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"Savoir retrouver l'intelligence du singe..."
QU'ATTENDENT LES SINGES DE YASMINA KHADRA
Publié dans L'Expression le 23 - 04 - 2014

Dans son tout nouveau roman Qu'attendent les singes (*), quelle leçon de sciences humaines et de conscience morale, Yasmina Khadra se propose-t-il de tirer, pour ses lecteurs, de son expérience personnelle d'Algérien et de l'histoire de son peuple qu'il dit, ailleurs, «magnifique de patience et de longanimité»? Ici donc, seul l'auteur nous intéresse et nous sert de pierre de touche pour aborder son oeuvre où rien n'amuse. Toutefois, auparavant, et parce qu'il est insolite, que donne-t-il à comprendre ce titre «Qu'attendent les singes»? Pour le comprendre, il ne faut pas avoir l'esprit noué, car ce romancier n'est surtout pas un amuseur... C'est de nous qu'il parle, de nos bourbiers et même de nos rêves. Son livre contient autant sa responsabilité d'écrivain que notre espérance de lecteurs.
La métamorphose dégradante
Ne voilà-t-il pas, d'un écrivain libre et qui réveille les intelligences sommeilleuses, un programme par questionnement et qui tire l'oeil, sans hésitation, et qui plonge le grand douteur dans des réflexions, lesquelles, n'était-ce le sujet important et grave, nous rappelleraient, venant a contrario, l'humour caustique de George Bernard Shaw (1856-1950)? Celui-ci a, en effet, écrit dans Bréviaire du révolutionnaire: «Ceux que nous appelions des brutes eurent leur revanche quand Darwin nous prouva qu'ils étaient nos cousins.»; de son côté, parlant du même Nietzsche, Jean Rostand (1868-1918) a pu écrire dans Pensées d'un biologiste: «Il s'illusionnait sur les qualités de ces quadrumanes avides, cruels et lubriques. Ce sont bien les aïeux qu'il nous fallait.»
Plus précocement, au ixe siècle, Al Djâhidh (776-868, Bassora-Irak), fabuliste perspicace, zoologiste célèbre et philosophe à l'esprit scientifique ouvert, n'avait-il pas présenté «la théorie de l'évolution biologique»? Dans son Kitâb el hayawâne, Le Livre des Animaux (éd. Dar al-Gil/Dar al-Fikr, Beyrouth, 1988, Vol. IV, pp. 68-70), il notait en toute conviction que «Sur le maskh [c'est l'acte de la métamorphose dégradante] ont été émis des avis différents: il y a parmi eux ceux qui affirment que le maskh ne se transmet pas à la descendance, qu'il ne se perpétue pas, sauf pour servir de leçon et d'exhortation. C'est la position tranchée. Et puis, il y a ceux qui soutiennent que le maskh dure et se perpétue et a donné naissance à des espèces telles l'uromastix, l'anguille [djurriya], les lapins, les chiens et d'autres, des descendants de ces «peuples» qui se sont transformés en ces êtres et ont en acquis la (les) forme(s).» Poursuivant l'explication de ses hypothèses scientifiques, Al Djâhidh développait une thèse différente dans le même livre (Vol. IV, pp. 70-74), à propos de l'influence de l'environnement (la nature, le sol, l'eau, le soleil, la société, la culture, la politique, etc.): «... Peut-être, a-t-on trouvé que le marin nabatéen, dans beaucoup, ressemble aux singes. Et peut-être même qu'entre l'Homme du Maghreb et l'individu transformé [miskh, c'est le résultat de la métamorphose], il n'y a que peu de différences.» Al Djâhidh terminait son argumentaire par cette «Preuve de philosophie islamique»: «Et Abu Bakr al-Açam et Hishâm Ibn Ahkam disaient au sujet de la transformation: si Dieu veut transformer une graine de moutarde sans y ajouter de volume en longueur ou en largeur, il peut en faire autant d'un fils d'Adam, en le transformant en singe, sans en diminuer la taille.» Mais alors, se demande-t-on, «pourquoi l'homme ne pourrait-il pas compter que par ce qu'il obtient de lui-même selon la méthode sévère?»
Ceci expliquant cela, l'intitulé «Qu'attendent les singes» est, dans ce cas, bel et bien une sorte de litote, laissant entendre plus qu'on ne dit.
Là, immédiatement, le rappel d'un «état de la société algérienne» dans le genre roman par Yasmina Khadra prend une dimension politique certaine: une forte exclamation humaine de douleur et de dépit. Nous avons à lire un constat amer et précis sur une société en déliquescence, ses repères de civilisation oubliés, perdus, et personne ne semble décidé à les rétablir, - pas même de s'en inquiéter. Hallucinant! Dans quel pays sommes-nous, étrange, imaginaire, plein de tourments et d'angoisse?... Comment alors lire la description de l'inouïe vérité racontée?
Yasmina Khadra se veut sincère, fin observateur, honnête patriote, se battant pour l'honneur de son pays objet de son impeccable étude, tout le contraire de son personnage central du «roman», le féroce Hamerlaïne qui, en accomplissant avec jouissance un acte ignoble, parle à sa victime Joher terrifiée «d'un certain Surcouf, intrépide corsaire de Saint-Malo» dont la veulerie est qu'il «se bat pour ce qu'il n'a pas».
«Les décideurs de l'ombre»
Le récit est splendide comme «un matin splendide» sur les lieux du crime «un matin algérien, avec son soleil de décembre éclatant et froid». Ce «matin», écrit d'une plume riche et généreuse, vive et précise, ouvre le roman, promet une enquête policière rythmée de rebondissements multiples. L'énigme d'un crime est posée à Nora Bilal, la femme commissaire: dans la forêt de Baïnem, près d'Alger, «Une jeune fille. Nue de la tête aux pieds. Et belle comme seule une fée échappée d'une toile de maître sait l'être. [...] Merveilleusement maquillée, les cheveux constellés de paillettes, les mains rougies au henné avec des motifs berbères jusqu'aux poignets, on dirait que le drame l'a cueillie au beau milieu d'une noce. [...] Elle est là, et c'est tout. Fascinante et effroyable à la fois. Telle une offrande sacrificielle...» Un époustouflant suspense s'ensuit. Les personnages (Ed Dayem, Nora Bilal, haj Saad Hamerlaïne, Sonia, Guerd, Zine, «Ben Dahmane, énorme comme un sacrilège», «Tejedine Lyès, ancien diplomate réinvesti dans l'import-export»,... La liste est longue! Tous évoluent dans le Mal et le Bien. Leur histoire est réglée comme une horloge souveraine. Ils ont le sang bouillonnant de la fureur de vivre, les uns dans l'honneur et la simplicité, les autres dans la gloriole de l'emploi administratif près du pouvoir politique, de l'argent et de la presse, d'autres dans la confusion qui permet de porter cent visages différents: «Usurpateurs historiques», «dirigeants corrompus», «spoliateurs des richesses du pays», «snobinards», bénéficiaires de la «légitimité historique», «rboba» («décideurs de l'ombre»), «les galeux sous les habits de soie», et tutti quanti.
Chez Yasmina Khadra, il s'agit de l'Algérie d'aujourd'hui que l'on veut aimer, que l'on doit continuer de remettre à l'endroit. La réalité observée est celle de la société algérienne: les petites gens souffre-douleur, patientent: les personnages de la classe des «arrivistes» agissent sans foi ni loi; la vie porte, sans limite, la noirceur d'une existence impossible. L'auteur, franc de langage, franc de son observation et de son jugement, nous prévient, longuement, subtilement, et il est très allusif, très poète, même dans le tunnel qui n'en finit pas d'être affreux: «Il y a ceux qui font d'une lueur une torche et d'un flambeau un soleil et qui louent une vie entière celui qui les honore un soir; et ceux qui crient au feu dès qu'il voit un soupçon de lumière au bout de leur tunnel, tirant vers le bas toute main qui se tend vers eux. En Algérie, on appelle cette dernière catégorie: les Béni Kelboun. Génétiquement néfastes, les Béni Kelboun disposent de leur propre trinité: Ils mentent par nature; trichent par principe et nuisent par vocation. Ceci est leur histoire.» Précédant cet avis, l'auteur a mis en épigraphe à son ouvrage une citation de Frantz Fanon: «Chaque génération doit dans une relative opacité découvrir sa mission, la remplir ou la trahir (Les Damnés de la terre).»
On découvre - ne le savait-on pas déjà? - par le personnage Ed Dayem, qu'«en Algérie, il n'est pas nécessaire de fauter pour recevoir le ciel sur la tête. Souvent, le destin ne tient qu'à une saute d'humeur, et la vie à un simple coup de fil...» Sid-Ahmed, un journaliste devenu «trimardeur et ivrogne», se terre dans une bicoque-taudis qui «tient tant bien que mal sur un rocher, les pieds dans l'eau». On peut lire ce que l'on a écrit avec un morceau de charbon: «En Algérie, les génies ne brillent pas, ils brûlent. Lorsqu'ils échappent à l'autodafé, ils finissent sur le bûcher. Si, par mégarde, on les met sous les feux de la rampe, c'est pour mieux éclairer les snipers.» Le constat est horrible, car net, complet et vérifié par la conscience d'un écrivain, parmi les rares que nous ayons, qui vient d'atteindre là ce que l'on pourrait appeler l'art achevé d'observer, d'étudier, d'analyser, de distinguer en toute bonne foi les souffrances de la société où ses propres racines à lui sont encore toutes brûlantes de la fièvre qui excite sa colère. Il rumine ses regrets qui ne cessent d'user la puissance de son amour pour sa patrie, pour les siens, c'est-à-dire cette grande famille, c'est-à-dire «ce magnifique peuple qui est le sien» dans ce vaste pays qui s'appelle Algérie et qui a, encore et toujours, l'espoir inépuisable de produire de géniaux héros populaires, parfaitement libres et humains.
L'enquête se poursuit - ne l'oublions pas -, inlassable, tenace, inexorable, sans concessions pour démasquer l'assassin de la jeune fille jetée dans la forêt de Baïnem. Restons-en là. Et tout comme Sid-Ahmed, le lecteur a besoin qu'on lui explique: «Qu'attendent les singes pour devenir des hommes?» Il a, de plus, cette formidable réflexion, et nous de même: «Les déserteurs traitent de criminels les héros, les génies se font bouffer par les crétins, les vendus se payent la tête des intègres, les vauriens paradent sur les tribunes et la nuit mange ses étoiles.» Yasmina Khadra serait-il définitivement l'écrivain algérien du réel? Aurait-il écrit tant de poésie heureuse et juste dans ses ouvrages précédents qu'il se décide, avec ce roman «Qu'attendent les singes», de nous révéler le secret de son propre destin? Il nous met, avec lui, au centre d'un monde tel qu'il est bien nôtre. Il nous propose, avec une intelligence et une délicatesse enchantées, la ou les possibilités de nous évader d'un cercle hermétique plus absurde que jamais et duquel aucun adorateur d'«offrande sacrificielle» et menteur par nature, ne peut, lui de même, échapper sans souiller sa propre fatalité. Quand on s'interroge sur l'avenir de l'Algérie, il est toujours urgent de se demander «Qu'attendent les singes pour devenir des hommes?» Dans ce roman vrai, oui, la fiction ne ment pas, elle prend même un relief singulier qui donne de l'importance à sa raison d'être et à son utilité d'éduquer et instruire. C'est par ainsi que la jeunesse nouvelle saura ouvrir la porte vertueuse et laisser entrer l'avenir humain, juste et solidaire en Algérie.
(*) Qu'attendent les singes de Yasmina Khadra, Casbah-Editions, Alger, 2014, 355 pages, Editions Julliard, Paris, 2014, 355 pages.


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