On s'attendait à ce que ce soit l'odeur de la mer, ce sont les torches qui annoncent Skikda. Les raffineries ont goulûment avalé la façade de la ville, jusqu'à se demander si la beauté et la vocation maritimes de cette cité ne sont pas finalement une belle farce. On s'attendait à ce que ce soit l'odeur de la mer, ce sont les torches qui annoncent Skikda. Les raffineries ont goulûment avalé la façade de la ville, jusqu'à se demander si la beauté et la vocation maritimes de cette cité ne sont pas finalement une belle farce. Le «taxi places» qui a démarré ce matin de Constantine a du mal à trouver l'espace nécessaire à sa vitesse de croisière. Les hameaux se précipitent sur cette route réduite à la portion congrue du mouchoir de poche, mais le chauffeur n'en fait pas cas. Si «l'exiguïté est dans les cœurs», l'espace, lui, est dans la tête. Convaincu que le réflexe vif de ses trente ans est infaillible, il impose aux passagers la folie de quelques manœuvres suicidaires qu'il pense, par la magie de l'éloquence, élever au rang d'inouïes performances professionnelles. «Sept ans au volant de cette 505 et sur la même route» rassure-t-il. A l'entendre, les années deviennent des siècles et sa Peugeot une machine du futur. La plaine du Nord-Constantinois s'étale des deux côtés de l'asphalte pendant que s'étire la discussion sur les radars. Pas un mot sur leur effet dissuasif, donc leur utilité. Le jeune homme à la 505 a déjà «assez de problèmes comme ça» pour en rajouter par l'auto-flagellation en trouvant quelque vertu à ces machines du diable qui vous épient à tout coin de route. «Les radars ne servent à rien, sinon à angoisser un peu plus les pauvres travailleurs que nous sommes.» Et de se lancer dans cette anecdote racontée sur le ton de quelqu'un qui détient la morale de toute la vie. En fait, il s'agit de l'une de ses connaissances qui aurait été voir les gendarmes pour leur demander de lui expliquer comment il peut rouler à moins de 80 km/h alors que cette vitesse, du fait de la performance de sa voiture dernier cri, correspond à peine à «sa deuxième». Les sourires à peine polis qu'il a arrachés aux passagers semblent maintenant tempérer ses ardeurs discursives. La plaine se dégage mais les îlots aux parpaings sont toujours aussi rapprochés. Salah Guettit annonce Tamalous à sa droite sans en préciser la distance, alors que Ain Bouziane promet El Harrouch dans pas longtemps. Une sonnerie de portable rappelle quand même que la technologie n'a pas épargné le parpaing et l'homme qui décroche pue l'opulence. Le ton hautain, il sermonne quelqu'un au bout du fil dans une discussion toute dédiée au business. Et il tenait à nous faire entendre tout ça, histoire de nous rappeler que sa présence parmi nous dans un "taxi place" est un accident de l'Histoire. Le mauvais goût de son complet à rayures confirmera le reste. C'est à El Harrouch que l'homme à l'abominable complet à rayures descendra, libérant le siège de ses kilos et les passagers de ses vociférations. La presse de ce matin annonce un colloque à Oran sur Mohamed Harbi, l'enfant d'El Harrouch et l'historien de l'Algérie. Mais l'homme qui parlait business dans son portable s'en fiche royalement, puisqu'il ne le sait pas. Zedadra annonce Oued Habeba qui ne doit pas être très loin. Skikda, destination finale, est annoncée à trente-deux kilomètres. Enfin, une précision. Elle n'est pas la seule. La signalisation routière nous apprend que Azzaba est à droite alors que Annaba, mystérieusement, est indiquée dans deux directions différentes. Aux confluents des vagues et du soleil On s'attendait à ce que ce soit l'odeur de la mer, ce sont les torches qui annoncent Skikda. Les raffineries ont goulûment avalé la façade de la ville, jusqu'à se demander si la beauté et la vocation maritimes de cette cité ne sont pas finalement une belle farce. Cependant, vous êtes rapidement rassurés une fois dans ses entrailles. Mon Dieu, ce qu'elle aurait pu être belle, cette ville à l'architecture ramassée où tout est conçu pour qu'on se parle et qu'on se touche ! Quelques palmiers dont la hauteur démesurée ne compense pas l'aspect rachitique occupe le seul espace éclaté de la ville qu'on veut quitter au plus vite et puis ce boulevard en arcades qui vous prend par la main et vous mène votre destin, fatal en ces lieux, celui de la rencontre ultime du soleil et du grand lac. Et puis cette mystérieuse sensation de «monter vers la mer» avant l'amère déception. Sur cette place aux confluents éternels du bleu et de l'or, quelqu'un manque tous les jours son rendez-vous. Mais où est donc passée la mer ? Derrière ce port impitoyable qui repousse le regard et le somme d'aller voir ailleurs. Alors, la mort dans l'âme et l'écume plein la tête, vous prendrez à droite vers Jeanne d'Arc ou plus sûrement à gauche vers Stora que vous rejoindrez au bout de quelques kilomètres et des millions de soupirs sur ce qu'a été ce littoral et ce qu'il est devenu. Stora. Le petit port est toujours aéré, mais ses bateaux de pêche semblent inutiles tellement on vous propose plus l'escalope de dinde que les petits rougets. Sur l'un de ses flancs s'ouvre une grotte restaurant qui a dû connaître ses heures de gloire pittoresques avant de tomber dans la décadence de la chawarma, des frittes omelettes et de la Fanta fraise. Au bout de cette horreur, s'ouvre le paradis. Comment, diable, cette merveille a-t-elle échappé à la furie destructrice des hommes ? A fleur de montagne serpente un sentier sorti tout droit de l'irréel. Le regard est happé indifféremment par une succession de petites plages surmontées par autant de criques avant de remonter vers les buissons sauvages côtoyant des vergers miniatures descendant en cascades vers la mer. Quand on traverse cet espace en solitaire, on est saisi par un indicible embarras. Plus que ça, on a presque honte de violer cette nature de son pas, de déranger les jeunes couples dans des moments d'intimité qu'ils sont venus chercher si loin de l'inquisition et de fouiner dans la mémoire des harragas partis d'ici vers la mort ou revenus vers les tribunaux. Ici le coucher du soleil est sûrement d'une beauté infinie, mais personne ne l'attend. Une autre vie commence le soir venu, celle des soulards à moindre prix, des putes entamées par la déchéance organique et des paumés en quête de solitude. Il faut vite revenir vers Skikda déjà somnolente sur les hauteurs des «Zqaq Arabes», son périlleux bazar et ses pizzas. Et dormir en oubliant la mer jusqu'à demain. Le «taxi places» qui a démarré ce matin de Constantine a du mal à trouver l'espace nécessaire à sa vitesse de croisière. Les hameaux se précipitent sur cette route réduite à la portion congrue du mouchoir de poche, mais le chauffeur n'en fait pas cas. Si «l'exiguïté est dans les cœurs», l'espace, lui, est dans la tête. Convaincu que le réflexe vif de ses trente ans est infaillible, il impose aux passagers la folie de quelques manœuvres suicidaires qu'il pense, par la magie de l'éloquence, élever au rang d'inouïes performances professionnelles. «Sept ans au volant de cette 505 et sur la même route» rassure-t-il. A l'entendre, les années deviennent des siècles et sa Peugeot une machine du futur. La plaine du Nord-Constantinois s'étale des deux côtés de l'asphalte pendant que s'étire la discussion sur les radars. Pas un mot sur leur effet dissuasif, donc leur utilité. Le jeune homme à la 505 a déjà «assez de problèmes comme ça» pour en rajouter par l'auto-flagellation en trouvant quelque vertu à ces machines du diable qui vous épient à tout coin de route. «Les radars ne servent à rien, sinon à angoisser un peu plus les pauvres travailleurs que nous sommes.» Et de se lancer dans cette anecdote racontée sur le ton de quelqu'un qui détient la morale de toute la vie. En fait, il s'agit de l'une de ses connaissances qui aurait été voir les gendarmes pour leur demander de lui expliquer comment il peut rouler à moins de 80 km/h alors que cette vitesse, du fait de la performance de sa voiture dernier cri, correspond à peine à «sa deuxième». Les sourires à peine polis qu'il a arrachés aux passagers semblent maintenant tempérer ses ardeurs discursives. La plaine se dégage mais les îlots aux parpaings sont toujours aussi rapprochés. Salah Guettit annonce Tamalous à sa droite sans en préciser la distance, alors que Ain Bouziane promet El Harrouch dans pas longtemps. Une sonnerie de portable rappelle quand même que la technologie n'a pas épargné le parpaing et l'homme qui décroche pue l'opulence. Le ton hautain, il sermonne quelqu'un au bout du fil dans une discussion toute dédiée au business. Et il tenait à nous faire entendre tout ça, histoire de nous rappeler que sa présence parmi nous dans un "taxi place" est un accident de l'Histoire. Le mauvais goût de son complet à rayures confirmera le reste. C'est à El Harrouch que l'homme à l'abominable complet à rayures descendra, libérant le siège de ses kilos et les passagers de ses vociférations. La presse de ce matin annonce un colloque à Oran sur Mohamed Harbi, l'enfant d'El Harrouch et l'historien de l'Algérie. Mais l'homme qui parlait business dans son portable s'en fiche royalement, puisqu'il ne le sait pas. Zedadra annonce Oued Habeba qui ne doit pas être très loin. Skikda, destination finale, est annoncée à trente-deux kilomètres. Enfin, une précision. Elle n'est pas la seule. La signalisation routière nous apprend que Azzaba est à droite alors que Annaba, mystérieusement, est indiquée dans deux directions différentes. Aux confluents des vagues et du soleil On s'attendait à ce que ce soit l'odeur de la mer, ce sont les torches qui annoncent Skikda. Les raffineries ont goulûment avalé la façade de la ville, jusqu'à se demander si la beauté et la vocation maritimes de cette cité ne sont pas finalement une belle farce. Cependant, vous êtes rapidement rassurés une fois dans ses entrailles. Mon Dieu, ce qu'elle aurait pu être belle, cette ville à l'architecture ramassée où tout est conçu pour qu'on se parle et qu'on se touche ! Quelques palmiers dont la hauteur démesurée ne compense pas l'aspect rachitique occupe le seul espace éclaté de la ville qu'on veut quitter au plus vite et puis ce boulevard en arcades qui vous prend par la main et vous mène votre destin, fatal en ces lieux, celui de la rencontre ultime du soleil et du grand lac. Et puis cette mystérieuse sensation de «monter vers la mer» avant l'amère déception. Sur cette place aux confluents éternels du bleu et de l'or, quelqu'un manque tous les jours son rendez-vous. Mais où est donc passée la mer ? Derrière ce port impitoyable qui repousse le regard et le somme d'aller voir ailleurs. Alors, la mort dans l'âme et l'écume plein la tête, vous prendrez à droite vers Jeanne d'Arc ou plus sûrement à gauche vers Stora que vous rejoindrez au bout de quelques kilomètres et des millions de soupirs sur ce qu'a été ce littoral et ce qu'il est devenu. Stora. Le petit port est toujours aéré, mais ses bateaux de pêche semblent inutiles tellement on vous propose plus l'escalope de dinde que les petits rougets. Sur l'un de ses flancs s'ouvre une grotte restaurant qui a dû connaître ses heures de gloire pittoresques avant de tomber dans la décadence de la chawarma, des frittes omelettes et de la Fanta fraise. Au bout de cette horreur, s'ouvre le paradis. Comment, diable, cette merveille a-t-elle échappé à la furie destructrice des hommes ? A fleur de montagne serpente un sentier sorti tout droit de l'irréel. Le regard est happé indifféremment par une succession de petites plages surmontées par autant de criques avant de remonter vers les buissons sauvages côtoyant des vergers miniatures descendant en cascades vers la mer. Quand on traverse cet espace en solitaire, on est saisi par un indicible embarras. Plus que ça, on a presque honte de violer cette nature de son pas, de déranger les jeunes couples dans des moments d'intimité qu'ils sont venus chercher si loin de l'inquisition et de fouiner dans la mémoire des harragas partis d'ici vers la mort ou revenus vers les tribunaux. Ici le coucher du soleil est sûrement d'une beauté infinie, mais personne ne l'attend. Une autre vie commence le soir venu, celle des soulards à moindre prix, des putes entamées par la déchéance organique et des paumés en quête de solitude. Il faut vite revenir vers Skikda déjà somnolente sur les hauteurs des «Zqaq Arabes», son périlleux bazar et ses pizzas. Et dormir en oubliant la mer jusqu'à demain.