Chargé de souvenirs, d'émotions et d'images marquantes dans la vie de son auteur, le livre de Allaoua Daksi, Daksi à cœur ouvert, paru en 2017 aux éditions Scolie, se déclare comme un ouvrage inédit, conçu comme une machine à remonter le temps. Usant d'un style simple et fluide, Allaoua Daksi s'est adonné à cœur joie à une tâche ardue, celle de convoquer sa mémoire fertile, en fouillant à la recherche de tous les faits, proches et lointains, aussi anodins soient-ils, qui l'ont marqué dans sa vie. Le livre est aussi l'histoire de la famille Daksi, qui a offert sept frères au mouvement nationaliste, dont le célèbre martyr Abdesslem, dont une grande cité de Constantine porte aujourd'hui le nom. Au fil des pages, que le lecteur peut parcourir sans s'ennuyer, on découvre les origines des ancêtres de l'auteur, qui auraient quitté Séville, en Andalousi, pour se fixer à Constantine au début du 17e siècle. Commencera ainsi un long périple de la famille Bendaks, devenue Daksi, à travers les siècles, jusqu'à l'occupation de la ville de Constantine par les Français. De fil en aiguille, l'auteur, né à la veille de la Deuxième Guerre mondiale, évoque comment il a été influencé très jeune par l'engagement de ses frères dans le mouvement nationaliste. Très méticuleux sur les moindres faits, l'enfant de Zenkat Lamamra, dans la vieille ville de Constantine, se laisse aller dans de longs chapitres pour raconter ses souvenirs épars. Ceux d'une enfance marquée par la distribution des journaux du PPA-MTLD, l'ambiance à l'école coranique, les séances de films au cinéma Nunez (actuel Royal), les cours à l'école Arago, où il était un élève turbulent, mais studieux, les jeux dans les ruelles de Souika et les bagarres entre rivaux du CSC et du MOC. Allaoua ne veut rater aucun détail des années de sa jeunesse fougueuse au lycée d'Aumale (actuel Redha Houhou) et ses bonnes notes en rédaction. «Un espace où fécondent les attentes et les rêves d'avenir», note-t-il. Le déclenchement de la Révolution du 1er Novembre 1954 le marquera à vie. Il avait à peine 16 ans. «Le grand jour, tant attendu, tant rêvé, est là, bien présent», écrit-il. Il sera le témoin d'une époque tumultueuse dans l'histoire de sa ville et de sa famille. Le fameux épisode du différend entre Boudiaf et la délégation de Constantine dans le groupe des 22 revient avec insistance, ainsi que les souvenirs de ces moments durs, où les frères Daksi se sont quittés les uns après les autres pour l'exil et le maquis. Premiers liens avec le réseau Jeanson Appelé pour accomplir son service militaire, après des tentatives échouées pour rejoindre le maquis, Allaoua embarque au printemps 1958 pour Marseille, puis débarque à la caserne de Beynes, dans les Yvelines. Il découvre Paris, où il profite des journées de permission pour de longues promenades. C'est là qu'il fera ses premiers contacts avec les responsables du FLN à Barbès. A 20 ans, une grande aventure commence avec la désertion de l'armée, puis la vie en clandestinité et le lien avec le réseau Jeanson, celui des fameux «Porteurs de valises». Une activité très intense dans des conditions éprouvantes, qui prendra fin avec son arrestation en février 1960. L'ouvrage de Daksi consacre de longs chapitres, qui forment un précieux document sur les activités de ce réseau entre 1958 et 1960, dont l'auteur fut un des acteurs les plus en vue. «L'apport de ce réseau à la Fédération de France est inestimable, tant sur le plan matériel, transport et hébergement, que sur le plan financier, avec l'acheminement des fonds collectés au profit du Trésor de l'Algérie en lutte», écrit l'auteur. Dans la partie consacrée au procès du réseau, en septembre 1960, Daksi rend un vibrant hommage à ses amis. «Pourtant, ces justes ont tout donné, ne récoltant à la fin que l'opprobre des leurs, qui les traitèrent de ‘‘traîtres'', et l'indifférence, sinon la méfiance, de nos autorités, au grand dam des principes de l'ouverture vers l'autre et du partage humain», notera-t-il. Les années suivantes seront passées à la prison de la Santé à Fresnes, puis au camp de Tholl, dans la région lyonnaise. Durant ces séjours, il connaîtra de près des personnalités comme Mohamed Boudia, Bachir Boumaâza et Abdellah Fadhel. Libéré après le cessez-le-feu, il retourne à Constantine pour vivre les retrouvailles avec sa famille à Zenkat Lamamra, la rue aux Huit martyrs, puis le référendum de juillet 1962, la grande joie de l'indépendance et les responsabilités au sein du FLN. Allaoua apportera ses témoignages sur la crise de l'été 1962, après la prise de la ville de Constantine, le 25 juillet 1962, par les troupes du commandant Berredjem El Mili, et les événements tragiques qui suivirent. Ses expériences au sein du FLN, puis au ministère de l'Habitat, seront éphémères. Il se retire pour s'engager dans le secteur privé. Mais l'aventure la plus passionnante que Allaoua va connaître sera dans le domaine sportif, où il sera le premier président de la Fédération algérienne des sports scolaires, puis président de la Fédération algérienne de handball (FAHB) en 1975. Une époque à écrire en lettres d'or dans l'histoire du sport algérien. A 79 ans, Allaoua Daksi n'a rien perdu de sa verve. Son livre, dans lequel ceux nés dans les années 1930 et 1940 se reconnaîtront sûrement, résume les péripéties d'une vie pleine, avec le mérite d'avoir apporté son témoignage pour les jeunes d'aujourd'hui. Cela devrait inciter les «vieux» de sa génération à suivre son exemple. Il serait vraiment temps.
Daksi à cœur ouvert, de Allaoua Daksi. Scolie Editions 2017 – 328 pages- Prix 950 DA.