Un Etat qui a peur de ses musiciens de rue est un Etat qui fait… peur. Mohamed Daha «sévit» quelque part avec une arme que doivent se partager à parts inégales le rêve et la contrainte : une guitare dont les notes mettent un pan de gaieté dans une capitale livrée au désespoir. Sans ménagement, une patrouille de police l'a embarqué à la manière de «la vieille qui a attrapé un voleur», pour reprendre la géniale formule du terroir algérois. Voilà ce qu'en dit l'ami Malik Aït Abderrahim, brillant professeur de philosophie et homme aux cinglantes colères : « Pinson de rue aux gentils ramages, le jeune Mohamed Daha se fait embarquer pour avoir pris l'inoffensif pli de taquiner sa gratte aux abords de la Faculté centrale, rue Didouche-Mourad. Une pratique bénigne, tolérée aux quatre coins du monde, qui a la modeste vertu d'égayer le trottoir et de faire prendre l'air aux notes de musique parmi les passants. Nos poulagas, avec leur zèle coutumier, sourds aux accents des saltimbanques et programmés pour faire place nette jusqu'aux recoins, n'y ont vu hélas que signe de subversion et trouble à l'ordre public. A l'ombre des pouvoirs illégitimes, aucune tête ne doit dépasser. On aurait pu, après autant d'inspiration dans l'indignation, faire l'économie de plus de commentaires en la circonstance. Le problème est que le fait, comme les réactions qu'il a pu charrier, est tellement caractéristique de l'état des lieux qu'on est même surpris d'être surpris. Dans un pays où l'espace public est livré en usufruit à l'obscurantisme, à l'anathème et l'autodafé, il n'y a pas de place pour les guitares, surtout pas pour des guitares aérées qui ont l'outrecuidance de prétendre à un libre pan d'asphalte arraché aux ténèbres. Plus que la musique, c'est la liberté qu'on punit en l'occurrence. Le message est net : pas un seul pouce de l'espace public ne sera concédé à la libre expression. Alors, pour dissuader, on sévit. Dans la foulée, on sévit pour l'exemple, des fois que ça donnerait des idées à d'autres. Au cœur d'Alger, là où la musique aurait dû être une senteur d'ambiance naturelle. Dans un pays où policiers et gendarmes traquent le câlin plus que l'agression de vieilles mamies, où on met plus de cœur à l'ouvrage pour attraper les «casseurs» de ramadhan que les casseurs d'échoppes à pinard, ce n'est pas vraiment une surprise que le jeune Mohamed Daha soit violemment «dégagé» de la rue. La rue appartient à ceux qui ont fait la preuve de leurs capacités de nuisance. Une semaine avant, un jeune musicien d'égale fortune racontait sur les ondes de la radio publique tout son bonheur de chanter dans la rue. Il racontait les moments de bonheur qu'il procurait aux passants, leur attention, et parfois leur générosité. Il ne devait pas savoir ce qu'il encourait. Maintenant, il le sait. Slimane Laouari Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.