Le corps de la Sûreté nationale bénéficie d'une attention particulière de la part des pouvoirs publics en raison de la nature sensible de ses missions    Boudjemaa salue les efforts de l'Etat en faveur de l'amélioration de la performance judiciaire et de l'instauration de l'Etat de droit    Organisation de la 17e édition des Portes ouvertes sur le sport militaire à Alger    Conseil de la Nation : adoption du texte de loi relatif à l'organisation du tribunal des conflits    Times Higher Education Impact Rankings 2025 : l'Algérie décroche la 1ère place au niveau maghrébin avec 53 universités classées    Hausse continue du nombre de réfugiés et appel à une solidarité mondiale envers eux    ANP: sortie de nouvelles promotions à l'Ecole supérieure navale "Défunt moudjahid Général-Major Mohamed Boutighane"    Festival Cirta des sports équestres: le tent pegging, premier pas vers la généralisation d'un sport nouveau aux niveaux national et régional    L'Iran tire une nouvelle salve de missiles sur l'entité sioniste    Agression sioniste contre Ghaza : le bilan s'alourdit à 55706 martyrs    Compétitions africaines interclubs : la CAF fixe les dates pour la saison 2025-2026    Ouargla : plus de 200.000 quintaux de céréales déjà moissonnés    Bac 2025 : plusieurs condamnations à des peines de prison pour fraude et fuite de sujets et de réponses    Pluies orageuses sur Djanet et Tamanrasset à partir de jeudi après-midi    Bonnes nouvelles pour les femmes au foyer    Seize joueurs pour préparer le championnat arabe    Succès retentissant de l'Algeria Bid Round 2024    quels impacts sur la sphère énergétique ?    Donald Trump appelle à la reddition de Téhéran    Le MCA a un point du titre, suspense pour le maintien    Rush sur le Parc de Mostaland    Vers l'intégration de 40 nouvelles spécialités dans le domaine numérique dès la rentrée prochaine    Un lieu pour l'éveil des enfants à La Haye    Forum africain de l'énergie: Yassaâ souligne le rôle stratégique de l'Algérie dans la transition énergétique en Afrique    La manifestation "Alger Capitale de la Culture Hassaniya" du 21 au 23 juin à Alger    Il y a 20 ans disparaissait l'icône du style "Tindi", Othmane Bali    Constantine: 11e Festival international de l'inchad du 25 au 30 juin    « Abdelmadjid Tebboune n'a pas accordé d'entretien à des journaux français »    Déjouer toutes les machinations et conspirations contre l'Algérie    Les MAE de plusieurs pays arabes et musulmans condamnent    Campagne de sensibilisation autour des menaces sur les récoltes de la tomate industrielle    Au cœur des Hauts Plateaux de l'Atlas saharien, Aflou offre bien plus qu'un paysage rude et majestueux    L'USMA stoppe l'hémorragie, l'USMK enchaîne    La télévision d'Etat annonce une nouvelle salve de missiles contre l'entité sioniste    Une date célébrée à travers plusieurs wilayas de l'est du pays    L'Autorité nationale indépendante de régulation de l'audiovisuel met en garde    La Fifa organise un séminaire à Alger    Khaled Ouennouf intègre le bureau exécutif    L'Algérie et la Somalie demandent la tenue d'une réunion d'urgence du Conseil de sécurité    30 martyrs dans une série de frappes à Shuja'iyya    Lancement imminent d'une plate-forme antifraude    Les grandes ambitions de Sonelgaz    La force et la détermination de l'armée    Tebboune présente ses condoléances    Lutte acharnée contre les narcotrafiquants    La Coquette se refait une beauté    Cheikh Aheddad ou l'insurrection jusqu'à la mort    Un historique qui avait l'Algérie au cœur    







Merci d'avoir signalé!
Cette image sera automatiquement bloquée après qu'elle soit signalée par plusieurs personnes.



Adieu Shakespeare !
Publié dans El Watan le 02 - 07 - 2011

Dans son ouvrage, Décoloniser l'esprit, publié en 1986 et qui vient d'être traduit en français*, l'écrivain et dramaturge kenyan, Ngugi Wa Thiong'o déclare : «Ce livre est mon adieu à l'anglais pour quelque écrit que ce soit.» La décision de «jeter les premières pierres d'une littérature en kikuyu» est intervenue quatre années après son installation en Angleterre en tant qu'exilé. Signalons que le terme kikuyu désigne une ethnie du Kenya ainsi qu'une langue bantoue. N. Wa Thiong'o avait écrit plusieurs essais et romans en anglais, réputé être la langue de la réussite et de la reconnaissance littéraires.
A travers cet essai, l'auteur se lance dans une critique de l'aliénation linguistique au Kenya et en Afrique, en général. De son point de vue, la question de la littérature africaine et de sa langue d'expression est tributaire d'enjeux politiques de deux ordres : d'une part, l'impérialisme qui poursuit sa politique de contrôle économique, politique et culturel de l'Afrique et, d'autre part, la lutte des Africains pour s'affranchir de cette domination. Pour comprendre l'importance de la question de la langue et la manière dont elle a été (et continue à être) l'une des violences capitales faites à l'Afrique, l'auteur effectue un bref retour sur l'histoire du colonialisme. De son point de vue, la colonisation de l'Afrique n'est pas seulement politique et économique, mais revêt également une dimension culturelle. Les puissances coloniales ont procédé à un partage culturel et linguistique en Afrique en imposant à ses peuples leurs langues. Cette politique de domination persiste de nos jours. La plupart des écrivains continuent, en effet, de penser et d'écrire dans ces langues imposées, constate N. Wa Thiong'o.
Mais comment les puissances coloniales sont-elles parvenues à imposer leurs langues dans les pays africains ? En subjuguant les esprits et en s'appuyant sur l'école qui a joué un rôle important dans «la fascination des êtres», et ce, au détriment des langues maternelles : celles apprises et parlées aux champs et à la maison, celles de «nos veillées nocturnes […] de notre communauté, de nos travaux aux champs», souligne l'auteur. Au Kenya, après l'instauration de l'état d'urgence en 1952, les écoles tenues par les nationalistes qui dispensaient un enseignement en kikuyu ont été saisies. C'est alors que l'anglais est devenu la langue dominante et de référence et l'instrument de réussite. L'imposition des langues des nations colonisatrices aux peuples africains a contribué à l'éradication des langues autochtones écrites et parlées. Elle a dévalorisé, voire détruit, les cultures des peuples colonisés en contrôlant leur univers mental ainsi que leurs représentations du monde, d'eux-mêmes et de leurs rapports aux autres. Car, en tant que moyen de communication et vecteur de culture et d'histoire, la langue permet d'échanger et de transmettre les valeurs éthiques, morales et esthétiques de la culture qui constitue l'identité d'un peuple. Cette emprise culturelle a brisé l'harmonie que les enfants kenyans entretenaient avec leurs langues maternelles.
En ne devenant qu'une activité purement cérébrale, l'apprentissage a perdu sa dimension essentiellement naturelle et sensible. La conséquence principale de la domination de l'écrit au détriment de l'oral concerne la rupture entre le monde de l'école, c'est-à-dire la langue écrite, l'environnement familial et social de l'enfant. Ce phénomène «d'aliénation coloniale» a conduit les enfants colonisés à mépriser les langues locales et à se «considérer d'un point de vue extérieur à soi», écrit N. Wa Thiong'o. Et, considérer son propre monde du même œil que le colonisateur, conduit à juger sa culture selon un point de vue négatif, c'est-à-dire à la dévaloriser et à la considérer comme inférieure à la culture du colonisateur. Cette vision négative de sa langue et de sa culture entraîne inévitablement une dévalorisation et une haine de soi et des siens.
Après la conférence de Makerere en 1962, la littérature post-coloniale africaine était représentée par des écrivains issus de la petite bourgeoisie nationaliste, éduquée dans les écoles et universités coloniales. Les langues des nations colonisatrices (l'anglais, le français et le portugais) étaient leurs principales langues d'expression. Ces auteurs s'inspiraient notamment de la littérature paysanne : contes, conseils des sages, proverbes… Cette «littérature émergente» a permis à l'Afrique et à sa culture de se faire connaître sur la scène internationale.
Au plan intérieur, cette littérature néo-africaine, qui s'inscrivait dans une perspective de lutte anti-coloniale et anti-impérialiste, a contribué à développer chez les classes dirigeantes un sentiment de classe. Cependant, en écrivant dans les langues de l'éducation scolaire et du développement intellectuel, ces auteurs ont participé à la création d'une «identité collective illusoire» puisque la classe d'ouvriers et de paysans, qui peuple cette littérature, n'a d'existence réelle que sous la plume de ces auteurs. Et du point de vue de N. Wa Thiong'o, en continuant à écrire dans les langues des nations ex-colonisatrices, ces écrivains perpétuent la servitude et la soumission à l'égard de ces dernières.
A travers cet essai, l'auteur exhorte les écrivains africains à s'affranchir de l'aliénation coloniale linguistique et culturelle et à écrire dans les langues des paysans et des ouvriers. Sa démarche vise plusieurs objectifs : réhabiliter les langues maternelles et les cultures locales dans le but de les redécouvrir et de les revaloriser ; restaurer l'harmonie entre les langues, l'environnement et «l'être intérieur kenyan» ; réconcilier l'enfant kenyan avec ses langues et faire en sorte qu'il ne vive plus les langues étrangères comme une imposition.
Décoloniser l'esprit est un appel vibrant à «l'émancipation nationale, démocratique et humaine». C'est une critique sans concession et raisonnée contre l'impérialisme occidental sous ses formes coloniale et néo-coloniale, d'une part, et, d'autre part, contre les écrivains africains qui, en écrivant dans les langues des ex-colonisateurs, jouent un rôle capital dans la dévalorisation des cultures et langues africaines, généralement associées à l'arriération et au sous-développement. Les langues africaines doivent être utilisées comme un instrument de lutte contre l'impérialisme et de création d'une littérature ouverte aux transformations… Changer le monde ! Tel est finalement le souhait profond de Ngugi Wa Thiong'o.

*Ngugi wa Thiong'o, «Décoloniser l'esprit», traduit de l'anglais par Sylvain Prudhomme, La Fabrique éditions, mars 2011, 168 p.


Cliquez ici pour lire l'article depuis sa source.