Raouf Boucekkine est professeur d'économie à Aix-Marseille Université. Dans ce bref entretien, il explique que la chute actuelle des prix du pétrole peut durer et que les déficits de l'Algérie risquent d'exploser. Liberté : La chute actuelle des prix du pétrole est-elle appelée à perdurer ? Raouf Boucekkine : La chute actuelle du prix du pétrole, qui est vertigineuse, est évidemment principalement due à la crise sanitaire du coronavirus, avec les quarantaines massives, d'abord en Chine, maintenant et pour le moment en Italie. Il n'est pas exclu que cette crise dure quelques mois encore. Je rappelle que la Chine est le premier importateur mondial de pétrole et que l'Europe n'est pas en reste en termes de consommation d'hydrocarbures. Nous sommes donc partis pour une période assez longue d'incertitude où le Brent sera irrémédiablement malmené. J'ajoute qu'en vérité, cette crise sanitaire, qui accroît considérablement le niveau d'incertitude, est aggravée par la guerre des prix entre les producteurs d'or noir, qui ne date pas de décembre dernier. L'un dans l'autre, avec ou sans résolution rapide de la crise sanitaire, cette épidémie va laisser des traces dans la géopolitique mondiale. Quelles conséquences immédiates peut avoir cette nouvelle crise pétrolière sur l'économie algérienne ? L'économie nationale n'avait pas besoin de cela. Je me mets à la place du Premier ministre Djerad et du gouvernement. Les déficits ont toutes les chances d'exploser. La loi de finances 2020 a été "fabriquée" avec un prix de référence de 50 dollars le baril et avec des hypothèses fortes sur les volumes d'exportations d'hydrocarbures. Les déficits budgétaire et extérieurs exploseront si rien n'est fait. En même temps, mis à part dévaluer le dinar — je rappelle que la loi de finances 2020 prévoit une dépréciation du dinar contre le dollar de seulement 10% en trois ans — et réduire le train des dépenses de l'Etat, il est difficile d'envisager des actions fortes et efficaces à court terme. Je ne suis pas sûr que nous soyons dans une conjoncture où le gouvernement a le loisir de raboter la politique de transferts sociaux. Et pourtant, cela devient de plus en plus urgent. Personne ne redistribue autant de ressources en période de crise catastrophique, et ceux qui s'y sont essayés ont mal fini. C'est là qu'intervient brutalement la question de la légitimité politique de l'action publique. La tentation d'un retour à la planche à billets est-elle à redouter ? Le gouvernement va sans doute utiliser la planche à billets pour tenir les promesses du président Tebboune. Mais la dette interne est déjà à plus de 50% du Produit intérieur brut (PIB). Leur marge de manœuvre reste donc réduite même avec la planche à billets s'ils ne veulent pas faire exploser les finances du pays en perdant une bonne partie des réserves de changes qui restent. C'est une impasse.