La malheureuse avait le coeur plein... Rachida. W. est une jeune vieille fille qui était du côté de la salle des «pas perdus» pour... Elle était en quête d'un conseil, susceptible de l'aider en l'assistant, tout à l'heure, à la barre pour une histoire d'incompatibilité d'humeur avec les siens, sa maman surtout. Rachida. W. est une résidente d'une cité aménagée sur la banlieue de la capitale, qui est à la recherche d'un avocat capable de la tirer des griffes de la mère menée par le bout du nez par, tenez-vous bien, les propres belles- soeurs de la fille. En attendant l'appel de la juge affairée, elle, à écouter deux larrons surpris en pleine opération de commercialisation de came, elle nous aborde, d'abord pour un renseignement. Dans la foulée, elle nous prie de l'écouter cinq minutes qui en paraîtront 5000. La malheureuse qui avait le coeur plein comme ça, se met à table, sans nous avoir connus auparavant. Elle nous parle franchement, sans aucun tabou. Elle donne l'impression de s'entraîner, avant la comparution. Elle le fait, comme elle le fera, par la suite, devant la présidente de la section correctionnelle du tribunal, à la barre, pour nous expliquer les difficultés qui l'empêchent de vivre normalement. Rachida est une excellente femme d'intérieur, qui s'est forgée sur le tas. Entre-temps, elle cherche une avocate pour renvoyer l'affaire, le temps d'étudier les tenants et aboutissants du dossier. Elle revient un moment sur l'expression «sur le tas» qui veut simplement signifier que c'est à la maison qu'elle a tout appris. Oui, elle a appris sur le tas tous les malheurs qu'elle vit en ce moment. Les affres d'un quotidien impossible à supporter quoi qu'il arrive. Elle a appris à s'exécuter sans protester, ni tenir tête à quiconque, sa maman en premier. Elle parle sans trop d'émotion, car visiblement, elle a trop souffert et souffre toujours. Elle a le pressentiment que seule la justice peut l'aider à s'émanciper. On lui aurait soufflé que cette histoire de tutelle a été supprimée en 2009. Elle revient à la famille et, inévitablement, c'est la mère qui prend les coups. Elle n'insulte pas, ni ne maudit ses proches dominés par maman qui a toujours eu le commandement, même du vivant de papa, hélas paraplégique. «Elle joue au dictateur: «Fais ceci, ne fais pas cela!». Elle ordonne, je m'exécute! Elle n'a d'yeux que pour ses belles-filles, qui ne font rien, ou plutôt si: elles sont là, m'épiant pour tout raconter à maman, ce que je fais ou dis au téléphone!» s'insurge la bonne femme, les yeux soulignés par de profondes cernes qui la vieillissent de plusieurs années et qui mettent en valeur toute la détresse de l'Algéroise, fière d'être de Bab El Oued (Alger). «Je demande à être libérée de la tutelle de ma mère, une tutelle terrible, enfonçante, avilissante, salissante je dirai sans honte car, ce que j'endure est innommable! Mais le paradoxe se situe dans le fait que cette esquintée de femme, n'ait pas versé une seule larme durant tout le procès qui a eu lieu à la fin de février 2019 dernier. Nous lui avions fait la remarque en fin d'audience, le sourire en coin à ce propos, elle se tut puis elle répondit, l'oeil vif: «Mais, pourquoi vais-je pleurer et surtout devant qui? Ma mère? Elle s'en f... comme de l'an II avant J.-.C.! Mes frères? Alors, là, ils n'en ont cure! Oui, devant qui vais-je chialer? Je n'ai que mon coeur qui m'écoute et mon esprit à ménager, car je ne vais pas crever pour cela.» C'est alors qu'elle aborde un inattendu chapitre: ses fiançailles ratées, il y a de cela vingt ans! Nous sommes tout ouïe, car nous ne faisons pas de pareilles rencontres tous les jours qui pullulent de justiciables dans les salles d'audience ou dans les enceintes des juridictions. Et pourtant, des «Rachida», il y en a à gogo! Cette dame-là, a eu la chance de rencontrer deux oreilles attentives. Alors, elle a saisi la balle au bond et tout craché! Elle nous parle de Ouahid, le seul homme qu'elle a connu. «C'était en 1998, je venais à peine de boucler mes vingt et un ans et j'avais dégoté un boulot chez un certain Nasri, un honnête entrepreneur qui voulait que je sois son assistante, mais sous contrat. Il ne voulait pas que je sois employée au noir. Et qui croyez-vous la personne qui a dit «non»? Devinez! C'est ma propre mère qui s'est mise en travers de mon avenir, car, M. Nasri m'a proposé un contrat à durée indéterminée. C'était un père de famille de six enfants dont un seul garçon qui le suivait comme son ombre! Il savait ce que représentait une fille qui cherche du travail régulier et bien rémunéré. Donc, je n'avais aucune crainte côté sécurité! A contrecoeur, j'ai dit non à l'alléchante offre de Nasri qui a pris Fatiha, une autre assistante, originaire de Ferdjioua (Mila), résidant près du bureau. Je refermais le chapitre boulot. Il me restait les commissions quotidiennes car nous étions neuf personnes et les quatre garçons rentraient le soir avec l'estomac et les mains vides. Ils ne ramenaient rien à manger puisqu'ils avaient la «girl -boy» que je suis, la bonne à tout faire qui s'éclatait de cinq heures du matin à 23 heures pour qu'ils puissent s'empiffrer jusqu'à satiété!» Puis, elle éclate de rire en ajoutant: «Je suis en quelque sorte la «Cosette» des Misérables, sans... papa Thénardier!». Elle termine son récit. Elle verse enfin une larme et ses traits se durcissent. Elle se tait, s'excuse fermement, nous salue et retourne les talons, direction le portail de la sortie du tribunal.