Les sujets, pour un chroniqueur, ne manquent pas cette semaine. Il y a matière à écrire. Il y a l'embarras du choix. Il suffit de tendre l'oreille et l'œil pour permettre au clavier, la plume est remisée désormais dans le plumier du passé, d'aller dans le sens de la dérision, de la perplexité et de la colère impuissante. Il y a le RND qui rêve d'un destin national. Le FLN qui monte sur ses ergots et qui se prend sérieusement pour le parti de l'Algérie. Il y a Bengrina qui déclare avoir refusé un portefeuille ministériel de souveraineté (ouf, on l'a échappé belle !). Il y a un bac bradé au-dessous de la moyenne, comme si l'université algérienne, aux abois, avait véritablement besoin de ce coup de massue. Il y a la coalition islamiste amazighophobe qui dénie le droit à l'Ancêtre de figurer dans la Constitution. Il y a des arrestations, en veux-tu en voilà. Il y a. Il y a. Il y a. Aujourd'hui, j'ai choisi de parler de trois écrivains algériens, que je réunis dans cet espace de parole pour la simple raison qu'il me permette d'entretenir mes facultés d'émerveillement. Ces auteurs, il y en a d'autres, m'empêchent de me noyer dans un quotidien à la limite du suicide. Comme ils m'empêchent de désespérer totalement de mon pays. Comme ils me fournissent, ô espoir, d'entretenir tout de même le feu d'un rêve inassouvi, celui de me reconnaître dans mon pays. Comme ils me procurent la joie inextinguible d'enfourcher le prétexte du verbe pour aller débusquer les (dé)raisons d'une fuite vers l'Ailleurs. Comme ils m'ordonnent d'écarquiller les yeux et de bouffer la réalité algérienne telle qu'elle est. Comme ils m'incitent à rester « humain » et à ne pas sombrer dans le cynisme le plus débridé. Comme ils me montrent de leurs mots le beau et l'amour. De Zaoui, j'ai d'abord lu Le huitième ciel, écrit en arabe, dans les années 90. J'y ai trouvé déjà ce goût de la provoc' et de la transgression. J'y ai vu déjà qu'il n'y avait pas dans son écriture toute forme de censure ou d'autocensure. Il trace la trame de son roman, fait mouvoir les protagonistes de son scénario et ne les limite pas dans leur délire. Parce que Zaoui délire dans son écriture ! Il faut le dire. Parce que Zaoui s'est mis à écrire dans la langue française, comme s'il avait besoin de passer derrière le miroir des langues. La langue arabe ne lui suffisait plus, il lui fallait conquérir d'autres territoires. Et provoquer l'universalité. Il n'a pas que des fans, Zaoui. Sa façon d'écrire, que personnellement je trouve exotique, dérange. Au point où certains pensent qu'il traduit ses textes, de l'arabe au français. Il n'y a rien de vrai, j'ai lu ses tapuscrits à plusieurs reprises. Zaoui dit la réalité telle qu'elle est. Il dit les pulsions secrètes. Il dit les fantasmes de tout le monde. Il ne joue pas à la pudibonderie. Il n'oblige personne à le lire. Il met en touche les saintes-nitouches. Il parle du sexe et du corps, sans détournement. Il assume. Souvent, il en rit, quand il m'arrive de lui faire la remarque. Surtout quand un lecteur m'a fait l'aveu d'avoir jeté son roman, La chambre de la vierge impure, jugé d'une vulgarité sans bornes. Zaoui n'en a cure. Il bouscule les habitudes de lecture. Puis, nul n'est obligé de le suivre, encore moins de le lire. Qu'on se rappelle que La malédiction de Boudjedra a fait un tonnerre dans le ciel de l'Algérie des années 60. Zaoui monte son scénario presque dans le désordre. Il ne respecte aucune linéarité. Pour lui, l'écriture ne doit pas être sage. Elle doit déranger l'ordre établi, « l'ordre, ce vilain », selon la belle formule de Djaout. Elle doit bousculer les mentalités, les remettre en cause. Il agit comme un précurseur. Il est souvent incompris, souvent chahuté. Le sourire affiché, il repart vers ses démons intérieurs. Au fond de lui, il bout. Il trépigne. Il est fébrile. Il faut qu'il fasse sortir les cailloux de son ventre. Il est iconoclaste, difficile à classer. C'est désormais un genre ! Canicule glacée, édition Dalimen, 2020, est son dernier roman. Aussi, dois-je préciser qu'il a changé de maison d'édition. Je n'en connais pas les raisons. Ce roman m'a d'abord attiré par un titre sous forme d'oxymore. Je n'y ai pas trouvé de lien évident avec le texte. Ça a de l'importance, pour moi. Bref, l'essentiel est ailleurs. Il est dans ce roman, présenté sous forme de tableau, où les personnages prennent souvent, bien malgré eux, le délire de l'auteur, les réalités changeantes d'un pays à réinventer, l'Algérie en l'occurrence, les références à un passé berbère (Afulay) niées par le système et l'utilisation (malheureusement rare) d'expression amazighe, qui renseigne sur les positions de l'écrivain. Dans ce roman, on retrouve la verve de Zaoui, sa façon particulière d'écrire le français, ses nombreux calques (tirés de l'arabe) et ses nombreuses références à l'Histoire (ex-Averroès). Je sens un accent quand je lis cet écrivain. A croire qu'il pense en arabe et qu'il tente de restituer l'idée ou de la formuler du moins en français. J'y trouve un certain charme. Un peu comme ces chanteurs qui chantent dans une autre langue que la leur (Nina Simone qui reprend Ne me quitte pas de Brel). Personnellement, je l'encourage sur cette voie. Je vois d'ici les puristes émettre un soupir d'indignation. Zaoui ne se contente pas seulement de l'écriture romanesque. C'est le propre de l'écrivain algérien. C'est un touche-à-tout. Il est conférencier. Il tourne en Algérie, principalement en Kabylie. Il est chroniqueur au journal Liberté. Il donne à ses « souffles » le temps de dire, sans fioritures, sans figures de style, ce qui le gêne dans le monde arabo-musulman. Il tire à bout portant. Il dénonce toute l'hypocrisie d'un monde tourné vers un passé révolu, un monde bouffé par l'historie, en retard sur le monde extérieur, pris en flagrant délit de violence, un monde tourné vers le mensonge historique et religieux, un monde que Zaoui n'arrête pas de fustiger. C'est simple, cet auteur ne souhaite que revenir vers la quintessence de l'Être algérien. Sans oripeaux. Sans habits d'importation. Je laisse Sénac, Yahia El-Wahrani, clore ce rappel du monde intérieur de Zaoui : « Je me suis exilé derrière une lettre/Rite opaque, nocturne/Comment le soleil passerait-il ?/Je me suis assis devant le figuier/Et j'ai attendu les pommes/O faiblesse ! O folie. » Y. M.