Le cinéma regorge de ces films censurés, traficotés et parfois perdus dans des caves souterraines où la lumière de la pellicule est restée de marbre. Cet été, retrouvez chaque semaine notre feuilleton sur ces films qui continuent de susciter des mystères et dont les histoires tristes et rocambolesques démontrent qu'il est toujours possible, en 2012, de croire en l'innocence du 7e art. Le scénario de ce film jamais tourné ressemble à un cercle vicieux où la première et dernière séquence place le personnage-titre face à son souvenir le plus profond, celui d'un ours en peluche (Teddy Bear) «légué» par une figure maternelle des plus présentes. Napoléon enfant côtoie, le temps d'un film épique, celui qui deviendra l'adulte le plus haï du début du XIXe siècle, en somme une œuvre «définitive» sur un personnage qui intrigua Kubrick depuis son enfance. Nous sommes en 1969, l'adrénaline et space-opéra 2001, l'odyssée de l'espace cartonne dans toutes les salles, réévaluant enfin son auteur à sa juste valeur. Le temps est donc venu de se consacrer à son projet le plus ambitieux, celui qu'il veut signer d'un sous-titre indicatif : La Plus grande histoire jamais contée. Inutile de présenter Stanley Kubrick, voire présomptueux de tisser sa biographie et d'en émailler dans cette tribune une filmographie qui convoqua le polar, farce, drame social et love-story fantasque. Il suffit juste de clamer qu'il fallait un personnage d'envergure historique pour un maniaque du détail, un véritable sismographe de la trame narrative qu'était Kubrick. Avec Napoléon, le réalisateur de Spartacus (1960) et du Docteur Folamour (1964) souhaitait ardemment se pencher sur la face intime et méconnue d'un esthète mégalomane réputé principalement pour ses exploits et déboires guerriers. Tissant un contrat avec le plus grand spécialiste anglais sur l'Empereur français, envoyant des centaines de collaborateurs effectuer des repérages à travers le vieux continent (Roumanie, Italie, France, Belgique), qui reviendront avec près de 15 000 photos, Kubrick pensa derechef à David Hemmings (Blow Up, Michelangelo Antonioni 1969) pour camper Napoléon. Plus tard, il fera les yeux doux sur Jack Nicholson et… Al Pacino. Les choses vont vite, et en deux ans, Kubrick réussit à «pondre» un scénario de 186 pages en béton travaillé par une investigation minutieuse où tout est dit, montré et analysé. La reconstitution historique, axe majeur de l'œuvre kubrickienne, est tout bonnement époustouflante, et ce ne seront pas moins de 17 000 images de costumes et de gravures qui seront dépouillées pour dessiner une œuvre «parfaite». La sentence Reste la MGM qui doit financer ce travail titanesque et que Kubrick sollicita pour collaborer à ce qui allait devenir le film-fleuve du cinéma. Les choses se gâtent quand le mythique studio hollywoodien apprend qu'un film se prépare sur Napoléon et pour lequel la star Rod Steiger prêterait sa corpulence volubile et dont Kubrick dira plus tard après avoir vu ce film, signé Bondartchouk : «Un truc imbécile». Ce sera la sentence finale : plus de film, plus de Kubrick et ouverture d'une immense cave où seront rangées des milliers d'archives. Tout comme avec La Vie privée de Sherlock Holmes en 1970, la MGM peine à se mouiller face à des projets de grande envergure, préférant ne plus revivre l'expérience malheureuse de Mankiewicz sur Cléopâtre. Napoléon ne verra donc jamais le jour même si quelques décennies plus tard, les éditions Taschen eurent la bonne idée de ressortir un magnifique coffret de 9 livres où le spectateur lambda put découvrir la masse de recherches voulues et pensées par Kubrick. L'image est toujours là quoiqu'il arrive.