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«Nous vivons dans la supercherie»
Boualem Sansal. écrivain Algérien
Publié dans El Watan le 22 - 10 - 2011

Il vient de recevoir le prestigieux prix des Libraires allemands. Il nous parle de son dernier roman et, de manière inédite, de sa propre vie.
-Rue Darwin est votre sixième roman. Vous avez commencé à écrire à l'âge de 50 ans. Qu'est-ce qui a motivé votre orientation vers l'écriture romanesque ?
C'est mon ami Rachid Mimouni qui m'a encouragé à écrire. Il pensait que j'avais du talent. Il faut dire que j'ai été son premier lecteur. Nous étions voisins. Il me confiait ses manuscrits pour que je les lise, et il est très probable que mes critiques lui ont permis de penser que j'avais des prédispositions à l'écriture. A cette époque, je ne pensais pas en avoir la compétence. Quand je voyais le temps qu'il consacrait à l'écriture d'un livre, je me disais que je ne pourrai jamais passer deux années entières sur un texte. C'était de mon point de vue impossible. Pendant des années, nous passions notre temps à débattre de littérature et d'autres sujets. Il nous racontait ses voyages, ses rencontres, ses découvertes. Il nous encourageait à écrire. Il nous a initiés à l'écriture. Il n'avait aucun esprit de vedettariat. Il nous illuminait.
L'assassinat de Mohamed Boudiaf en 1992 est la seconde motivation. Lorsque j'ai appris la nouvelle tragique, j'ai alors pensé que c'était la fin du monde. Je n'oublierai jamais cette sensation. Nous étions en réunion lorsqu'un collègue est venu nous annoncer la terrible nouvelle. Nous étions tétanisés. Nous avions l'impression que la vie s'était arrêtée. Pour nous, il représentait l'espoir. Les Algériens avaient retrouvé le goût de vivre. Ils pouvaient parler, respirer, espérer. En l'assassinant, ils ont anéanti tout cet espoir. Les années suivantes ont été terribles.
-C'est à ce moment-là que vous avez commencé à écrire ?
Au début, j'écrivais de petits textes dans lesquels je consignais mes réflexions. Je passais beaucoup de temps à lire des ouvrages, romans, journaux. Un jour, j'ai lu dans la presse que des islamistes utilisaient les cimetières chrétiens pour fabriquer des bombes. Dans toutes les civilisations du monde, on respecte les cimetières et les morts. On ne profane jamais ces lieux. J'avais ensuite appris qu'il y avait du trafic autour de ces cimetières. Je notais mes réflexions. Puis, j'ai rassemblé toute cette matière sous forme d'un roman : Le Serment des Barbares. Cette œuvre n'a pas de structure. Elle est très désarticulée mais a été perçue en France comme une écriture nouvelle. Je l'ai envoyée aux éditions Gallimard qui ont accepté de la publier. C'est ainsi que je suis devenu écrivain.
-Rue Darwin semble très personnel. Quelle est la part de votre histoire de vie ?
Ce n'est pas une œuvre autobiographique bien que je m'inspire de ma propre histoire. En réalité, je ne connais pas mon histoire familiale, juste quelques bribes. Je ne sais pas comment ma famille paternelle a vécu. Cet élément a servi de point de départ pour traiter un sujet récurrent dans mes livres : la quête de notre identité. Dans notre pays, nous vivons constamment dans la supercherie depuis de nombreuses années. Je suis né avant l'indépendance et, pendant la colonisation, à l'école, on nous apprenait que nos ancêtres étaient les Gaulois. On nous enseignait une histoire qui n'était pas la nôtre. A l'indépendance, on a continué à nous enseigner sur la base du mensonge et de la supercherie. L'histoire algérienne est falsifiée, voire occultée.
La version officielle de la guerre de libération, relayée par les médias et les discours politiques, est basée sur le mensonge. Pendant des années, les officiels ont présenté Abane Ramdane comme un chef parmi tant d'autres, mort au champ d'honneur. Cette version est erronée, car cet homme, l'un des cerveaux du Front de libération nationale, a été assassiné après avoir été entraîné dans un piège. Et ceux qui ont commandité et commis son assassinat ont vécu honorés. L'histoire officielle n'est pas fiable. Les tenants du pouvoir algérien ont continué et continuent à nous mentir et à nous faire vivre dans la supercherie.
-Ce schéma semble être également récurrent au sein des familles...
Beaucoup de familles, y compris la mienne, vivent dans le mensonge. Il y a eu beaucoup d'événements qui ont été falsifiés dans ma famille. Toute ma vie, je me suis demandé qui était réellement cette femme que j'appelle Djeda. Qui m'a élevé ? A la mort de mon père, ma mère a été chassée par Djeda. Elle s'est trouvée contrainte d'aller à Alger où elle ne connaissait personne. En me gardant à ses côtés, Djeda l'a privée de son enfant pendant quelques années. Je ne sais rien de mon père. Il est décédé lorsque j'avais deux ou trois années. J'ignore s'il avait des frères, des cousins… Je connais plutôt ma famille maternelle. J'ai longtemps porté ces questions relatives à mes origines familiales.
-Et c'est cette quête des origines que raconte Rue Darwin ?
Je me suis inspiré de mon histoire familiale. Je voulais ainsi sensibiliser le lecteur et attirer son attention sur le fait que nous vivons dans la supercherie et le mensonge. Et même si nous faisons l'effort de trouver des réponses à nos questionnements, nous risquons d'être très surpris. Pour que les êtres humains vivent correctement, il est nécessaire qu'ils connaissent leur histoire et leur identité. Pourquoi existe-t-il tant de violence en Algérie ? Pourquoi tous ces malheurs ? Car on a fait vivre les Algériens dans le mensonge et sous de fausses identités. Pendant des lustres, on leur a fait croire qu'ils étaient Français.
A l'indépendance, on les a persuadés qu'ils étaient des Arabes. Qu'est-il advenu de leur propre histoire ? Qui sont-ils réellement ? Quelle est leur véritable identité ? La question identitaire est cruciale et problématique en Algérie. Nous avons le devoir de savoir, sinon nous vivrons dans le malheur. Et lorsqu'on sait, on hérite de la responsabilité de dire et d'agir. La transmission est indispensable afin que nos enfants ne vivent pas dans les souffrances que vit le peuple algérien.
-Par moments, le narrateur a des allures surréalistes. Il est omniprésent et prévoyant. Il a tout vu et tout vécu. Et pourtant, il est plutôt passif et accepte la mainmise de sa mère sur sa vie...
Yazid est un personnage amorphe. Il vit avec sa mère et se voue corps et âme à son bien-être. Il n'a pas d'ambition. C'est un personnage introverti. Est-ce à cause de son histoire ? Il est l'aîné de la fratrie et est différent de ses frères et sœurs qui ont beaucoup d'ambition. Yazid n'a jamais été tenté par quoi que ce soit. Il a vécu dans la solitude, se contentant de vivre le rôle que les femmes ont écrit pour lui. Lorsqu'il vivait à Belcourt, il était un garçon normal. Il jouait avec les copains. Il faisait tout par suivisme. Il allait à l'école, avait des occupations. A son arrivée à Alger, il découvre la grande ville et la guerre. Il participe à la Bataille d'Alger à sa manière.
C'est à Alger qu'il prend connaissance de la colonisation, car, dans son village, elle n'était pas très visible. A Alger, il est très surpris par les immeubles, les rues grouillant de monde, les voitures... C'est à ce moment qu'il découvre les militaires. Puis, à l'indépendance, il est témoin d'une dictature qui se met en place, les premiers mensonges et les discours de Ben Bella qui répétait sans cesse : «Nous sommes Arabes». A l'indépendance, il va au lycée et poursuit des études d'ingéniorat, car à l'époque le pays avait besoin d'ingénieurs. Mais petit à petit, il s'est laissé porter par les événements.
-La mort de sa mère est vécue comme un événement triste par Yaz. Mais n'a-t-elle pas surtout une fonction libératrice pour le narrateur ?
Il faut que les parents meurent pour que les enfants se libèrent. Il faut les tuer symboliquement pour s'émanciper en tant qu'individu. Yazid s'est retrouvé dans une situation qu'il n'a pas choisie. Les frères sont partis, le mari est décédé et la mère est restée seule. Il fallait bien que quelqu'un s'occupe d'elle. Et comme Yazid n'avait aucune ambition, il est resté. Comme presque toutes les mères, celle de Yazid a joué un rôle castrateur à l'égard de son fils. C'est à sa mort qu'il se libère.
Cette configuration est très classique. Dans nos sociétés, les garçons ne deviennent jamais des adultes. Il y a d'abord la mère puis l'épouse qui prend la suite. Pour Yazid, la mort de la mère le prive de sa présence physique mais, en même temps, elle l'oblige à se prendre en charge car toute sa vie il a vécu pour elle. Sa mère n'est plus là pour donner une justification à sa léthargie. Beaucoup d'hommes se reconnaîtront dans ce personnage.


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