrétaire général du Rassemblement national démocratique (RND), Ahmed Ouyahia, qui, en octobre 2015, avait commis une diatribe d'une violence inouïe contre le MAK et son fondateur Ferhat Mehenni, les accusant de vouloir détruire l'Algérie, c'est au tour du Premier ministre Abdelmalek Sellal d'en rajouter une couche, samedi dernier, à l'occasion de la clôture de la manifestation "Constantine, capitale de la culture arabe 2015". Lançant un avertissement à ce mouvement, M. Sellal expliquait, à ce sujet, que "l'unité nationale est une ligne rouge à ne pas franchir". Mais que viendrait faire le MAK dans un évènement qui n'avait absolument rien à voir, d'une manière directe ou indirecte, avec ce mouvement ? Pourquoi le Premier ministre évoque-t-il ce sujet à Constantine où il s'était déplacé pour annoncer la clôture d'une manifestation culturelle ? Mais, il faut peut-être noter qu'avant lui, c'est un autre représentant de l'Etat, le wali de Tizi Ouzou en l'occurrence, qui ne s'était pas retenu, lors d'une intervention à l'Assemblée populaire de wilaya, déclarant, à qui veut l'entendre, qu'il avait reçu des instructions pour mettre un terme aux activités du MAK. Cette succession d'attaques et de mises en garde a tout l'air d'une partition bien réglée dans les plus hautes sphères du pouvoir. Qui viserait-elle ? Le MAK ou la Kabylie ou les deux à la fois ? À quoi répondrait cette campagne destinée à faire du MAK un abcès de fixation ? S'agit-il d'une simple coïncidence ? Pourquoi lui accorder, outre mesure, une importance qu'il n'est pas censé forcément avoir dans une région, certes, autant réfractaire au régime en place, mais, à bien des égards, toujours attachée à l'unité nationale ? L'histoire a démontré que le régime algérien a toujours besoin d'un ennemi, bien souvent imaginaire et parfois réel, pour tenter de se maintenir lorsqu'il se sent en danger. Aujourd'hui, visiblement, ce sont ces mêmes vieux démons d'un régime éternellement à la recherche d'une légitimité qu'il n'a pas qui se réveillent. On garde à l'esprit la fameuse réponse donnée en 1990 par Mouloud Hamrouche alors chef de gouvernement pour expliquer l'agrément accordé en 1989 au Front islamique du salut. "Nous avons besoin du FIS comme abcès de fixation." N'est-ce pas finalement qu'à ce titre, près de 30 ans après, le régime n'a pas évolué d'un iota. Et cet ennemi que l'on essaye toujours de brandir se présente, certes, sous différents profils, mais possède une caractéristique uniforme : son avènement intervient invariablement lorsque le pouvoir politique a besoin de créer une diversion ou de faire oublier ses propres déboires. Et actuellement, ce n'est certainement pas ce qui manque le plus. La maladie du Président et ce qu'elle charrie comme difficultés sur le plan de la communication institutionnelle avec, notamment, ce poignard planté dans le dos du partenaire algérien par le Premier ministre français Manuel Valls, un épisode venu s'ajouter aux révélations des Panama Papers, ont, visiblement, plongé dans le désarroi le plus total les autorités algériennes. Mais on n'en reste pas là. On passe à la contre-attaque en créant une diversion avec cette menace de "l'ennemi de l'extérieur et de l'intérieur" que l'on brandit à tout-va comme une rengaine et avec laquelle on tente de renverser la vapeur d'une communication présidentielle chaotique. Mais cette manière de faire comporte des risques qui peuvent s'avérer trop coûteux, pas seulement pour le régime, mais aussi pour la nation tout entière. H. S.