Quand tout sera terminé, quand les blessures seront pansées, quand le décompte des dégâts et le bilan des victimes seront faits, il restera une seule notion indélébile dans la mémoire des Algériens après cette terrible épreuve de la pandémie: la solidarité citoyenne. C'est la première leçon, c'est le premier bilan qu'on pourra tirer de ce qui allait devenir un naufrage national. Si on n'avait pas de doutes que le système de santé allait céder face à une troisième vague particulièrement sévère de la pandémie, malgré les annonces faussement rassurantes des responsables politiques, on ne s'attendait pas en revanche à un pareil élan de solidarité citoyen de toutes les régions du pays. Face à la déferlante de la Covid-19 qui allait achever le pays par asphyxie faute d'oxygène médical dans des structures hospitalières obsolètes, une contre-vague citoyenne est venue pulvériser cette lugubre atmosphère de deuil abandonnant sur le lit du fleuve, comme des galets sans relief, les négligents et les imprévoyants. De la fabuleuse solidarité renaît une lueur d'espoir et de réconfort. C'est la vraie Algérie, sans fard, sans clivage, unie et réunie. Gouverner c'est aussi prévoir. A-t-on fourvoyé le président de la République pour en arriver à cette situation où l'on meurt non pas en raison du variant Delta, mais par manque d'oxygène? À maintes reprises, Abdelmadjid Tebboune a été contraint de jouer au pompier pour suppléer aux déficits accusés par des membres de son Exécutif. En dépit des manquements, la solidarité des Algériens n'a pas été ébranlée. Ne faudrait-il pas un jour ériger cette valeur ancestrale en patrimoine nationale immatériel? Cet élan ne mérite-t-il pas d'être célébré comme on célèbre un Aïd ou une fête de fin d'année? Et pourquoi pas l'enseigner un jour dans les manuels scolaires? Aux premières loges, un corps médical soudé malgré la violence de la troisième vague. Quoi de plus douloureux pour un soignant d'assister, impuissant, à la mort de son patient par étouffement? Ils n'ont pas cédé sur le terrain d'une bataille féroce quitte à perdre les meilleurs éléments. On comptabilise 40 morts dans le corps médical rien que durant ce mois de juillet. À leurs cris déchirants appelant au secours, sont venus des citoyens anonymes et des entreprises privées pour s'associer à la tragédie que subit le pays. «La mèche» de la solidarité est partie de la vallée de la Soummam pour essaimer le territoire national. Les mots simples et sincères du patron de la laiterie Soummam, El Hadj Hamitouche, titillent la fibre de la solidarité des Algériens: «J'ai pleuré quand j'ai vu des femmes donner leurs bagues», a-t-il confié sur la chaîne Berbère Télévision. Sollicité par une association d'Akbou pour l'achat d'un générateur d'oxygène en vue de doter l'hôpital, El Hadj Hamitouche rallonge le chèque et réédite la même opération dans une vingtaine d'hôpitaux à travers le pays. Il y va de la vie humaine et du malheur, qui l'a frappé L'humanité des Algériens n'a pas de limites. Le greffon «Hamitouche» a pris. Engagés dans une vaste opération de sauvetage, des citoyens se démènent à Bouira, Djelfa, Tlemcen, Tizi Ouzou, Sidi Bel Abbès, Constantine, et Annaba pour acquérir du matériel d'oxygénothérapie. L'écho, relayé par les réseaux sociaux retentit en Europe où des opérations de solidarité ont été concrétisées. C'est le cas en France avec les deux ONG d'assistance médicale, Algerian Medical Network (AMN) et Ashifa, aidées par l'association Ecaf (Etudiants et cadres algériens en France). À ces opérations se sont joints des artistes dont Soolking et l'actrice Leïla Bekhti ainsi que des stars du football comme Riyad Mahrez et Franck Ribéry. Aucun phénomène naturel, tsunami, séisme, éruption volcanique, ou crise pandémique comme la Covid-19, ne devient «catastrophe» sans un récit capable de le soutenir. Le récit Algérie sera celui de la solidarité.