In Salah: 10 morts et 9 blessés dans un accident de la route au sud de la wilaya    Le président de la République reçoit une invitation de son homologue irakien pour assister au Sommet arabe à Baghdad    Attaf reçoit un appel téléphonique de son homologue indien    France : le parti LFI exige le départ du ministre Bruno Retailleau    Gymnastique/Coupe du Monde-2025: Kaylia Nemour brille une nouvelle fois, avec deux médailles d'or et une d'argent en Egypte    Algérie-Canada: perspectives prometteuses pour le renforcement du partenariat économique dans l'énergie et les mines    Le rôle de la zaouïa Reggania dans l'ancrage des valeurs d'unification et de tolérance souligné à Adrar    Changer l'approche de la gestion des structures des jeunes pour les rendre plus attractives    Une délégation ministérielle qatarie en visite à l'USTHB    Coupure de courant en Espagne et dans d'autres pays européens : aucune interruption du service Internet en Algérie    Merad salue les efforts des services de la Protection civile    Hadj 1446/2025 : Belmehdi appelle à intensifier les efforts pour une saison réussie    Décès de l'ancien journaliste à l'APS Djamel Boudaa: le ministre de la Communication présente ses condoléances    Ligue 1 Mobilis/USMA-ASO: les "Rouge et Noir" sommés de réagir    CHAN2025/Algérie-Gambie: les Verts poursuivent leur stage à Sidi Moussa    CIJ: poursuite des audiences sur les obligations humanitaires de l'entité sioniste en Palestine occupée    Quelles est la situation de la balance commerciale et des exportations hors hydrocarbures en 2024 de l'Algérie ?    Des prix « lignes rouges » et des représailles contre les contrevenants    Le CS Constantine ne peut s'en vouloir qu'à lui-même    L'USMH conserve la tête, l'IRBO relégué en Inter-Régions    De Gustav Landauer à Hassan Nasrallah ou l'universalité de l'esprit de la société    Kiev doit céder les territoires conquis par la Russie    Premier festival de la cuisine halal    La DSP et les gestionnaires des EPH joignent leurs efforts pour une prise en charge des patients    Patriotisme et professionnalisme    Avant-première du documentaire ''Zinet Alger : Le bonheur'' de Mohamed Latrèche    Présentation à Alger des projets associatifs subventionnés par le ministère de la Culture et des Arts    Constantine commémore le 64e anniversaire de la mort en martyr de Messaoud Boudjeriou    Saâdaoui annonce la propulsion de trois nouvelles plate-formes électroniques    Les renégats du Hirak de la discorde    Mise au point des actions entreprises    Ça se complique au sommet et ça éternue à la base !    Un site historique illustrant l'ingéniosité du fondateur de l'Etat algérien moderne    Sept produits contenant du porc illégalement certifiés halal    Se présenter aux élections ne se limite pas aux chefs de parti    Un art ancestral transmis à travers les générations    La Fifa organise un séminaire à Alger    Khaled Ouennouf intègre le bureau exécutif    L'Algérie et la Somalie demandent la tenue d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité    30 martyrs dans une série de frappes à Shuja'iyya    Lancement imminent d'une plate-forme antifraude    Les grandes ambitions de Sonelgaz    La force et la détermination de l'armée    Tebboune présente ses condoléances    Lutte acharnée contre les narcotrafiquants    La Coquette se refait une beauté    Cheikh Aheddad ou l'insurrection jusqu'à la mort    Un historique qui avait l'Algérie au cœur    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



L'Histoire, aussi sale soit-elle, doit être assumée
Publié dans El Watan le 19 - 11 - 2010

-Charlie, ton premier livre Fracture d'une vie retraçait déjà ton parcours révolutionnaire, pourquoi revenir aujourd'hui avec un nouvel ouvrage lui aussi autobiographique ?
Et bien d'abord parce qu'il n'est pas terminé ce parcours, la vie est une lutte au présent. Je voulais parler plus en détail de mon enfance, je suis le gardien d'une mémoire qui se perd… C'était aussi l'occasion de faire vivre de bons amis partis trop tôt et de donner ma vision des choses à leur sujet. Notamment pour ce qui est de Jacques (Mesrine, ndlr), il a toujours fait vendre, mais de nos jours il sert de référence à beaucoup de jeunes. Je n'ai rien à voir avec ce gangstérisme racoleur à la mode, la violence armée que j'ai pratiquée était de nature révolutionnaire.
Pour Jacques, c'était plus compliqué… Il y est venu au fil du temps, surtout en réaction à la violence subie dans les QHS (quartier de haute sécurité), c'est ça qui nous a d'abord réunis, l'amitié a fait le reste. Je voulais aussi rendre hommage à Monte (Melkonian, ndlr) mi compañero, mon ami trop souvent ignoré alors que son engagement était des plus beaux. Un livre c'est aussi un moyen de lutter, je ne fais pas dans le passéisme ou dans le culte de la révolution. Je ne me trompe ni de temps, ni de lieu. Mon message est pour aujourd'hui. Justement, je voulais combattre la récupération capitaliste de la révolution, la démarche putassière de la publicité qui présente la dernière bagnole, le dernier bout de savon comme « révolutionnaire » !
Au contraire, j'affirme qu'il y a une actualité de la révolution, que la démocratie n'est pas encore achevée et qu'il faut la défendre contre les récupérations bourgeoises qui assoient la domination du petit nombre sur l'asservissement du plus grand. Nous sommes au bord d'un changement majeur de civilisation, le capitalisme est pareil au scorpion qui se pique lorsqu'il est encerclé par les flammes. Alors regarde le monde entier est en train de brûler. Certes je parle du passé, mais c'est parce que les luttes d'hier nourrissent celle d'aujourd'hui.
-Justement, l'un de tes premiers engagements fut de supporter activement le FLN et de rompre avec le PCF, comment êtes tu entrer en contact avec la cause indépendantiste algérienne ?
À l'époque, j'étais déjà porté sur la redistribution, on appelait ça la « défauche », mais avec la guerre d'Algérie les choses ont pris une autre dimension. Il ne faut pas oublier que Marseille était l'épicentre de l'engagement militaire français. Chaque soir on ramassait trois ou quatre morts, notamment à cause du conflit MNA/FLN mais pas seulement… Autant dire qu'on était en plein dedans ! Nous étions peu nombreux, une vingtaine environ et j'étais le plus jeune. Il y avait bien quelques Algériens parmi nous, mais notre engagement dépassait largement la sympathie immédiate que l'on pouvait éprouver pour eux. J'ai grandi avec une culture de la lutte et puis nous étions bien informés, on savait ce qu'il se passait là-bas et Sétif était dans nos mémoires. Il s'agissait d'un engagement idéologique en faveur du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. J'ai d'ailleurs dû rompre avec le PCF lorsque les instances dirigeantes ont voté les crédits pour l'intervention militaire… Ça a été un véritable déchirement pour moi d'autant que j'ai également eu à rentrer en conflit avec mon père qui lui, en stalinien convaincu, était resté fidèle au parti.
-Quelles étaient vos modalités d'action ?
Sans être confondu avec le FLN, on se revendiquait de la 7éme Willaya, il y avait 6 régions militaires en Algérie, la 7éme c'était la France. C'est l'une des grandes forces du mouvement indépendantiste algérien : avoir transposé le conflit chez le colonisateur. Nos moyens c'était la réappropriation et la redistribution. On braquait des banques (presque un braquage par jour), on attaquait les trains qui transportaient des armes et les stocks aussi sur les docs. Il y avait aussi l'aide à la désertion, parmi les appelés on trouvait des fachos bien contents à l'idée d'aller « casser du bougnoule », mais tout le monde ne partageait pas leur enthousiasme. Par moment on se serait cru en pleine guerre civile. Il faut imaginer le décor, la soldatesque en faction, les sacs de sable et les mitrailleuses fixes. Nous étions toujours armés, pour ma part y compris quand je me rendais au lycée…
La violence de ceux qui nous faisaient face n'était pas moindre, il suffit de voir comment ils nous ont arrêtés. J'avais 20 ans à peu près lorsque nous avons été encerclés : 80 hommes, des hélicos, de l'armement lourd… Les moyens mis en œuvre révèlent l'importance du désordre et la peur que nous suscitions. Mes camarades ont fini à l'hôpital, moi j'ai été transférer dans une caserne, livrer à des gendarmes de retour d'Algérie, tu penses qu'il était content d'en tenir un ! Là, j'ai connu la torture. Nu, pendu au plafond comme un porc. L'électricité on ne peut pas dire ce que c'est… Ajoute à cela les coups, les humiliations, tout est fait pour te briser, rien ne t'est épargné. Pour ce qui est de moi, la torture n'a fait que me renforcer dans mes convictions, ça m'a grandi! Une structure identitaire c'est alors cristalliser « je ne me soumettrais jamais » !
En conférence d'anciens soldats m'ont demandé si j'avais conscience que les armes que je contribuais à détourner servaient à tuer des Français. J'ai répondu oui. Je ne regrette rien, je ne me repends pas, si c'était à refaire je le referais. Bien sûr je suis français, mais le 8 mai 45 pour moi ce n'est pas seulement la libération, près de 30 000 morts à Sétif ça ne s'oublie pas ! Le 17 octobre 1961, il faut s'en souvenir également, moi j'étais sur place… Attention je ne donne pas dans la repentance mémorielle très à la mode aujourd'hui, c'est une mauvaise façon de se construire une identité, mais l'Histoire aussi sale soit elle doit être assumée. Pour ma part, je milite pour une reconnaissance officielle de la responsabilité du gouvernement français.
-Quels sont tes engagements d'aujourd'hui et comment les fais-tu vivre ? De quelle manière as-tu vécu la transition de la lutte armée à la lutte « par le verbe » ?
Comme une continuité, c'est en prison que j'ai forgé mes concepts comme un acte de résistance au système carcéral. On me dit parfois que ce sont mes années de prison qui m'ont permis de passer mes diplômes. Tu parles! L'éducation m'était interdite ! Je devais faire passer clandestinement certains cours et certains livres, lorsque j'étais pris c'était quinze jours de mitard. Les études ne sont pas importantes pour elles-mêmes, mais comme moyen de prendre possession de soi, d'accéder à une réflexion sur son devenir. Et puis l'intelligence est toujours plurielle, c'est une rencontre avec l'autre.
C'est ce message que je cherche à transmettre aux jeunes, prenez possession de vous-même, devenez ce que vous êtes et inventez-vous vos 14 juillet, vous en avez les moyens ! Surtout libérer vous de l'ignorance qui est le pire des enfermements. J'ai la conviction que les usages conceptuels et existentiels de la Raison sont les moyens de lutte les plus efficace pour le moment. Aujourd'hui je manifeste, j'écris, je soutiens, je débats partout où je le peux. J'ai fait du théâtre en adaptant avec des amis les Récits de la Kolyma de Varlam Chalamov, du slam en réécrivant le J'accuse de Zola, des documentaires, des conférences… J'ai aussi un projet de musique avec le Groupe Gnawa diffusion, Amazigh Kateb est un bon ami. Mes combats n'ont pas changé, je lutte toujours pour la liberté des peuples à disposer d'eux-mêmes. Je soutiens notamment la cause palestinienne contre « l'expan-sionnisme ».
À ce sujet, il faut noter la disparition progressive de l'internationalisme, de l'engagement politique et idéologique au profit d'un engagement religieux. Je crains réellement ce phénomène, car il empêche la solidarité des luttes. Inutile de préciser qui y trouve son intérêt dans le fond… La Palestine n'est pas seulement le problème des musulmans ou des Arabes, c'est le problème de ceux qui luttent pour la liberté. Il y a aussi mon combat pour faire entrer le droit dans les prisons. L'institution pénitentiaire est toujours basée sur la négation de l'humain, sur l'éradication de l'individu. Que penses-tu qu'il fasse le prisonnier qu'on libère ? Et bien il répercute cette négation sur ses semblables. 80 % de récidive en France ! Note bien que c'est un chiffre officiel, alors en réalité… Je ne suis pas l'humaniste de service, c'est un constat d'échec que je dresse. Il faut se poser la question : à qui profite le crime ? Pourquoi la prison criminogène continue-t-elle d'être défendue ? Aucun doute là-dessus cette production de la criminalité sert les intérêts du discours sécuritaire et « légitime » ceux du gouvernement.
Certes, la privation de liberté associée à l'équilibre peine/crime à représenter un réel progrès vis-à-vis de la torture systématique, mais elle reste fondée sur le mythe selon lequel il faut souffrir pour racheter sa faute. Je ne prétends pas avoir de solution miracle, mon travail c'est de mettre le système au grand jour : la prison est un appareil de dérégulation sociale contrôlée au service d'une justice de classe. Je suis loin d'encourager ceux qui se font une gloire d'être passé par la prison, c'est encore une manière de participer du système. Ce qu'il faut c'est rendre l'individu incarcérer à lui-même, on peut envisager une obligation à l'éducation ou à l'apprentissage d'un métier… De toute façon que vous le vouliez ou non (dans la plupart des cas) le prisonnier sortira.
Les choses ont déjà un peu changé vis-à-vis de ce qu'étaient les QHS. Avec Jacques nous projetions de les détruire tous, parce qu'il incarnait tout ce qu'a de plus inique le système social. À deux jours près… Jacques a été exécuté, je ne vois pas d'autre mot, moi j'ai été enfermé pour 10 ans de plus. D'une manière générale, si le but est inaccessible ce n'est pas grave, car il est second, ce qui importe c'est la lutte comme posture existentielle et intellectuelle. Chez moi il ya toujours la même rage révolutionnaire, je suis demeuré communiste de concept et anarchiste de pratique : « la lucha continua » !


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.