Cette cit�-l� est d�abord victime des poncifs et de ceux qui les exhibent comme des talismans. Chaque fois qu�ils ont pr�tendu qu�elle �tait une bonne destination culturelle, ils ont �gar� le voyageur qui s�y rendait. A sa d�solante surprise, celui-ci faisait la d�couverte d�un ghetto, lui qui esp�rait p�r�griner dans une Andalousie-sur-Rhumel. Il est vrai que les pires d�senchantements frappent en premier les �yeux lav�s�, car pour ceux qui ont depuis longtemps pos� leurs bagages dans cet endroit, ou bien ceux qui ne l�ont jamais quitt�, les qualificatifs pompeux n�ont plus de sens. Il en va ainsi des lieux communs � toute rh�torique, comme d�ailleurs des lieudits g�ographiques : les deux sont sources de malentendus parce que l�on s�est abstenu de tordre le cou aux premiers et de prendre ses distances avec les seconds. Myopie, paresse intellectuelle et subjectivit� des racines font bon m�nage pour id�aliser � l�exc�s un �tat des choses, l� il ne reste qu�une caricature du pass�. Or, c�est pr�cis�ment de cette absence d�un regard objectif que Constantine souffre. En d�gonflant les l�gendes et les mythes et en �corchant les formules magiques, l�on d�couvre qu�il n�y a derri�re les clauses de style et les �statuts� qu�un d�sert culturel semblable � ceux des autres villes. Pour proc�der comme Pr�vert et son �inventaire�, il faut pouvoir additionner, ne serait-ce que le d�risoire et l�h�t�roclite. Or, l�on serait � la peine devant un telle arithm�tique, tant les z�ros sont presque l�gion. Pas de cin�mas ni de cin�math�que ; un th��tre somnolant ; un conservatoire de musique qui joue en sourdine ; deux centres culturels faisant plut�t office de �salles des pas perdus� ou bien d�exutoire pour meetings politiques ; aucune biblioth�que publique et seulement un libraire comp�tent qui ferraille comme un Don Quichotte pour promouvoir le livre. L�extr�me indigence de cette ville est paradoxalement l�alibi qui justifie toutes les agitations autour d�un pr�tendu �ge d�or qu�il faut ressusciter. Sauf que personne ne sait comment il faut s�y prendre. En v�rit�, Constantine est frapp�e de clochardisation culturelle parce qu�initialement l�on a insist� sur sa sp�cificit� �hors normes�, c'est-�-dire qu�on l�a per�ue � travers un prisme du pass�. Celui du �rayonnement� qui auto-g�n�re une activit� artistique et, partant, repr�sente l�exemplarit�. Le mod�le pour les autres cit�s ! Or, en mati�re elle a pu l��tre mais dans �l�art� de dilapider un patrimoine, dissiper des potentialit�s et pervertir des virtualit�s. Constantine a v�cu donc sur une id�e de l��ge d�or mais a r�ussi, gr�ce � une alchimie � rebours, � le transformer en plomb. Ainsi, durant des ann�es, beaucoup a �t� dit et �crit sur la triste stagnation culturelle de cette ville. Et tout le monde s�accordait pour constater que la production, la diffusion et, d�une fa�on g�n�rale, l�animation sont devenues insignifiantes. Toutes les explications avanc�es convergeaient vers ce qui �tait convenu d�appeler la �r�gression globale de la soci�t�. Celle-ci �tant devenue incapable de stimuler l�initiative cr�atrice et la valorisation des diversit�s artistiques, il s�en est suivi, nous explique-t-on, une d�saffection des v�ritables op�rateurs culturels avec pour mortelle cons�quence un �huis clos� de l�animation. La situation est aujourd�hui critique. En d�pit des pr�dispositions traditionnelles de la cit�, aux ressources humaines appr�ciables, il est difficile de parier le moindre dinar sur une relance culturelle quand le peu d�infrastructures sont � l�abandon et que l�on n�envisage pas de doper par la subvention les rares �lots qui r�sistent. Ici, comme ailleurs sans doute, mais d�une fa�on plus exacerb�e, les effets n�gatifs de l�ancienne approche de la promotion culturelle ont fait d�immenses d�g�ts. Celle-l�, caract�ris�e par un populisme st�rile, a fini de niveler par le bas la cr�ativit�, marginalisant par voie de cons�quence la singularit�, bridant les talents et standardisant les canons de l�art. Ainsi, le plus grand pr�judice qu�ait eu � subir la ville au cours des d�cennies pass�es, outre l�id�ologisation culturelle, fut la mainmise de la bureaucratie sur ce secteur. Des d�cideurs au savoir-faire approximatif devinrent les fond�s de pouvoir des arts et des lettres. Dans cette lente d�sertification fleurirent au fil des saisons artistiques la m�diocrit� des planches avec ses talents douteux, les slogans qui se voulaient po�sie et des tracts qui se croyaient prose litt�raire. C�est cette sous-culture anim�e par des semi-lettr�s qui prendra en charge � faut-il dire en otage ? � le public de jeunes si peu initi� � l�esth�tique des arts. Tant est si bien qu�� leur tour, aujourd�hui, ils reproduisent tous ces sous-produits auxquels ils furent abreuv�s. Mais que faire dor�navant pour redonner une ultime chance � cette ville avant le naufrage d�finitif ? Quelques voix timides vous diront, sans certitude, qu�il faut r�habiliter tous les d�class�s culturels qui survivent encore � la marge et leur donner les moyens de s�exprimer. Mais o� sont-ils et � quoi ressemblent-ils ? Des zombies qui n�ont pas pour autant renonc� � leur passion, m�me si, par la force des choses, ils h�sitent � d�cliner leur unique fonction : �artistes�, murmurent- ils. C�est qu�ils ont le blason honteux, parce qu�ils savent depuis des lustres qu�il est plus valorisant d��tre marchand de frites ou bien une �mule� des trabendistes, qu�amuseur sur sc�ne ou barbouilleur de toiles. Com�diens ou peintres, interpr�tes de la musique savante ou taquins des mots, tous connaissent l�infini m�pris dans lequel ils sont tenus. Se contentant de tous les cache-mis�re, ils entretiennent avec d�raison des illusions en cendres. Esp�rent-ils qu�un jour tout peut changer dans leur condition ? S�rement pas, car il y a chez ces gens-l� une lucidit� de l��chec d�finitif qui confine � la saintet�. En d�pit du bon sens commun, ils poursuivent des fant�mes artistiques. Les uns continuent � hanter d�hypoth�tiques planches orphelines de public, les autres � accrocher des �cro�tes� aux murs des h�tels bienveillants, en r�vant � des cimaises plus glorieuses. Un ent�tement qui leur permet de ne pas d�sesp�rer. Terrible condition de la culture en province o� m�me l�illusion des �festivals alibi� l�a quitt�e. Exit toutes les mythologies fondatrices d�un �ge d�or derri�re lequel elle court encore� Arri�re-cour d�une nostalgie inop�rante. M�me la magie des vieux attributs ne peut grand-chose pour susciter de grands sursauts. Il ne reste qu�� veiller au chevet de cette �vieille dame� qu�est Constantine. Elle finira bien un jour par renouer avec le talent qui �tait naturellement le sien. A ce moment-l�, alors, il faudra lui forger d�autres qualificatifs lesquels, � leur tour, deviendront des poncifs lorsque la magie aura cess�.