Nerveux, excessif dans ses réactions et très peu compréhensif envers sa femme et ses enfants, Abbas et le jeûne ne font pas bon ménage. Chaque Ramadhan, sa femme craint ses scènes de colère ; il suffit qu'une fourchette manque à table et c'est l'hystérie. Il en fait tout une montagne, et n'hésite pas à crier et à taper, et souvent, cela se termine par le renversement de la table du f'tour. Une fois sa crise passée avec une cigarette et un café bien serré, il reconnaît à moitié ses torts et ses excès. Ce Ramadhan n'a pas pour autant vu Abbas faire l'effort de changer. Durant la première semaine de ce mois sacré, il s'est fait une obsession sur le pain syrien. Rentré vers 18h, il ordonne à son épouse de remuer ciel et terre, et de lui poser sur la table du pain syrien, car en rentrant du boulot, le boulanger n'en avait plus et lui ne tenait plus debout tant le jeûne l'avait achevé et il ne pouvait aller en chercher ailleurs. Entretemps, il fait un somme en attendant l'appel du muezzin. Son épouse a demandé à son fils aîné, âgé de 17 ans, d'aller chercher le pain syrien et de ne rentrer qu'avec cette spécialité. Le fils, connaissant son père et ses réactions colériques, était paniqué à l'idée de ne pas en trouver. Après avoir fait le tour de trois boulangeries qui en vendent d'ordinaire, point de pain syrien, mais un pain qui lui ressemble. Il en a acheté trois et est rentré tout fier de lui. En racontant cela à sa mère, celle-ci tremble et lui dit de ne pas mentionner le fait que ce n'est pas du pain syrien. 20h 20, c'est l'appel à la prière du maghreb. Toute la famille est autour de la table, le père s'installe. Tous le regardent, lui ne quitte pas des yeux le pain. Sans crier gare, il se lève et donne de grands coups sur la table garnie de plats, et dit : «Vous vous moquez de moi ou quoi, ce n'est pas du pain syrien !». Puis un grand fracas et des hurlements. La table est renversée et avec elle la soupière en porcelaine pleine de soupe brûlante. Celle-ci a volé en éclats et s'est totalement renversée sur le père. Mais pas seulement ! un fragment de l'ustensile s'est logé dans le pied. La famille, habituée à ces scènes, était stupéfaite, car jamais le renversement de table de leur père n'avait eu autant de conséquences. Le f'tour a été remis à plus tard puisque Abbas a été évacué aux urgences, car sa plaie était profonde. Il s'en est sorti avec des points de suture à l'orteil et des brûlures sur la cuisse. Depuis, le f'tour est bien calme, sa femme et ses enfants se disent qu'il lui fallait cette leçon afin que plus jamais il ne lui vienne à l'idée de renverser la table. Ayant appris ce qui lui était arrivé, ses amis du boulot, connaissant ses excès de nervosité durant le Ramadhan, sont allés s'enquérir de son état de santé et lui apportant avec eux une dizaine de pains syriens. Une façon drôle de lui dire : «Tiens, tu en as pour dix jours, ça t'évitera de renverser ta table !».