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voix qui nous surprennent
Hommage
Publié dans Liberté le 29 - 10 - 2020


Par : Benamar Mediène
Universitaire, auteur
En cette année de temps gris, de peur et d'inquiétude, en ce temps d'espérance enkystée dans le malaise épidémique, nous avons besoin de retrouver les nôtres et de marcher. Appelons à la rescousse nos poètes, peintres, acteurs, musiciens... Appelons-les, ils viendront ! Je vois dans les rues d'Alger, de Constantine, d'Oran, d'Annaba, de Kherrata... avancer Kateb Yacine et à ses côtés son camarade Edouard Glissant et le grand frère Frantz Fanon. Ils marchent comme des arpenteurs du ciel. Regardez-les, ils nous font des signes fraternels. Yacine dit : "Je suis parti un 28 octobre de l'après-octobre 1988, me voilà de retour, vous nous verrez, mes deux camarades et moi, à chaque coin de rue." Ces trois voix, j'ai cru les entendre. Oui, je les ai entendues, elles sont sorties des livres posés sous mon lit carcéral. Lire, c'est augmenter sa voix intérieure, qu'elle devienne polyphonique.
C'est à la prison de Toulouse, en 1961 et 1962, que j'ai lu Nedjma de Kateb Yacine, La Lézarde d'Edouard Glissant et Peau noire et masque blanc de Frantz Fanon. Dès les premières heures cellulaires, le temps de la prison impose au corps un autre rythme, pavlovien, qui détraque toutes les horloges ; la prison inculque au corps le rythme lent, l'inertie relative par le contrôle des gestes et de la pensée. Exiguïté de l'espace, le premier pas paralyse le second, qui butte contre le mur. Le temps, les gestes se règlent sur les claquements des verrous, le bruit des gamelles, les stridences de la sonnerie, les glissements feutrés des semelles des ombres vigiles. À dix-sept heures trente, un silence sépulcral pèse sur le quartier, extinction des feux et des voix, île désertée, silo hermétique, rétrécissement de la citadelle, contraction de l'intime, souffle et battements du cœur qui se précipitent au souvenir d'un amour séparé, d'une maman inquiète. Lire, et le temps bascule, un poème vous monte à la tête comme la fumée d'un narguilé bourré de pétales de fleur de l'île des Lotophages, chère à Yacine. Lire, casser le cercle d'une névrose latente et démentir Pavlov, s'enivrer d'un poème, se laisser emporter par le tourbillon des mots vibrants comme un essaim d'abeilles, suivre la spirale et s'évader du silo, résister à l'anesthésie du sommeil, aux voluptés troubles des rêves, sortir de l'île murée au cœur de la ville. Lire la presse, écouter la radio, analyser les textes, y voir le mot Indépendance, puis Liberté, s'écrire en lettres majuscules. Répéter chaque soir cette prière apprise de Frantz Fanon : "Fais de moi toujours un homme qui s'interroge." Je lis par fraction de temps : le matin La Lézarde, roman d'Edouard Glissant, prix Renaudot 1958, l'après-midi Nedjma de Kateb, le soir Peau noire et masque blanc de Fanon. Lectures alternées, voyages imaginaires, dilatation infinie de l'espace-temps et plongée, en apnée, dans le sommeil.
La voix de Nedjma me fait entendre le chant profond d'une Algérie en colère, tendue comme une catapulte ; le chant d'un poète au nom prédestiné : Kateb Yacine. La Lézarde est une rivière de Martinique, Nedjma est un cosmos, un désir, une folie et une espérance. Peau noire et masque blanc m'intrigue, chamboule mes certitudes, perturbe la vision rétinienne et le jugement raisonneur que j'avais du monde. Qui est ce Fanon surgi des îles qui m'apprend à identifier le vrai du faux-semblant et à être ce que je suis ? J'ai l'impression d'apprendre la mécanique et la maçonnerie pour refaire mon corps abîmé et guérir mes pupilles malades du trachome colonial. Au moment où le grand orage algérien fracassait l'ordre colonial, mon avocat m'apprit la mort de Fanon, me confia quatre exemplaires des Damnés de la Terre, sauvés de la censure, à distribuer aux frères détenus. C'était fin décembre 1961. Je l'ai lu dans la tension du corps et l'obstination de l'alpiniste. J'ai trébuché. J'ai secoué la tête comme le laboureur, surpris par la grêle folle, sort de sa torpeur. L'escalade m'a paru plus rude, les aspérités rocheuses blessant les mains. Le premier de cordée nous manquait. Frantz ne parviendra pas au sommet, ne plantera pas le fanion triomphal de l'équipe Algérie. Dans la cour de la prison, nous formons cercle, chant patriotique, minute de silence. Tragédie tant de fois répétée et autant de fois le ciel se vide.
Théâtre de guerre au royaume de Belgique
25 et 26 novembre 1958. La programmation du Cadavre encerclé au théâtre Molière, à Bruxelles, avait été négociée avec la direction du théâtre, les "Amis de l'Algérie" et des syndicats de gauche belges. Tout allait très bien, sauf qu'une "histoire belge" faillit paralyser le théâtre. Le syndicat des travailleurs de l'électricité, par solidarité avec les Algériens en lutte, avait donné un mot d'ordre de grève pour la journée du mardi. La grève allait donc priver d'électricité le théâtre, obligé donc d'annuler la représentation. Avec une célérité admirable, des ouvriers venus en hâte levèrent le malentendu, rétablirent le courant juste avant les derniers réglages scéniques. Edouard Glissant, qui accompagne Kateb et Serreau, doit intervenir au lever de rideau. Son texte est le lien voulu par Yacine et Jean-Marie entre la structure interne de la pièce, l'agonie du héros dans la rue de La Casbah et le dehors où la tragédie se joue en actes et en temps réels. Le poète Jean Sénac et le peintre M'hamed Issiakhem ont en charge les accessoires et la scénographie. "Tout se fait dans l'urgence. C'est un théâtre de guerre au royaume de Belgique", dit Sénac, imperturbable et aidant Issiakhem à poser un panneau du décor. Le texte de Glissant est écrit. Puissant et éblouissant, à la fois dans l'esprit du spectacle et dans la philosophie du Tout-Monde, œuvre se faisant dans un devenir de plus en plus élargi. Il le lira ou le dira, c'est selon son état d'esprit. Ce texte sera la préface du livre Le Cercle des représailles, en voie de publication, au Seuil. Nous sommes dans l'après-midi du mardi 25 novembre 1958.
À cette même époque, La Main rouge, organisation criminelle, mère de la future OAS, est chargée d'éliminer les chefs du FLN, ceux qui les arment, les soutiennent ou les aident. Le groupe fasciste avait déjà menacé le théâtre Lutèce de Paris de l'incendier s'il s'obstinait à vouloir donner la représentation de la pièce de l'Algérien. Le théâtre avait annulé la programmation. Dans l'après-midi, Kateb, Serreau et le directeur du théâtre Molière reçurent le message du malheur, une menace directe et précise : si le spectacle est donné, le premier acteur qui entrera en scène sera abattu. La réservation affichait complet. C'est à Edouard qu'était dévolu ce rôle du coryphée. Au lever de rideau, il devait dire le monologue qu'il avait écrit, au centre du plateau, dans un cercle de lumière. Le débat entre les concernés aboutit à la décision que seul Edouard déciderait. "J'irai !" dit ce dernier. Yacine et l'équipe approuvent. On avait la folle impression d'être dans une pièce de Brecht, du genre Le Cercle de craie caucasien ou La Résistible Ascension d'Arturo Ui.
La Voix de Kateb, dix ans après
J'ai rencontré Edouard Glissant à New York le 28 novembre 1998, quarante ans, jour pour jour, après l'événement de Bruxelles. Nous nous mîmes à l'écart quelques instants pour échanger les mots de passe. C'était simple : Kateb, Fanon, Issiakhem, Serreau... Le prétexte de la rencontre nous était précieux : La Voix de Kateb, dix ans après. Il m'a narré cette histoire du cercle de lumière, que je connaissais pour l'avoir entendue de Kateb. D'ailleurs, avait-il précisé, c'est le sujet de ma communication, je vais rejouer la pièce. La peur rétrospective existe-t-elle ? "Non ! me répondit Edouard, le souvenir de la peur, oui."
J'étais dans une espèce d'ébriété sentimentale, aggravée par le décalage horaire. Mon esprit produisait des images extraordinaires et décalées. Je me trouvais en situation réelle, ou réellement délirante, de résurrection du phénix, et Edouard Glissant en était le symbole réunificateur. Kateb, Issiakhem, Serreau, Sénac, Antoine Vitez (ce dernier était acteur dans la troupe)... étaient morts, mais aujourd'hui présents, chacun jouant son rôle, et Edouard et moi étions chargés de les mettre en scène en les évoquant, en fouillant les tiroirs des souvenirs incomplets et jaunis par le grignotage des années. La pensée de Jorge Luis Borges défilait dans ma tête. La preuve m'en était encore donnée dans cette salle de l'université Columbia, on ne parlait pas de fantômes, mais de présences, nous citions des mots, des phrases, qui rappelaient des situations cocasses ou dramatiques, des personnages surgissaient au détour d'un mot ou d'un geste, nous les avions connus et nous en rapportions la parole. Je me suis même risqué à raconter des anecdotes originales sur Kateb et Issiakhem et leurs combats de boxe fratricides et maladroits se terminant en fous rires. La mémoire de Glissant était aussi nette et imagée, avec un vibrato émotionnel discret, que si les choses venaient juste de se produire au théâtre Molière de Bruxelles et que l'équipe, après le labeur, allait au bar boire un verre pour fêter le succès, faire tomber la fatigue, désamorcer la peur et peut-être en rire.
Il y avait dans cette narration toutes les situations d'un roman politique, d'un drame qui se situerait entre Shakespeare et Brecht : le titre de la pièce, la menace extérieure, la peur, la flaque de lumière dans l'obscurité, à la fois lieu de parole et cible à viser, messager à abattre. Où est le théâtre, où est la réalité ? Glissant dit cette phrase : "Plus de barrière, plus d'écran entre la réalité et le tragique." Edouard est le coryphée, sa place est au centre d'un cercle éclairé ; dehors ou à l'intérieur, des fascistes sans visage menacent... Au milieu du cercle, rideau levé, salle obscure, flaque blanche tombée du projecteur, Edouard est encerclé, la chemise blanche le rend encore plus visible. Tueurs masqués, anonymes. Edouard au centre, cible captant la lumière. Il est grand le torse large, Edouard, visible comme une statue caraïbe, solide comme un boxeur sur le ring, et il commence, après les mots d'usage, son monologue par ces premières phrases : "J'ai parlé du monde, de notre monde, envisagé par ces œuvres du Chant Profond comme un labeur, comme une unité divisée dont il faut reconstituer l'être." Comment ne pas comprendre que cette vue poétiquement fondée de notre univers l'est aussi humainement, dans le quotidien le plus banal ou le plus exaspérant ? Phrases portées avec toute la gravité de sa voix. Dehors, dans le lointain, la tragédie colle au temps réel ; la guerre broyait les Algériens. Issiakhem, peintre narrateur du silence, extrapole, noue l'image de l'ami solitaire à celles, nombreuses et corrosives, qui le hantent depuis si longtemps. Face au public bruxellois, Edouard jouera son rôle, texte en main, le lèvera à hauteur des yeux, le lira, si la mémoire flanche.
Les applaudissements ont précédé le spectacle. La salle est pleine, les mains frappent, frappent encore, comme des battoirs, les spectateurs font appel et rappel, l'ambiance a neutralisé la menace, vaincu la peur.


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