«C'est dans les cendres de la tragédie que renaît l'espoir» Auréolé du Prix Tanit de bronze du meilleur court métrage aux dernières JCC, notre réalisateur nous confie son sentiment, suite à cette distinction et nous livre un témoignage sur les secrets de sa réalisation... L'Expression: Tout d'abord, je reviens à votre Prix, Tanit de bronze aux JCC où vous avez été très ému quand vous l'avez obtenu et dédié à une amie. Pourriez- vous nous parler de ce moment? Omar Belkacemi: C'est un moment fort car je ne m'attendais pas du tout à cette reconnaissance pour un film comme Lmuja qui n'a vu le jour que grâce à la générosité et la solidarité de mes ami(e)s et c'est surtout une leçon pour moi et tous mes semblables qui galèrent pour faire du cinéma: avec l'amitié, l'amour et la persévérance, tout est possible. Et dans cet élan d'amitié nous ne pouvons oublier Asma Fenni à qui j'ai dédié le prix. Présidente de la Fédération tunisienne des ciné-clubs (Ftcc), militante féministe depuis des années, elle a créé une dizaine de ciné-clubs sur tout le territoire tunisien. Elle est le symbole de la femme libre, elle nous a quittés le 18 juin 2009 et a laissé une trace inoubliable dans la vie culturelle en Tunisie, grâce à son militantisme pour une culture alternative et libre. C'est elle qui nous a fait profiter, pendant des années, d'un évènement devenu un rendez-vous incontournable: «le cinéma de la paix?» ou encore l'évènement «Courants alternatifs et cultures émergentes.» Votre court métrage traite d'un sujet social qu'est le chômage, mais pas que. Votre film suinte la noirceur de l'humanité et le désespoir jusqu'à la scène finale. Pourquoi une telle thématique? Durant les années 1990, le terrorisme islamiste coûta la vie à plus de 150.000 personnes. Nous ne pouvons fermer les yeux sur ce drame national qui a dévasté notre pays. La lutte antiterroriste n'était pas que discours pour moi, j étais dans l'action, d'abord dans mon village Kebouche où on s'est constitués en comité d'auto-défense avec nos propres moyens, c'est-à-dire avec nos fusils de chasse. Puis mon Service national, «appelé» durant la période la plus chaude entre 1994-1996 à Blida et dans toute la région (Mitidja Ouest) où j'ai perdu beaucoup d'amis et collègues dans mes bras. Je ne vais pas m'étaler là-dessus car les blessures sont encore vivantes. En parallèle et à la même période, un autre drame social, provoqué par le plan d'ajustement structurel imposé par le FMI, dévaste les travailleurs et familles algériennes dont on ne parle jamais ou presque, celui des licenciements massifs de travailleurs et la fermeture des entreprises publiques qui ont provoqué des centaines de suicides de pères et mères de familles. D'autres, sont encore sous traitement psychiatrique et sans aucune couverture sociale. Rien que dans la période 1994-1997, 1010 entreprises publiques ont été fermées et près de 500.000 salariés licenciés. Ces puissances financières via leurs institutions (FMI-Banque mondiale etc...), ayant commandité cette tragédie nationale et planétaire, prétendent nous donner aujourd'hui des leçons de civilisation, de démocratie et de liberté, alors qu'elles se sont acharnées et ont sanctionné le peuple grec qui a osé donner une leçon de démocratie aux dernières élections législatives. Elles ont soutenu les dictatures arabes jusqu'à la dernière seconde et continuent à soutenir les bombardements sionistes contre les enfants palestiniens et c'est ce même FMI qui a qualifié le roi saoudien de défenseur des droits de la femme le lendemain de sa mort. Tout ça, c'est pour permettre aux multinationales de pomper davantage les richesses de tous ces pauvres peuples. Dans ce film Lmuja, je parle (à ma manière) de ce terrorisme économique où les commanditaires sont bien installés et bien protégés, à Paris, à Londres et à New York. Ce film est un cri de colère. Je ne filme que par nécessité, même si je dois rester 20 ans sur chaque film, c'est un choix que j'assume pleinement au détriment de ma carrière car je ne me fais pas d'illusion sur sa sélection dans certains festivals, j'en suis conscient. Comment est né ce film? Lmuja n'a vu le jour que grâce à mon entourage et ami(e)s complices qui, non seulement n'ont pas touché un centime mais qui ont en plus cotisé pour assurer leurs prises en charge (petits-déjeuners, déplacements). La restauration a été assurée par Omar Fetmouche ex-directeur du théâtre régional de Béjaïa, que je remercie au passage. Pour l'hébergement, ce sont mes amis de Béjaïa qui m'ont soutenu jusqu'au bout et qui sont toujours derrière moi. Tarek Sami et Lucie Dèche se sont déplacés de France avec leurs propres moyens et croyez-moi qu'ils galèrent aussi pour faire leurs films dont l'impressionnant «Chantier A». Un an plus tard, pour la post-production, après avoir vu ma demande de visa refusée par le consulat de France qui a trouvé que mon dossier n'est pas convaincant et que je n'ai pas fourni suffisamment de preuves pour retourner en Algérie, j'ai dû vendre mon PC et des figues sèches que je cultive moi-même pour faire venir la monteuse Caroline Beuret chez moi à Adekar. Quelques mois après, je suis allé en Tunisie pour le montage son et mixage chez mon ami Yazid Chabbi. Le film, je l'ai réalisé en 2012 et fini en septembre 2015.C'était à la base un long métrage et faute de moyens je l'ai réduit à 40 mn pour ne pas abuser de la générosité de mes ami(e)s techniciens et comédien(ne)s qui se sont engagés corps et âmes pour mener à bout le projet. J'ai fait jouer des ami(e)s dont les visages et regards m'inspiraient et c'était vraiment leurs premières expériences. Vous utilisez la langue amazighe dans votre film et vous évoquez également la question de la berbérité face à la mondialisation au moment où l'enseignement de l'arabe algérien et la refonte du système scolaire sont remis en question aujourd'hui. Faire parler vos comédiens en tamazigh, était-ce dans ce cas utile pour votre cinéma, ou était-ce une condition supplémentaire pour fondre dans le décor kabyle de Béjaïa sachant que votre histoire peut être universelle et pas particulièrement spécifique à l'Algérie? Je suis berbère montagnard et je ne peux exprimer ma colère, mes rêves, doutes et douleurs qu'avec la langue de mes ancêtres, je ne peux être moi-même qu'avec ma culture et langue maternelles. Je ne m'inspire que de tous ces visages, regards, sourires, et décors que je croise au quotidien. Si on choisit un angle de prise de vue et un cadre, c'est pour porter un regard poétique sur ce que nous aimons, même si c'est triste et tragique. C'est dans les cendres de la tragédie que renaît l'espoir. Nous ne pouvons éternellement ignorer et mépriser cette culture et ces visages tristes. Et nous ne pouvons être universels, si on n'est pas soi-même. Aujourd'hui, le combat démocratique et identitaire de certains militants me révolte, je le trouve insensé tant que la réhabilitation de la dignité humaine n'est jamais abordée en priorité, comme par exemple l'abrogation du Code de la famille qui est un crime contre l'humanité, une honte. Avez-vous eu des difficultés pour le réaliser à Béjaïa? Non pas du tout. J'ai un soutien indéfectible de mon entourage et je continuerai à faire mes films qu'avec les gens que j'aime et qui m'aiment. Je suis quelqu'un de profondément ancré dans son espace. Rester libre, c'est ma raison d'être. J'ai une profonde conviction que la poésie, l'amour, l'amitié vaincront un jour. Ce sont les seules choses vraies, tout le reste n'est qu'invention de l'homme et spéculations.