Intimidation, harcèlement et licenciement : c'est le quotidien des personnes décidées à activer dans un syndicat autonome en Algérie. Chronique d'un mouvement sous les coups de boutoir d'une perpétuelle répression. Le 2 juin 1990, l'Algérie adopte la loi 90-14 autorisant la création d'organisations syndicales. Marginalisés dans les organes dirigeants du syndicat unique, les fonctionnaires se sont investis et structurés dans des syndicats autonomes, malgré un environnement politique et sécuritaire hostile et une répression sans répit. Des dizaines de syndicats autonomes ont été créés dans la Fonction publique, à l'exemple du Syndicat national autonome des personnels de l'administration publique (Snapap), du Syndicat autonome des travailleurs de l'éducation et de la formation (Satef), du Conseil national autonome des professeurs de l'enseignement secondaire et technique (Cnapest), des syndicats des praticiens et spécialistes de santé publique et de tant d'autres. Dans la pratique pourtant, les pouvoirs publics continuent à peine à tolérer les syndicats autonomes que l'adhésion de plus en plus large des travailleurs a déjà légitimés. Des militants sont muselés, réprimés, tabassés, arrêtés arbitrairement et poursuivis, en pénal pour certains, pour l'exercice de leurs activités syndicales. Des syndicalistes sont licenciés ou suspendus de leur poste de travail parce qu'ils n'ont fait que s'organiser dans une structure indépendante. Ces répressions ont fini par avoir raison de beaucoup de sigles créés pour défendre les travailleurs loin de l'hégémonie de l'UGTA. Pourquoi tant d'entraves à l'exercice syndical ? Pourquoi tant d'obstacles pour la création d'une confédération regroupant les syndicats autonomes ? Le pouvoir est-il à l'origine des scissions qu'ont connues certains syndicats ? Pourquoi craint-il l'émergence d'un syndicat autonome au sein des entreprises économiques ? Une seule réponse revient dans la bouche des concernés : le pouvoir a tout simplement peur d'un contre-pouvoir et le monde syndical au pluriel fait doublement peur au régime. Des syndicats autonomes unis, rassemblés dans une fédération, pèseront de leur poids et feront de l'ombre à l'UGTA, organisation qui souvent a servi les tenants du pouvoir. La brêche d'octobre 1988 Saïd, un ancien syndicaliste, se remémore les années 1970 et 1980, lorsque le pouvoir étouffait dans l'œuf toute tentative de manifestation dans le monde du travail. «A l'époque, il était interdit même de prononcer les mots “syndicat autonome''. Nous étions affiliés à l'UGTA, mais nous n'avions pas le droit d'aller à contresens des décisions du pouvoir. Le FLN et l'UGTA étaient rattachés au pouvoir. C'étaient leurs supports», explique Saïd qui assure que la brèche de 1988 a permis, un tant soit peu, aux travailleurs de souffler et de se libérer. Saïd regrette, toutefois, que des opportunistes se soient érigés en militants de premier rang et sont devenus des patrons de syndicats. Pour le docteur Lyes Merabet, leader du Syndicat des praticiens de la santé, le syndicalisme autonome est à sa phase de construction. Ce mouvement n'a commencé réellement à émerger qu'à partir de 2002. Durant la décennie noire, les travailleurs tentaient tant que bien que mal de survivre… Le syndicalisme autonome est donc à ses premiers balbutiements. Il estime, aujourd'hui, qu'il est impérativement nécessaire d'arriver à émanciper l'activité syndicale de l'emprise politique et financière… Cet avis est partagé par Achour Idir, représentant du Conseil des lycées d'Algérie (CLA), qui, pour sa part, estime qu'il y a des manipulations qui sont effectivement le fait du pouvoir, mais il déplore aussi le manque de transparence interne au sein des syndicats. Assainissement Quant à M. Hennad, politologue, c'est une autre approche du monde syndical qu'il perçoit : pour lui, le champ syndical est toujours verrouillé et les syndicats autonomes manquent de maturité. «Les syndicats autonomes revendiquent, eux aussi, une redistribution de la rente pétrolière. La revendication socioprofessionnelle est juste une impression…», explique-t-il. Une réflexion que rejettent les syndicats. Le docteur Merabet plaide pour l'assainissement de la scène syndicale des «clones et des relais du pouvoir». Il affirme que sur le terrain, seuls 6 ou 7 syndicats sur les 17 que compte le secteur de la santé sont représentatifs. Le pouvoir, déplore notre interlocuteur, considère les syndicats autonomes pas assez mûrs pour débattre des questions à dimension nationale : «Le syndicat autonome a arraché beaucoup d'acquis, nous avons récupéré des espaces et nous nous sommes libérés de l'UGTA. Nous avons su nous imposer dans la Fonction publique. Nous sommes incontournables», se réjouit-il néanmoins. Sur un autre plan, l'absence de syndicats autonomes dans le secteur économique s'explique, selon notre interlocuteur, par l'hostilité assumée des pouvoirs publics en rappelant les tentatives vaines du Snapap de créer un syndicat à El Hadjar (Annaba). Il reste toutefois persuadé que cette situation ne va pas durer. «Il y a des tentatives, elles sont timides mais finiront par aboutir, comme c'est le cas pour les fonctionnaires. On est convaincu que le pouvoir cherche à gagner du temps. Les travailleurs sont conscients que seul un syndicat autonome peut les représenter dignement.»