Dans la politique énergétique nationale, a, de tout temps, été fort présente une préoccupation majeure, qui n'est autre que la sécurité énergétique européenne. Exprimée de façon explicite ou non, elle figure dans tous les cadres législatifs instituant les relations des différents Etats de l'Union avec leur partenaire du Sud, l'Algérie. Pétrole et gaz y étant ainsi les éléments les plus prégnants. Encore aujourd'hui, plus que jamais, notre pays est «tenu» à veiller à maintenir «ses robinets ouverts» pour permettre à l'Europe de se mettre à l'abri d'un quelconque risque de fragilité en termes d'approvisionnement et de s'assurer des réserves qu'elle pourra mobiliser en cas de disette énergétique. D'autant que, à en croire plus d'un analyste et expert dans ce domaine, la tendance haussière des besoins en gaz naturel de l'UE devrait se poursuivre, la consommation appelée à s'accroître davantage pour se situer à hauteur de près de 3% par an en moyenne. Mieux, à l'horizon 2020, la satisfaction de plus de 80% des besoins européens ne saurait être possible sans le recours aux marchés extérieurs. L'Algérie, comme d'habitude, en est l'un des plus en vue : «L'énergie est un domaine prioritaire du partenariat euro-méditerranéen, l'Algérie est un partenaire-clé pour l'Union européenne. Le gaz naturel est un enjeu stratégique pour les deux parties : L'Algérie est un important fournisseur pour l'Europe, tandis que l'Europe est de loin le plus grand client de l'Algérie», avait, en effet, insisté Manuel Barroso, président de la Commission européenne au terme de la cérémonie de signature, en juillet 2013, d'un Accord de principe entre l'UE et notre pays, portant sur la coopération dans le domaine du pétrole & gaz. Avant lui, en mars 2008, Mme B. Ferrero- Waldner, lors d'une visite en Algérie qui était en pleines négociations d'un mémorandum sur l'énergie devant déboucher sur un partenariat stratégique avec l'UE, avait souligné que ce dossier (énergie) «constituait la priorité de l'action diplomatique au sein de l'Union, que l'Algérie était à la recherche d'un marché stable et l'UE d'un fournisseur sûr». Autant dire que les débouchés pour nos ressources énergétiques semble avoir encore de beaux jours devant eux. Et ce qui serait des plus légitimes à ce titre, c'est de considérer l'Algérie comme un partenaire «stratégique». N'est-ce pas elle qui possède les plus grandes réserves de gaz prouvées en Afrique ? Des réserves qui seraient estimées, selon Omar Benia, enseignant-chercheur à la faculté des sciences économiques et de gestion (Université Badji Mokhtar-Annaba), à 4600 milliards de m3 dont 80% seraient récupérables, et ce, outre les 1000 autres milliards, environ, considérées comme réserves probables. Des chiffres devant être revus à la hausse, puisque, argumente notre interlocuteur, «le sous-sol algérien est sous-exploité, seulement 10 puits aux 10 000 km2 contre 100 ailleurs». Aussi, d'autres font remarquer que le gaz algérien est et restera au cœur des convoitises européennes avec ses grandes infrastructures de transport gazier et sa proximité avec l'Europe du Sud en l'occurrence. Mais l'interdépendance énergétique principale est liée au gaz. Diplomatie gazière Avec plus de 16 milliards de m3 de GNL exportés annuellement et des perspectives d'augmentation de 5 milliards de m3 à court terme, notre pays est actuellement le 3e fournisseur de gaz de l'UE, après la Russie et la Norvège, représentant 14% des importations et 10% de la consommation totale. «Compte tenu de ces liens en matière énergétique, de nombreux Etats membres ont développé de solides relations bilatérales avec l'Algérie, plus particulièrement la France, l'Italie, l'Espagne et le Portugal. Et, avec les réserves de gaz de la mer du Nord qui diminuent considérablement, un accès garanti au gaz algérien a été identifié comme une priorité économique et stratégique pour l'UE, ce qui explique pourquoi notre pays est également omniprésent dans la politique énergétique de l'UE», analysent nombre de spécialistes nationaux et européens, à l'image de Algeria solidarity campaign (ASC) - organisation regroupant des étudiants et des professionnels algériens du secteur énergétique basés à Londres - et Platform -Association indépendante britannique qui surveille de très près l'industrie mondiale des hydrocarbures -, co-auteurs de plus d'un rapport et étude où l'accent est particulièrement mis sur la collusion de l'UE avec les régimes rentiers et la prééminence de sa devise : «Business first (Les affaires d'abord)» dans ses «partenariats» asymétriques dans le Sud. Mais c'est surtout en Algérie que cette même Europe œuvre à préserver scrupuleusement les intérêts de ses entreprises intervenant dans les énergies fossiles. La finalité étant de garder la mainmise sur le gaz. Les géants européens s'en étaient d'ailleurs emparés dès début 1990 lorsque, acculé par le FMI et la Banque mondiale à libéraliser son économie, notre pays avait offert les deux premiers gros contrats gaziers aux britannique BP et français Total : d'une valeur se montant à 3 milliards de dollars, le contrat conclu avec BP en décembre 1995 permettait à cette compagnie d'exploiter des gisements de gaz à In Salah pendant une période de 30 années. En janvier de la même année, Total bénéficiera d'un contrat quasi similaire s'élevant à 1,5 milliard de dollars. Fut alors mis en service, en novembre 1996, le nouveau gazoduc Maghreb-Europe d'où sera acheminé, via l'Espagne et le Portugal, le gaz algérien à destination de l'Europe. Toujours en appétit féroce pour nos ressources naturelles stratégiques, cette dernière a, désormais, d'autres visées sur autre chose : le gaz de schiste qui risque, lui aussi, de déchaîner les passions et provoquer une nouvelle guerre d'influence. En effet, selon une étude sponsorisée par la US Energy and Information Administration, depuis avril 2011, l'Algérie a 231 billions de pieds cubes (6440 milliards de mètres cubes), techniquement récupérables. Une révision à la hausse de ces ressources a été effectuée récemment par le département américain de l'Energie, suggérant un chiffre plus élevé, soit 707 billions de pieds cubes (19 800 milliards de m3). Ce qui place notre pays au 3e rang mondial des plus grands détenteurs de gisements de gaz de schiste récupérable après la Chine et l'Argentine. En 2011, l'Italien ENI et la compagnie nationale Sonatrach avaient signé un accord de coopération pour extraire les ressources non conventionnelles, en particulier celle du gaz de schiste. Shell et Exxon Mobil ne sont pas en reste. Elles aussi seraient en pourparlers avec Sonatrach. Or, à l'instar du gaz conventionnel, la découverte du schiste est perçue par nombre d'économistes comme une bénédiction, mais aussi une malédiction. Bien qu'elle apparaisse comme une solution de rechange pour faire face à la menace d'épuisement des hydrocarbures conventionnels qui se dessine, «il y a un grand risque que l'espoir placé en l'option du développement des exportations d'hydrocarbures non conventionnels à partir de l'exploitation des réserves du gaz de schiste dans le Sahara algérien soit déçu, et ce, même si les dangers écologiques s'avéraient maîtrisables», tranche, d'emblée, le politologue et économiste allemand Hartmut Elsenhans, très bon observateur et connaisseur des économies rentières comme l'Algérie. Pour argumenter son scepticisme, pour ne pas dire son pessimisme, cet éminent professeur de sciences politiques - Université Leipzig, Allemagne - mettra en avant le risque que ce produit puisse constituer une nouvelle rente dont profiteront, encore une fois, les privilégiés : «Beaucoup de pays ont bénéficié de richesses naturelles pour leur industrialisation, dont d'abord l'Angleterre, si riche en charbon. Mais les richesses naturelles y étaient utilisées pour créer une industrie compétitive, qui, du fait de la disponibilité de ressources naturelles, pouvait conquérir des marchés à l'extérieur et élargir les marchés internes à cause des revenus de masse qu'elle assurait. La richesse naturelle des Etats-Unis a contribué à des revenus ruraux importants, qui constituèrent des marchés pour l'industrie locale. Le même lien entre richesses naturelles et revenus de masse existait au Canada, en Australie, et en Nouvelle-Zélande», explique-t-il dans un document intitulé « Algérie et énergie ou les tribulations de l'Etat rentier dont il a transmis une copie à El Watan Economie. Or, «une richesse comparable au Brésil ne conduisit pas au développement pendant le XIXe siècle justement parce qu'elle était transformée en une rente pour les privilégiés. Si les ressources naturelles conduisent à la création de rentes, ceux qui sont au contrôle de ces rentes ne sont plus exposés au fouet de la compétition», tient à souligner le Pr Elsenhans, auteur de plusieurs ouvrages sur les rapports Nord-Sud et les stratégies de développement dont beaucoup ont été publiés, notamment en Algérie. Quid du gaz de schiste et du solaire ? Une autre pierre d'achoppement que notre source a tenu à évoquer : le coût de production dont sont tributaires les objectifs attendus de l'exploitation et l'exportation du gaz de schiste. Car, aux yeux du Pr Elsenhans, bien que les conclusions de plusieurs analyses «très sérieuses» du coût de revient du gaz à partir des schistes algériens par rapport aux schistes de l'Amérique du Nord n'aient pas été dévoilées, «le prix de ces hydrocarbures non conventionnels sera élevé, en Algérie comme partout dans le monde. Il n'y a pas de différences de coûts de production entre l'Algérie et le reste du monde qui permettraient l'appropriation d'une rente différentielle». Mais une chose est sûre, ce sont les producteurs de technologies spécifiques à cette filière qui pourraient, une fois encore, en tirer profit : «Les prix élevés constituent un revenu pour les producteurs des technologies nouvelles appliquées à la production de ces hydrocarbures, au développement desquelles l'Algérie n'a pas pris part et ne peut pas espérer prendre part si elle veut être compétitive au niveau des coûts. Mais la productivité de l'Algérie pour ces hydrocarbures correspondra à la moyenne internationale, ce qui ferait que ses retards de productivité soient ici les plus bas», estime l'universitaire que l'on associe au développement de l'Algérie car ayant à son actif une étude exhaustive sur la petite industrie avec le ministère de la Planification durant les années 1980. Et comme d'habitude, l'Algérie se spécialisera dans le domaine des hydrocarbures produits avec très peu de travail algérien : «…ni la demande d'avant-produits ni les salaires payés dans cette filière ne dynamiseront l'industrie locale. L'Algérie vendra ses hydrocarbures non conventionnels sans obtenir de rente, ni une augmentation considérable de l'emploi en amont de la chaîne». Pis, prévient le Pr Elsenhans, elle s'exposera au risque de la détérioration massive de l'environnement dans des régions entières. L'Europe a, par ailleurs, une ambition, celle d'étendre son actuel «accaparement du gaz» vers les ressources algériennes d'énergies renouvelables, notamment l'énergie solaire. Londres serait déjà à pied d'œuvre. D'après ASC/Platform, l'ex-ambassadeur en Algérie, Martyn Roper, était d'ailleurs très actif dans ce domaine depuis sa nomination, en décembre 2010, dans notre pays qu'il quittera en mai 2014. C'est là l'efficacité de la «diplomatie de l'énergie» du Royaume-Uni et de toute l'Europe dans le contrôle des ressources stratégiques nationales qui prend toute sa dimension. Et on est bien parti pour une ruée vers le solaire et elle se profile à l'horizon. De par sa situation géographique et l'immensité de son désert, l'Algérie dispose d'un des plus grands gisements solaires au monde, une manne équivalant à 60 fois les besoins en énergie solaire de l'Europe de l'Ouest : «Il faut savoir qu'en Algérie, la durée d'ensoleillement est de 2650 heures/an dans les villes côtières - 4% de la superficie totale du pays -, 3000 h/an dans les Hauts-Plateaux -10% de la superficie du pays - et 3500 h/an dans le Sahara - 86% de la superficie du pays», détaille le Pr Benia. «Une richesse inouïe en énergie propre, inépuisable et peu coûteuse que l'Algérie projette d'exploiter à l'échelle industrielle, pour les besoins internes d'abord, puis l'exportation vers l'Europe», indique le même universitaire. Les premiers projets expérimentaux ont été lancés dès 1990 et ont permis, à ce jour, d'alimenter en électricité une vingtaine de petits villages du Sud, apprend-il encore. Mais, «le projet le plus intéressant consiste en la réalisation d'un câble électrique de 3000 km qui reliera l'Algérie (Adrar) à l'Allemagne (Aachen, Aix-La-Chapelle), via l'Italie et la Suisse. Cette annonce a été faite lors de la visite du Président allemand en Algérie, en novembre 2007». D'un montant de 2 milliards d'euros pour le câble et 10 à 18 milliards pour les centrales solaires, ce projet devrait acheminer 6000 Mégawatts d'énergie électrique, soit 10% des besoins de l'Allemagne. Il sera réalisé conjointement par les deux pays.