Réflexion n «Chaque société est prédisposée à fournir un contingent déterminé de morts volontaires…» Une réflexion qui laisse entendre, dit le Dr Boudarène, que le suicide existe bien en Algérie. Ils seraient même très nombreux, selon lui, à mettre fin à leurs jours car la situation du pays s'y prête bien en insistant sur le fait que les jeunes restent les plus concernés par ce fléau. Pour cause, il évoque en premier lieu les pathologies mentales qui surviennent à un âge jeune. «La schizophrénie concerne d'abord le sujet jeune. Sur 100 personnes, une peut être concernée par la maladie en question. Ce taux passe à 10%, si un des parents en souffre et à 50% si les deux sont atteints par la maladie. A cela, il faudrait ajouter les ravages que font les mariages consanguins dans notre société», précise-t-il. Ce dernier élément augmente dans l'absolu le nombre de sujets malades qui risquent de se suicider, affirme notre psychiatre. La population algérienne est constituée à 30% de jeunes de moins de 30 ans et la schizophrénie est essentiellement le fait de la tranche d'individus âgés de 14 à 30 ans. Il s'agit-là du deuxième facteur qui «rend encore plus important le nombre de sujets exposés à cette maladie et potentiellement candidats au suicide», dit-il en soulignant les autres pathologies mentales, en particulier celles dont l'évolution est émaillée de décompensations dépressives. Celles-ci ne font qu'amplifier le nombre de candidats au suicide «surtout quand viennent se greffer à ces désordres graves de la personnalité, des difficultés d'ordre social qui compromettent le destin individuel», rappelle le Dr Boudarène avant d'ajouter : «Chez les sujets malades, le passage à l'acte suicidaire est précipité par le handicap social surajouté qui les empêche de vivre en harmonie avec la communauté.» La situation socio-économique des jeunes algériens est, dans la majorité des cas, très précaire. «Le travail, le logement, les loisirs, les voyages, pour ne citer que cela, sont des «privilèges» inaccessibles», dit-il. Soit autant de privations mises en relief par le spécialiste et qui ne font qu'augmenter le nombre des prétendants au suicide. «Ces fléaux sociaux constituent des passages à l'acte d'une extrême gravité qui concernent presque exclusivement le jeune citoyen. Une vie pénible et humiliante peut, en effet, amener l'individu à se donner la mort, à s'adonner à la drogue, ou à risquer sa vie dans un projet migratoire impossible», déplore l'orateur. Ce passage à l'acte s'introduit dans l'esprit du sujet quand ce dernier, «en proie au mal être, rumine une existence marquée par des manques difficilement compatibles avec un minimum de dignité. Car il s'agit de cela», précise-t-il avant de conclure sur cette réflexion franche et édifiante : «Le suicide témoigne du désespoir d'un sujet qui a perdu l'initiative sur son existence et qui n'a, de toute évidence, pas d'autre solution pour s'extraire de sa détresse psychologique.»