Le mot d'ordre de grève des cours et des examens a été lancé par la section Ugema d'Alger. Pouvez-vous nous en relater la genèse ? Le pouvoir colonial considérait notre section comme un bureau corporatiste. Mais l'Ugema d'Alger n'échappait pas à la situation politique, qui se détériorait. Les étudiants européens manifestaient constamment après la venue de politiciens, à l'instar de Guy Mollet, président du Conseil. Alors qu'on préparait les élections pour la création du comité directeur, des membres de l'exécutif, à savoir Amara Rachid, Mohamed Lounis, Mustapha Saber, Ahmed Taouti, venaient d'être arrêtés. Le comité élu la première semaine décembre a décidé d'une grève des cours d'une quinzaine de jours, s'ouvrant d'une grève de la faim le 20 janvier. Cette grève a démontré au pouvoir colonial que notre bureau avait réellement des positions politiques et que les étudiants avaient manifesté un sentiment pro-FLN. Ce premier appel a-t-il été suivi ? Il y avait une adhésion des étudiants algériens, dont certains n'étaient pas encartés dans notre section. Il y avait à l'université d'Alger 400 à 500 étudiants algériens. Je rappelle que des étudiants européens progressistes s'étaient aussi fortement solidarisés avec nous, à l'instar de Pierre Chaulet et sa femme Claudine, Pierre Roche, Pierre Colonna, Maurice Audin... Il y avait également le professeur André Mandouze. Avant la grève, personne ne prêtait attention à notre section qui avait un bureau au 6e étage de l'immeuble du boulevard Amirouche (ex-Baudens). Le deuxième congrès de l'Ugema s'est tenu en mars à Paris, avec la participation d'une délégation de trois ou quatre membres de notre section, dont son président, Benyahia, qui n'est pas revenu à Alger. Au même moment, on a appris l'assassinat de Benaouda Benzerdjeb, de l'écrivain Ahmed Rédha Houhou et du collégien Brahmi, dont les noms seront cités dans le tract de l'appel à la grève le 19 Mai. La situation continuait à se dégrader lorsqu'on a appris la disparition de Ferhat Hadjadj, étudiant et maître d'internat au lycée de Ben Aknoun. A la suite de ces événements une assemblée générale a été convoquée le 17 mai 1956 dans un local de la place Lavigerie (cercle Dr Saâdane, aujourd'hui place Ben Badis), prêté par les élus musulmans. On at alors vu surgir, lors de cette réunion, des lycéens, des collégiens, des médersiens qui avaient adhéré à l'Association des jeunes musulmans algériens (AJMA) présidée par Amara Rachid, un militant très actif et membre de la section. Les jeunes ont envahi la salle. On apprendra par la suite qu'ils étaient très attachés à leur ancien président Amara Rachid, désigné président d'honneur après avoir rejoint l'université. Quelles décisions ont été prises lors l'assemblée générale ? Notre objectif était de voir quelles étaient les mesures à adopter après tous les événements qui s'étaient précipités. Ce dont je suis sûre, c'est qu'une bonne partie des étudiants, pas tous, était déterminée à aller vers la grève et le faisait savoir bruyamment. La séance du 17 était houleuse. Aucune décision n'a été prise ce jour-là. On s'est réunis le lendemain dans les locaux de la cité des résidents musulmans de la Robertsau (aujourd'hui Krim Belkacem). Là encore, les étudiants, très nombreux, étaient aussi déterminés. Avec le recul, je constate que les lycéens étaient très mobilisés pour le mot d'ordre de grève. Qui a pris l'initiative de la grève illimitée des cours et des examens, l'Ugema ou le FLN ? Je ne veux pas polémiquer sur la paternité de l'appel. Je sais que les étudiants ont réagi massivement au mot d'ordre. Il n'était pas question, lors de nos réunions du bureau, d'une grève. C'est lors de l'assemblée générale qu'on a compris que la majorité des étudiants, particulièrement les lycéens, voulaient la grève. Il y avait certes des étudiants qui contestaient la décision. Le vote à main levée à été décidé. L'appel à une grève illimitée des cours et des examens a été votée à une large majorité en fin de soirée, vers 20h. Un tract appelant à la grève a été diffusé le lendemain (samedi 19 mai ). Qui l'a rédigé ? Etait-ce votre section ou les responsables du Comité de coordination et d'exécution (CCE) ? Il s'agirait rassemblement d'Abane Ramdane qui était, avec Benyoucef Benkhedda, en contact avec des étudiants à Alger, dont Mohamed Seddik Benyahia et Lamine Khène. Le tract a été publié le matin du 19 mai. J'en ai pris connaissance à Oran, où j'avais été envoyée. Tous les membres du bureau (7), dont je faisais partie, étaient recherchés. Moi, j'étais hébergée dans la villa du docteur Mohamed Seghir Nekkache à Oran, où je me suis retrouvée avec quatre autres militants pour un stage accéléré de trois semaines pour pouvoir donner des soins aux blessés. J'étais entrée dans la clandestinité sous les ordres de Hadj Benalla, adjoint de Ben M'hidi pour la Wilaya IV. Le mot d'ordre de grève a-t-il été suivi ? La grève a été massivement suivie. Les lycéens, les médersiens, etc. ont rejoint en masse le mouvement et certains sont morts dans la clandestinité. Ceci dit, certains, minoritaires, s'étaient opposé à la grève. Ces étudiants ont pu poursuivre leurs études et bénéficier de bourses à l'étranger. Ils s'étaient préparés à être des cadres après l'indépendance. Je précise que le FLN était submergé par le nombre d'étudiants qui voulaient prendre le maquis et qu'il arrivait difficilement à encadrer. Le rôle de l'association de jeunesse présidée par Amara Rachid était déterminant, je m'en rends compte avec le recul. Quelle a été la réaction de la direction de l'Ugema et de ses différentes sections à travers le monde ? Les étudiants des universités françaises, à Montpelier, Paris, etc. ont rejoint le maquis. Les étudiants qui étaient dans les universités du Machrek ont préféré, eux, poursuivre leurs études. La presse internationale a fait un large écho à notre mouvement. La grève a fait l'effet d'une bombe dans un ciel serein, bien avant la grève des 8 Jours de février 1957. Nous avons prouvé à la puissance coloniale que le FLN n'était pas des fellagas mais a su faire adhérer l'intelligentsia. Beaucoup de vos camarades sont entrés dans la clandestinité et certains ont rejoint le maquis... Je tiens à rendre un vibrant hommage aux étudiants qui ont répondu à l'appel à la grève. Beaucoup ont pris le chemin du maquis et sont morts les armes à la main, alors qu'ils n'étaient âgés que de 14 ou 15 ans. A ceux qui contestaient la justesse de l'action (grève) et font du révisionnisme historique, je dis que les maquis ont été encadrés grâce aux contingents d'étudiants dévoués à la cause de la Révolution. Je vous rappelle qu'on a eus deux colonels anciens étudiants : Benali Boudghène (Lotfi, Wilaya V) et Youcef Khatib (Si Hassen, Wilaya IV). Beaucoup parmi les étudiants, qui ont répondu favorablement à la grève, ont servi aussi sous les ordres de Abdelhafid Boussouf au ministère de l'Armement et des Liaisons générales (MALG). Quel message adressez-vous à la jeunesse algérienne ? Je veux que les jeunes, particulièrement les étudiants, se rappellent les sacrifices de leurs aînés qui se sont engagés avec la conviction d'une victoire finale.