Les dernières mises en détention provisoire hautement symboliques des deux anciens Premiers ministres de Bouteflika, Ahmed Ouyahia suivi de Abdelmalak Sellal, ont permis, d'une certaine manière, à une partie de l'opinion qui positivise le nouveau temps judiciaire dans lequel est entré ce secteur vital à la faveur du hirak de se réconcilier avec les hommes de loi en attendant la consécration de l'indépendance de la justice dans le sillage de la construction de l'Etat de droit. Après avoir divisé les Algériens, particulièrement les élites, durant les premières semaines du mouvement populaire sur l'opportunité ou non d'ouvrir, maintenant, les dossiers de la corruption – une des revendications majeures de la rue – ce débat est en train de connaître une certaine décantation à la suite des derniers coups d'éclat des arrestations des hautes personnalités, dont les têtes ont été fortement réclamées par la population. Aux démocrates puristes, qui redoutent des règlements de comptes entre clans du système, appelant à différer l'ouverture des enquêtes judiciaires après l'élection du président de la République légitime et l'instauration de la nouvelle République fondée sur la démocratie et une justice indépendante, s'opposent ceux, nombreux parmi la population, qui ont applaudi à l'emballement de la machine judiciaire de ces derniers jours. L'actualité judiciaire est vécue comme une catharsis par de larges couches de la société, qui ont pâti des effets ravageurs de la privatisation de l'Etat par une caste de responsables qui n'ont laissé derrière eux que désolation et ruines. Qu'il y ait des calculs politiques et des règlements de comptes derrière les affaires traitées par la justice et celles à venir pour faire un clin d'œil au hirak ou neutraliser des adversaires, personne ne peut le nier, même s'il faut «suivre le menteur jusqu'à sa porte», comme le dit l'adage, pour apprécier la sincérité et la bonne foi des décideurs ! Mais faudra-t-il pour autant faire la fine bouche et réprimer sa joie face aux bonnes nouvelles qui émanent enfin des tribunaux et auxquelles les Algériens ont peine à croire ? Le passage des prévenus devant le juge est devenu un moment historique dans la vie de la nation que des citoyens, pas nécessairement encartés politiquement, ont tenu à immortaliser avec leurs smartphones à la vue de ces scènes surréalistes des fourgons cellulaires avec à leur bord de gros clients, sortant sous bonne escorte et sous les quolibets de la foule massée aux abords de la Cour suprême, fonçant en direction de la prison d'El Harrach. Si ces dossiers n'avaient pas été ouverts maintenant que la pression de la rue est à son paroxysme, pression sans laquelle aucune des conquêtes arrachées – le départ de Bouteflika et l'avortement de toutes les tentatives de prolonger le système – n'aurait été possible, rien ne garantira que, demain, le soleil de l'indépendance de la justice se lèvera sur l'Algérie par enchantement, surtout quand on voit toutes ces fortes résistances au changement du système qui inclinent à relativiser les événements et à rester vigilant pour ne pas succomber au miroir aux alouettes. L'attente risque d'être longue avec le risque de voir le rêve s'évanouir à la faveur de rapports de forces politiques nouveaux qui ne partagent pas, ni globalement ni dans le détail, les idéaux du hirak. Il serait en revanche dommageable pour le renouveau démocratique auquel aspirent les Algériens que les procès des justiciables soient exclusivement menés à charge et que la présomption d'innocence ne soit pas respectée, même si la rue qui a subi les violences de toutes natures du système et de ses hommes a déjà rendu son verdict avant celui de la justice.